Décrypter le répertoire émotionnel animal permet d’assurer la durabilité des élevages - La Semaine Vétérinaire n° 1400 du 09/04/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1400 du 09/04/2010

Bien-être animal

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Serge Trouillet

Le comportement émotionnel des moutons peut être modulé à des fins sociétales et économiques, non seulement par la génétique, mais aussi par l’expérience.

Dès les années 90, des généticiens de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) se sont intéressés à la réactivation économique de zones défavorisées, voire désertifiées par l’élevage. Leur objectif était de développer, par exemple sur le plateau du Larzac, un modèle de mouton adapté au plein air intégral, y compris pendant la période sensible de l’agnelage. Or, pour participer à la réussite de cette production animale et notamment pallier une moindre assistance de l’éleveur, ces animaux doivent parvenir à une autonomie comportementale qui dépend entre autres de leur réactivité émotionnelle. Ainsi, les soins maternels (léchage et allaitement) qui conditionnent la survie des nouveau-nés, peuvent être sérieusement altérés dans le cas de l’élevage en plein air intégral si la brebis est trop effrayée par sa propre portée, comme c’est fréquemment le cas chez les primipares. Pour Alain Boissy, directeur de recherche à l’Inra de Clermont-Ferrand-Theix, il y avait là une vraie question pour les éthologistes. Animateur de l’équipe “adaptation et comportements sociaux” de l’unité de recherche sur les herbivores, il a été recruté en 1991 pour développer l’étude de la réactivité émotionnelle des animaux de ferme, comme facteur limitant leurs capacités d’adaptation : « Les généticiens ont commencé à travailler sur les critères zootechniques classiques tels que la prolificité, la croissance, la qualité bouchère et laitière, la qualité de la toison (autoprotection contre les rigueurs météorologiques liées au plein air). Très rapidement, les limites imposées par les caractéristiques comportementales des animaux se sont fait sentir, notamment lors des chantiers de mise bas. Par exemple, accentuer la prolificité peut se révéler catastrophique en plein air si les femelles ne parviennent pas à développer un comportement maternel approprié. Petit à petit, en s’insérant dans leurs démarches, dans leurs protocoles, nous avons pu montrer que les caractères de comportement pouvaient être héritables au même titre que les critères zootechniques classiques : sélectionner également sur ces caractères peut contribuer à faciliter l’adaptation des animaux à des milieux difficiles. »

Le comportement animal devient un outil qui contribue au succès de l’exploitation

« Ainsi, au sein d’une même race telle que la romane, nous avons montré clairement que certaines familles présentent une réactivité émotionnelle exacerbée. Cette caractéristique est mesurée en mettant l’animal dans des situations standard, pour évaluer ses réactions face à la séparation d’avec ses congénères ou au contraire d’attraction, ou encore ses réactions vis-à-vis de l’homme. Au terme de cinq années d’une étude polygénique impliquant une trentaine de béliers et plus de deux mille cinq cents agneaux, l’analyse génétique opérée sur ces caractères comportementaux permet d’estimer des héritabilités suffisamment correctes pour envisager de pouvoir sélectionner sur ces comportements. Faire du plein air intégral, c’est possible, mais pas avec n’importe quel animal. Si la brebis est trop craintive, son comportement maternel risque d’être altéré, ainsi que, par voie de conséquence, la survie et la croissance des jeunes, au préjudice de la production. Le comportement animal devient un outil à part entière qui contribue au succès de l’exploitation. Le génotypage en cours et la recherche de quantitative trait locus (QTL) engagée par les collègues généticiens vont nous donner les moyens de mettre en relation certaines parties des chromosomes avec des performances comportementales… et peut-être même identifier certains gènes qui pourraient être introduits dans des races qui n’en disposent pas, ce qui économiserait des années de croisement ! »

Plus que la situation, c’est la manière dont l’animal se la représente qui cause le stress

L’étude du comportement est essentielle. Pas uniquement parce que c’est un moyen pour améliorer l’efficacité de la production, mais également pour mieux prendre en compte la demande sociétale en matière de bien-être animal. Les animaux de ferme ont acquis le statut d’êtres vivants sensibles (traité d’Amsterdam de 1999) et, plus que jamais, le bien-être animal doit être considéré comme l’un des éléments à part entière de la durabilité des élevages. L’une des particularités de l’équipe d’Alain Boissy est qu’elle s’intéresse au comportement animal et à la manière de le moduler par la génétique, mais aussi par l’expérience. En plaçant les animaux dans des conditions particulières d’entraînement, de familiarisation, elle prouve qu’il est possible de modifier leurs capacités comportementales pour qu’ils soient plus aptes à vivre dans l’environnement où ils sont élevés.

Se préoccuper du bien-être des animaux de ferme, c’est leur reconnaître qu’ils sont capables de ressentir des émotions. Encore fallait-il montrer que les émotions existent chez l’animal, en s’exonérant de tout anthropomorphisme. Pour cela, Alain Boissy s’est rapproché de psychologues cognitifs qui se posaient la question de savoir comment apprécier les émotions chez les nouveau-nés, dépourvus de langage verbal. Ces psychologues ont en effet développé une grille qui identifie des processus simples d’évaluation (soudaineté, familiarité, valence, prévisibilité, etc.), responsables du déclenchement des émotions. Or, cette capacité d’évaluer son environnement n’est pas le propre de l’homme : les travaux qui revisitent la notion de stress chez les animaux montrent clairement que ce n’est pas tant la situation en elle-même, mais plutôt la manière dont l’animal se la représente, qui détermine le stress.

Ajuster au mieux les pratiques d’élevage à la sensibilité émotionnelle des animaux

Reprenant les processus d’évaluation définis par les psychologues, l’équipe d’Alain Boissy a pu montrer que les moutons se réfèrent aux mêmes processus pour donner du sens à leur environnement. Ainsi, un mouton sursaute systématiquement à l’apparition rapide d’un panneau, mais il le fait d’autant plus que ce panneau revêt une couleur ou une forme nouvelle. Dans un temps très rapide, il a donc été capable de déceler, en plus de la brusquerie, le caractère non familier de l’objet, responsable de l’amplification de sa réponse émotionnelle. Cependant, l’animal est capable de prévoir et le fait de prévoir un événement, même aversif, réduit ses réactions émotionnelles. Après un entraînement au cours duquel il a appris à associer signal lumineux et apparition rapide du panneau, son sursaut est moindre et l’accélération cardiaque consécutive à la soudaineté est deux fois moins importante que s’il n’avait pas pu anticiper cette apparition. Le mouton a aussi des attentes : si la récompense alimentaire qu’il reçoit après un exercice est diminuée, son excitation s’accroît. L’ensemble des travaux de l’équipe montrent que les moutons sont en mesure de ressentir aussi bien des émotions négatives, telles que la peur et la colère, que des émotions positives, telles que le plaisir.

« Les animaux, conclut Alain Boissy, ressentent différemment une situation s’ils peuvent la comparer à des expériences passées, s’ils ont les moyens en prévoir l’issue ou encore d’agir dessus. L’étude scientifique des émotions chez les animaux permet de mieux appréhender le bien-être animal et, ainsi, de pouvoir l’améliorer, en favorisant par exemple les périodes d’anticipation d’événements positifs qui procurent des émotions positives. En comprenant mieux comment les émotions sont générées chez les animaux, nous pourrons être en mesure de définir ce qui est déterminant “du point de vue de l’animal”, afin d’ajuster au mieux les pratiques d’élevage à la sensibilité émotionnelle des animaux. »

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