« Se regrouper pour remettre l’animal au centre de la chaîne des soins » - La Semaine Vétérinaire n° 1392 du 12/02/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1392 du 12/02/2010

Entretien avec Bruno Duhautois

À la une

Auteur(s) : N. F.

La Semaine Vétérinaire : Dans votre livre(1), vous faites une analyse approfondie de l’évolution de la profession. Le portrait actuel est sombre.

Bruno Duhautois, titulaire d’un master en management, d’un DESS en science de gestion, spécialiste en chirurgie (DESV, ECVS), ingénieur des Arts et Métiers : Réaliste surtout, mais pas désespéré, au contraire ! Il faut laisser parler les chiffres issus des croisements de données des différentes associations professionnelles et autres observatoires économiques… Entre 1996 et 2009, le nombre de vétérinaires libéraux a augmenté de 48 %, alors que celui des salariés a progressé de 320 % dans le même temps ! Aujourd’hui, 37 % des praticiens sont des salariés et parmi eux, 70 % sont des femmes. Cette évolution socio-démographique transforme radicalement les fondements d’organisation de notre profession. Près de 60 % des structures n’ont qu’un seul associé, et parmi elles, un tiers n’emploient aucun salarié ! Le chiffre d’affaires moyen des vétérinaires a augmenté de 50 % en euros constants sur sept ans, mais le revenu est loin d’avoir suivi cette progression, surtout en canine où l’écart de revenus se creuse avec les ruraux et les mixtes qui, eux, ont su se regrouper depuis deux décennies. A recettes équivalentes, les vétérinaires canins ont la rentabilité et le revenu les plus faibles comparés aux autres professions libérales… Manifestement, notre modèle économique n’est plus en phase.

S. V. : Le contexte socio-démographique nous oblige-t-il à changer ?

B. D. : Oui. La profession compte trop d’entreprises petites et isolées. Or, c’est l’offre qui stimule la demande. Avec de si petites structures, l’offre est fragmentée, c’est un frein au développement économique. Nous ne répondons plus vraiment au désir de la clientèle. Différents sondages et enquêtes montrent assez précisément ce que la majorité des clients, en France mais aussi en Grande-Bretagne, en Espagne ou en Italie, attendent de leurs vétérinaires canins : l’accès à des consultations spécialisées, un plateau technique élaboré et à la pointe, une disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un service rapide et sans attente, des salles d’attente séparées, voire individuelles, des structures avec du personnel nombreux. Or, la réalité française est bien loin de tout cela.

S. V. : C’est-à-dire ?

B. D. : Reprenons chacun des points. L’accès à des consultations spécialisées : moins de cent spécialistes sont actuellement reconnus sur le territoire français. Un plateau technique à la pointe : près de la moitié des praticiens n’ont pas renouvelé leur matériel depuis cinq ans. Une disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre : encore plus de 40 % des praticiens ne sont pas organisés en service de gardes et moins de 5 % assurent une présence réelle permanente sur place, ce qui pose d’ailleurs le problème de la continuité des soins. Un service rapide et sans attente : comment faire avec une moyenne inférieure à deux vétérinaires équivalent temps plein (ETP) par structure et un ratio auxiliaires/vétérinaire ETP parmi les plus faibles ? d’Europe Enfin, seulement 15 % des structures disposent de salles d’attente séparées et on ne peut pas dire que le personnel est pléthorique dans les cliniques…

S. V. : Le regroupement permettra-t-il d’améliorer cette situation ?

B. D. : De toute évidence quand on tire les conclusions de l’analyse Swot(2) de notre profession. Cette loi économique du regroupement l’a prouvé par ailleurs, dans les pays où les réseaux de vétérinaires sont déjà autorisés, mais aussi en France parmi les cabinets de médecins. Dans notre propre profession, les vétérinaires mixtes l’ont compris il y a bien longtemps. En 1985, ils étaient 1,6 praticien ETP par structure et leur bénéfice moyen s’élevait à 48 K€ par vétérinaire et par an. En se regroupant pour atteindre 4,2 praticiens ETP par structure en 2005, leur bénéfice a doublé pour atteindre une moyenne de 92 K€ par vetérinaire et par an. Se regrouper, créer un réseau conduit à rationaliser et à optimiser le fonctionnement des structures, ce qui permet de mieux prendre en compte les exigences de la clientèle. Ce n’est pas, en raccourci, devenir le salarié d’une grande chaîne, c’est aussi et avant tout remettre l’animal au sein de la chaîne de soins, c’est répondre à la demande du client-consommateur et c’est répondre aux évolutions socio-démographiques de notre profession. Quant aux formes de regroupements, il y en a de nombreuses (concentration, rationalisation, franchise, joint venture, intégration, etc.), qui peuvent répondre aux aspirations de chacun.

S. V. : La directive “services” oblige également la profession à modifier son organisation.

B. D. : L’objectif de cette directive est de faire progresser l’Europe vers un véritable marché intérieur des services. Elle sous-entend la liberté d’établissement, de prestations, et la qualité des services. Il faut voir ce texte comme une chance pour la profession de se doter d’une véritable culture entrepreneuriale. Finissons-en avec la politique de l’autruche ! De soignant, le vétérinaire a compris qu’il était chef d’entreprise. Maintenant, s’il veut rester à l’écoute de sa clientèle, il doit devenir aussi entrepreneur. A cet égard, le travail effectué par l’Ordre l’an passé ne pourra être que bénéfique. Libérer la communication commerciale, autoriser la création de SPF-PL, mettre fin à la limitation du nombre de domiciles d’exercice ou du nombre de salariés par associé sont des mesures importantes qui vont nous permettre de mieux nous organiser dans un univers concurrentiel. Il nous faut “réinventer l’entreprise vétérinaire”, repenser notre métier d’un demain très proche.

  • (1) L’entreprise vétérinaire réinventée : du cabinet au réseau, éditions Med’Com, voir en page 63.

  • (2) SWOT : strengths (forces), weaknesses (faiblesses), opportunities (opportunités), threats (menaces), outil d’entreprise permettant de déterminer les options envisageables au niveau d’un domaine d’activité stratégique.

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