Les souffrances infligées aux animaux sont devenues une question de société - La Semaine Vétérinaire n° 1388 du 15/01/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1388 du 15/01/2010

Elevage. Expertise scientifique collective de l’Inra sur la douleur animale

Actualité

Auteur(s) : Michel Bertrou

Si les outils manquent pour évaluer la douleur des animaux d’élevage, des pistes existent pour la limiter.

Notre société contemporaine rejette unanimement la douleur animale. En outre, les acteurs impliqués sur le sujet sont de plus en plus nombreux. Cette évolution suit celle de la prise en compte de la douleur humaine, qui est récente. Ce n’est qu’à partir de 1986 que des méthodes d’hétéro-évaluation ont permis de reconnaître la douleur chez le nourrisson, puis en 1996 chez le handicapé non parlant. La nouveauté de l’extension au domaine animal(1) explique la difficulté qui demeure à en maîtriser les éléments.

Limiter la douleur des animaux d’élevage est possible

L’Institut national de la recherche agronomique (Inra) vient justement de réaliser une expertise scientifique collective (Esco) qui synthétise l’état des connaissances sur le sujet. Il l’a rendu publique le 8 décembre dernier, lors d’un séminaire qui a fait salle comble. Sa principale conclusion est que si les savoirs ne sont toujours pas suffisants pour lever certaines incertitudes, limiter la douleur des animaux d’élevage est possible. Le rapport s’appuie sur des solutions visant à supprimer, substituer ou bien soulager les causes de douleur, ce que les experts dénomment l’approche “3S”.

L’objet d’une expertise scientifique collective (Esco) est de faire une analyse objective et multidisciplinaire d’une question complexe, à partir de toutes les connaissances disponibles. Il s’agissait ici d’une demande conjointe des ministères de l’Agriculture et de la Recherche, à la suite des rencontres “Animal et société” de 2008, où le besoin de clarifier la notion de douleur chez les animaux s’était imposé. Pour sa première Esco dans le domaine animal, l’Inra a coordonné une vingtaine d’experts de disciplines diverses (sciences humaines et de la vie), un tiers d’entre eux ne faisant pas partie de l’institut (dont trois confrères des ENV : R. Guatteo, L. Mounier, P.-L. Toutain). Alors que la demande initiale concernait tous les animaux et pouvait s’élargir à la notion de souffrance, l’expertise s’est concentrée sur la notion spécifique de douleur et l’a circonscrite aux animaux d’élevage. Quelque 1 400 publications ont été rassemblées et analysées.

Certains systèmes et pratiques d’élevage augmentent les risques de douleur

Il est vite apparu que séparer la douleur de la souffrance psychique ou du mal-être n’était pas si simple. Pour définir la douleur animale, les experts ont retenu une définition que l’on doit à des vétérinaires anglais (transposée de la médecine humaine) : « La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle aversive représentée par la conscience que l’animal a de la rupture ou de la menace de rupture de l’intégrité de ses tissus. » Si la douleur ainsi définie est reconnue chez l’ensemble des mammifères et, dans une moindre mesure, des oiseaux, son existence chez les poissons, les amphibiens, les reptiles et les invertébrés ne fait pas consensus. Concernant les animaux de rente, la conjonction d’indices lésionnels, physiologiques, comportementaux ou zootechniques pourrait sans doute permettre l’élaboration de grilles multiparamétriques de la douleur (déjà validées chez le chat, le chien et le cheval), mais elles n’existent pas encore.

Le rapport analyse ensuite les systèmes et les pratiques d’élevage qui augmentent les risques de douleur animale. Certaines interventions, pratiquées sans analgésie par les éleveurs, sont détaillées (castration des veaux et des porcelets, épointage des volailles, etc.). Les experts donnent alors des exemples d’alternatives illustrant la démarche “3S”. Sur la question spécifique de l’abattage, le rapport signale des taux d’échecs à l’étourdissement des bovins dus aux mauvaises pratiques. Dans le cas de l’abattage rituel, il rapporte des pertes de conscience tardives (pour environ 20 % des bovins saignés) et des solutions adoptées dans d’autres pays d’Europe sont mentionnées. En conclusion, le rapport souligne les priorités des recherches à mener, notamment des analyses socio-économiques pour les mesures alternatives. L’expertise scientifique “objective” se limite à cela, prendre position ne fait pas partie de la commande. Sa postérité dépendra donc des enseignements que voudront bien en tirer les décideurs.

Une réelle opportunité professionnelle pour le vétérinaire

Lors du séminaire, Jean-Luc Angot (directeur adjoint de la DGAL) a annoncé que le temps minimal de contention lors d’abattage rituel serait bientôt prolongé. Concernant l’impossibilité pour les éleveurs d’utiliser des analgésiques, notre confrère a renvoyé aux prochains Etats généraux du sanitaire(2) où les questions d’acte vétérinaire et de soins autorisés aux animaux seront débattues.

Un autre confrère, Denis Simonin (Direction générale de la santé et de la protection du consommateur de la Commission européenne) a adressé un message à la profession : « Le vétérinaire est à la croisée de ces nouvelles préoccupations. Il est aussi à l’interface de mondes qui ont parfois du mal à communiquer. Il a donc un rôle essentiel à jouer dans ces domaines. C’est déjà une question d’éthique, mais ce sera, à l’avenir, une réelle opportunité professionnelle. » Tous ceux qui se sentent concernés par la douleur animale – on peut supposer que les vétérinaires le sont – peuvent d’ores et déjà se plonger dans la lecture du rapport(3).

  • (1) Il existe quarante fois plus de publications consacrées à la douleur humaine qu’à la douleur animale.

  • (2) Ces Etats généraux, prévus ce mois-ci, visent à revoir l’organisation sanitaire et sont à l’initiative du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche.

  • (3) Le rapport de 350 pages est téléchargeable à l’adresse : http://www.inra.fr/presse/expertise_douleurs_animales_chez_animaux_elevage

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