« Sans une recherche vétérinaire digne de ce nom, nous sommes dépossédés de ce que nous sommes » - La Semaine Vétérinaire n° 1382 du 27/11/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1382 du 27/11/2009

Gérard Orth, président de la section “sciences fondamentales” de l’Académie

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Auteur(s) : Michel Bertrou

La Semaine Vétérinaire : Quelle a été la démarche de l’Académie vétérinaire ?

Gérard Orth : Je tiens d’abord à dire qu’il s’agit d’un travail collectif et consensuel, de longue haleine certes, mais intéressant et, à mon avis, nécessaire.

A l’époque où les chercheurs s’étaient mobilisés autour du mouvement “Sauvons la recherche”, l’Académie avait souhaité créer un groupe de travail sur la recherche dans les écoles vétérinaires. Une commission s’est constituée et l’on m’a demandé de la présider. Je n’avais aucune idée préconçue sur la recherche vétérinaire. Ayant été le premier assistant recruté dans le défunt département de recherche vétérinaire de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), j’étais resté persuadé que cette recherche existait.

Le rapport rappelle les finalités de la recherche vétérinaire. Nous avons constaté que la recherche menée dans les écoles n’est pas en adéquation avec ce qui fait leur spécificité (potentiel hospitalier et moyens d’investigation sophistiqués). L’une des raisons en est l’absence de politique scientifique de la tutelle des ENV, le ministère chargé de l’Agriculture. Mais il nous est apparu que la situation dans les écoles n’était qu’un cas particulier, et notre réflexion s’est élargie à l’ensemble de la recherche vétérinaire publique. D’où le constat que la recherche vétérinaire n’est pas reconnue comme telle. On la retrouve dispersée dans cinq départements de l’Inra, au Cirad, à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à l’Afssa et dans d’autres établissements de recherche. Partout, le mot « vétérinaire » disparaît. Les liens de la recherche vétérinaire avec la recherche médicale ne sont pas reconnus. En 2006, j’avais codirigé un rapport de l’Académie des sciences sur la maîtrise des maladies infectieuses(1). Nous avions souligné la nécessité d’intégrer l’ensemble de la pathologie animale et humaine dans un concept global d’enseignement et de recherche. En 2007, aux Etats-Unis, l’American Medical Association (Ama) et l’American Veterinary Medical Association (Avma) ont affirmé cette nécessité à travers le concept « One medicine, one health ». En France pourtant, un mur sépare toujours la santé animale de la santé humaine.

Ce rapport est un coin que nous enfonçons dans une problématique à nos yeux fondamentale : quelle est la place du vétérinaire dans la santé ? Quelles sont les compétences qu’on lui reconnaît et les moyens qu’on peut lui donner pour être à la mesure de ses devoirs ?

S. V. : Le rapport est assez critique vis-à-vis de l’Inra…

G. O. : L’Inra a pris la recherche vétérinaire en main, mais, à mon avis, en la dévoyant progressivement de certains de ses objectifs initiaux, et les vétérinaires se sont laissé enclaver. Il ne s’agit pas de rompre les liens avec l’Inra, mais de prendre conscience de ce qu’est la profession vétérinaire, c’est-à-dire de l’importance de la médecine animale et de la proximité de la recherche vétérinaire avec la recherche biomédicale. L’Inra s’intéresse peu à la recherche clinique et à la pathologie comparée, et n’accorde sa tutelle qu’à des équipes dont les thématiques concordent avec sa politique scientifique.

En juillet 2007, les ministres chargés de l’Agriculture et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ont confié à Bernard Chevassus-au-Louis une mission sur les voies de modernisation de nos structures de recherche et d’enseignement supérieur en matière d’agriculture, d’alimentation, de sécurité alimentaire, de santé animale et développement durable. Le document joint à la lettre de mission indiquait que l’ambition était de créer un consortium agronomique français. Le mot médecine n’y figurait pas et le mot vétérinaire à peine, bien que l’adhésion des ENV fût encouragée. Le projet de consortium(2) qui en a résulté ne met en avant que le trépied « agriculture, alimentation, environnement ». La « santé animale » n’a été ajoutée que dans le titre du décret créant le consortium, en mai 2009. Cette création, souhaitée par l’Inra, arrive au moment même où une politique d’ouverture est engagée par Valérie Pécresse pour coordonner la recherche française dans le domaine des sciences de la vie et de la santé. Au lieu d’optimiser les interactions avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’Université, le consortium agronomique risque d’isoler l’Inra et les établissements d’enseignement supérieur du ministère de l’Agriculture, continuant d’enclaver la recherche vétérinaire.

Nous sommes pleinement conscients de l’importance qu’ont, pour notre profession, la santé des animaux de production, la santé publique et la sécurité sanitaire des aliments. Nous affirmons seulement que la recherche vétérinaire constitue un ensemble plus large que celui que le consortium définit. Nous ne pensons pas qu’il soit de nature à permettre à la recherche vétérinaire de remplir toutes ses missions et de s’ouvrir vers les partenariats logiques que sont la recherche biomédicale et l’enseignement médical.

S. V. : Quelles retombées espérez-vous du rapport et de l’avis ?

G. O. : Ce travail vise d’abord à ce que l’on accepte le principe d’une réflexion globale sur la recherche vétérinaire. C’est la première fois que l’Académie fait un tel effort pour faire connaître son avis sur un problème. Le rapport et l’avis ont été adressés aux trois ministres concernés (Agriculture, Recherche, Santé), aux acteurs de l’enseignement et de la recherche, ainsi qu’à diverses personnalités, notamment aux parlementaires vétérinaires.

Pour ma part, j’espère que cela contribuera à la prise de conscience que, sans une recherche vétérinaire digne de ce nom, nous sommes dépossédés de ce que nous sommes. Pour moi qui ai consacré ma carrière à la recherche biomédicale, le mot “vétérinaire” signifie quelque chose. Pourquoi est-il devenu un mot à proscrire J’ai le sentiment que la profession se défend mal et qu’il est urgent qu’elle se secoue.

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