Comment considérez-vous le développement des spécialités sans ordonnance ?

Une alternative intéressante

Je suis favorable au développement des produits vendus over the counter (OTC), à la nuance près que les substances considérées comme non toxiques peuvent malgré tout le devenir dans certaines circonstances (sensibilité particulière de l’animal, surdosage important, etc.). Elles devraient donc subir des tests plus poussés quant à leur toxicité éventuelle, sans passer par la lourdeur de l’autorisation de mise sur le marché (AMM).

En raison de leur présentation, rares sont les clients qui les différencient des médicaments avec AMM. Ce sont des spécialités qui peuvent aussi, outre leur intérêt “thérapeutique”, constituer une alternative pour des clients “médicamentophobes”. Je les présente comme des produits plus naturels, en opposition avec un traitement classique plus “lourd”. Certains propriétaires y sont sensibles, en particulier dans le cas de troubles du comportement.

Les circuits parallèles ne doivent pas faire peur. A moyen terme, nous ne pourrons pas échapper à la disparition des médicaments avec AMM de nos cabinets. Il nous restera alors ces produits OTC et les aliments. Autant habituer nos clients à venir dès à présent les chercher chez nous, d’autant que comme pour les médicaments, le conseil d’un professionnel est indispensable à leur bonne utilisation.

Cela décrédibilise certaines molécules

L’augmentation du nombre de médicaments délivrés sans ordonnance peut pousser à s’interroger sur le réel avantage pour le vétérinaire, mais aussi sur la crédibilité du produit. En effet, certaines spécialités nécessiteraient une réelle prescription. Des suppléments contre le stress ou pour le soutien hépatique, pour ne citer qu’eux, se justifient dans le cadre d’une affection identifiée et en complément d’un autre traitement (médical ou comportemental). La délivrance de ces médicaments sans ordonnance peut donc être délétère en termes d’image, s’ils sont utilisés à mauvais escient. Alors que ces produits peuvent apporter une réelle amélioration dans nos démarches thérapeutiques, la vulgarisation de leur délivrance et leur emploi non ciblé et isolé leur fait perdre de leur crédibilité.

Par ailleurs, nous sommes tous victimes de la fuite des ventes de médicaments via les sites Internet qui proposent ces produits à des prix sur lesquels nous ne pouvons pas nous aligner (certains sont parfois moins chers que le tarif de vente hors taxes des centrales). Cela constitue un réel problème pour le vétérinaire, prescripteur et pharmacien. En ce sens, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et l’obligation de prescription médicale limitent la fuite des ventes.

Il est donc regrettable que les laboratoires qui sortent ces nouvelles molécules, pourtant médicalement intéressantes, ne puissent nous offrir ces AMM et restreindre la délivrance. Cependant, peut-être est-ce un choix délibéré de leur part pour ouvrir le marché au maximum et augmenter ainsi leurs ventes…

Conservons un esprit critique

En réalité, il n’existe presque aucun médicament vétérinaire répondant à la définition légale du « médicament de comptoir » (ou over the counter, OTC). Ces derniers existent en médecine humaine et sont légion, ce qui permet le transfert vers les malades d’une charge financière qui incombait à la Sécurité sociale.

En médecine vétérinaire, les produits qui répondent au cahier des charges des compléments alimentaires sont de plus en plus nombreux, mais des artifices commerciaux conduisent à les présenter comme des médicaments. Ces substances n’ont fait l’objet d’aucune évaluation scientifique indépendante, en termes tant d’efficacité, d’innocuité, de toxicité que de qualité de production. Les plaquettes de présentation utilisent cependant un vocabulaire propre à la pharmacologie (cinétique, dose efficace, etc.), quand il n’est pas fait appel à des publications de qualité scientifique parfois douteuse… En outre, ces produits sont vendus à des prix comparables à ceux de médicaments vétérinaires, ce qui accroît ainsi inconsciemment leur crédibilité auprès des prescripteurs et des propriétaires. Il conviendrait que les praticiens conservent tout leur esprit critique vis-à-vis des gammes concernées.

Les vrais médicaments vétérinaires OTC pourraient arriver sur le marché sous la pression d’autres ayants droit (pharmaciens, groupements d’éleveurs) souhaitant se soustraire à la contrainte de la prescription vétérinaire, ou sous le prétexte (fallacieux) d’économie pour le consommateur final. Les principales catégories concernées sont les antiparasitaires externes et internes, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, voire les seringues intramammaires de tarissement. Gageons que nos organisations représentatives sauront défendre les intérêts de la santé publique et ceux de la profession, qui ne pourrait accepter le transfert de compétence en matière de conseil en santé animale et d’usage des médicaments à des pharmaciens ou des techniciens d’élevage.