Une mortalité massive et brutale décime un troupeau de vaches laitières - La Semaine Vétérinaire n° 1371 du 11/09/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1371 du 11/09/2009

Cas clinique

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Lorenza Richard

La cause réelle, la toxine botulique de type D, n’a pu être établie que tardivement, grâce à la mise en commun de compétences multiples.

Deux vaches sont retrouvées mortes à la traite du matin dans une exploitation de cent soixante vaches laitières qui produisent plus de 9 700 l chacune par an. Huit autres vaches sont couchées en décubitus sterno-abdominal et meurent dans la journée, malgré les soins vétérinaires. La veille, soit douze heures auparavant, le rappel de vaccination contre la fièvre catarrhale ovine a été pratiqué par le vétérinaire sanitaire de l’exploitation, Denis Turquet, praticien à Montigny-lès-Metz (Moselle).

La Direction départementale des services vétérinaires, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et le laboratoire Intervet, fournisseur du vaccin utilisé, sont prévenus.

Le lendemain, d’autres vaches montrent des signes de faiblesse musculaire, piétinent ou font des mouvements incoordonnés, ont un regard perdu (mydriase), présentent de la dyspnée et une salivation discrète. Plusieurs vaches se couchent et ne parviennent pas à se relever lors de la distribution de l’aliment. Plus atteintes, certaines adoptent une position “en grenouille” avant de tomber dans un coma qui les conduit à la mort. Deux jours après la vaccination, vingt-sept vaches sont mortes.

Une réaction postvaccinale est rapidement écartée

Les bilans biochimiques ne montrent qu’une élévation des créatines phosphokinases (CPK), ce qui confirme la souffrance musculaire. Les autopsies pratiquées par Gilles Foucras, professeur en pathologie des ruminants à l’école de Toulouse, dépêché sur place, ne révèlent aucune lésion pathognomonique.

Les hypothèses diagnostiques sont une réaction postvaccinale (qui sera rapidement écartée en raison de la violence des cas et de l’absence de réactions dans d’autres exploitations), une intoxication (éventuellement criminelle), une alcalose hypokaliémique et le botulisme (bien que celui-ci se manifeste habituellement de façon plus sporadique).

Des prélèvements de sérum sont envoyés à l’Institut Pasteur et au laboratoire départemental d’analyses des Côtes-d’Armor (LDA 22). Des échantillons de contenu digestif sont adressés au LDA 22 pour une recherche de botulisme, ainsi qu’au Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) pour la recherche toxicologique.

Les jours suivants, alors que les premiers résultats d’analyses sont négatifs, de nouveaux cas apparaissent. Ils semblent évoluer moins brutalement, mais avec toujours de la dyspnée, un rumen compacté et un ralentissement du transit digestif (pH ruminal alcalin et pH urinaire très alcalin). Le dénouement reste inexorablement la mort des vaches, avec un encombrement bronchique et un pédalage agonique. De nouveaux prélèvements de contenu intestinal sont alors effectués. Cinq jours après la vaccination, cinquante bêtes sont mortes. « C’était une hécatombe, un vrai spectacle de désolation », se rappelle Denis Turquet.

La toxine botulique est finalement mise en évidence

Ce n’est que huit jours après les premières pertes que le gène à l’origine de la production de la toxine botulique est détecté par polymerase chain reaction (PCR) sur les fèces. Les premiers résultats sont négatifs, car « la toxine peut se déceler dans le sérum des animaux botuliques, mais en faible quantité. Seulement 25 à 30 % des bovins botuliques présentent un taux détectable de toxine dans le sérum. Cela n’est pas dû à un problème de stabilité de la toxine, mais à un processus physiopathologique encore mal compris chez les bovins », explique Michel Popoff, de l’Institut Pasteur. « Il est donc important de multiplier les prélèvements », ajoute Denis Turquet.

Aucun nouveau cas n’est à déplorer après dix jours. Le bilan s’élève à quatre-vingt-deux vaches mortes pour un préjudice estimé à plus de 300 000 €.

La clé de l’énigme : un ensilage d’herbe “frais”

L’origine de la contamination a pu être déterminée par la mise en évidence de C. botulinum de type D dans une coupe d’herbe, récoltée quelques jours auparavant, dont un échantillon avait été prélevé et congelé dès le début des mortalités. Pour ne pas polluer son silo, l’éleveur avait en effet écarté une parcelle d’herbe retournée par des sangliers. Une partie de cette herbe souillée par de la terre, et probablement par des excréments, a été immédiatement distribuée à de jeunes bovins qui l’ont ingérée sans conséquence. Le reste a été posé en plusieurs tas sur le parcours de promenade des vaches laitières. En chauffant, ces tas ont permis le développement de la bactérie.

La mort des animaux, par toxi-infection, aura été plus ou moins rapide selon la quantité d’herbe ingérée. C’est la raison pour laquelle les meilleures laitières, qui en ont consommé davantage, sont mortes les premières. Cet épisode rappelle à quel point la distribution d’ensilage “frais” peut être dangereuse.

Aujourd’hui, grâce à la solidarité agricole et à l’aide de différents intervenants, l’éleveur a pu reconstituer son troupeau, mais l’équilibre économique reste fragile.

Denis Turquet a insisté sur le fait que « c’est la mise en commun de compétences (LVD 22 et 57, DSV, CNITV, Institut Pasteur, enseignants des écoles vétérinaires françaises et belges, confrères) qui a permis de comprendre ce cas, exceptionnel par sa violence ». Avant d’ajouter avec émotion : « Cette expérience a été la plus difficile de ma vie professionnelle et je tiens à remercier tous ceux qui m’ont aidé à surmonter l’épreuve. »

Des résultats négatifs ne doivent pas faire abandonner les recherches sur prélèvements

Clostridium botulinum est un bacille à Gram positif, sporulé et anaérobie strict, qui produit une puissante toxine, la toxine botulique, à l’origine d’une affection neurologique, le botulisme.

Cette bactérie peut se multiplier dans les cadavres d’animaux à l’occasion de la putréfaction, ou dans les aliments si la température est suffisante (optimum à 35 °C). Grâce à sa spore, cette bactérie peut survivre des dizaines d’années dans l’environnement et contaminer durablement les pâturages. L’incinération des cadavres, la désinfection des locaux, l’incinération ou le chaulage des lisiers sont autant de mesures de prévention à mettre en œuvre, car « l’éradication des bactéries sporulées de l’environnement, qui est leur habitat normal, est illusoire », indique Michel Popoff, de l’Institut Pasteur. Les bovins peuvent être infectés essentiellement par le type D, mais aussi par le type C et, dans une bien moindre mesure, par les types B et A. La maladie se présente sous plusieurs formes : suraiguë (mort en quelques heures), aiguë (paralysie flasque sans fièvre suivie de décubitus sterno-abdominal et mort en quelques jours par paralysie des muscles respiratoires) et subaiguë (évolution plus lente en une semaine environ, avec démarche hésitante et mydriase, paralysie musculaire ascendante) dont les symptômes correspondent à ceux décrits dans l’exploitation touchée. Rarement, la guérison est possible, en plusieurs semaines, lors d’évolution subaiguë.

L. R.

CONFÉRENCIER

Denis Turquet, praticien à Montigny-lès-Metz (Moselle).

Article rédigé d’après la conférence présentée lors des Journées nationales des GTV à Nantes, le 13 mai 2009.

Chronologie d’une hécatombe

• J – 1 : vaccination contre la fièvre catarrhale ovine.

• J 0 : 2 vaches découvertes mortes.

• J 1 : 25 nouveaux décès dénombrés.

• J 3 : autopsies de 7 vaches, le botulisme est suspecté.

• J 4 : recherche de la toxine botulique. Les résultats sont négatifs. A ce jour, 50 animaux sont morts.

• J 8 : détection de la toxine botulique de type D sur un échantillon.

• J 9 : derniers cas.

• J 17 : confirmation de la présence de Clostridium botulinum dans le foin.

• Bilan final : 82 vaches mortes.

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