LES FEMMES ONT MIS 200 ANS À S’IMPOSER DANS LA PROFESSION - La Semaine Vétérinaire n° 1371 du 11/09/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1371 du 11/09/2009

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Auteur(s) : Nathalie Devos

Dans le domaine vétérinaire, la conjonction de l’évolution sociétale et des champs d’activité de la profession a induit une forte augmentation du nombre de femmes dans le dernier tiers du XXe siècle. Elles ont su s’insérer dans tous les débouchés d’un métier longtemps considéré comme un “bastion de la force et de la virilité masculine”… quelque peu misogyne !

Elle était russe et s’appelait Marie Kapcewitch. Cette première femme vétérinaire diplômée d’une école française est sortie d’Alfort en 1897… soit cent trente-six ans après la création de la première école vétérinaire à Lyon ! Et il a fallu attendre quarante et un ans de plus pour la deuxième, Jeanne Miquel, entrée à Alfort en 1934. Les choses ont bien changé. Aujourd’hui, parmi les 17 038 vétérinaires en activité sur le territoire français qui figurent dans la base de l’Annuaire Roy 2009, 6 536 sont des femmes, soit 38 %.

Dans les années 70 à 80, les femmes représentaient 10 à 30 % des candidats admis au concours d’entrée dans les écoles vétérinaires. Ce taux a atteint 30 à 50 % dans les années 80 à 90, puis 50 à 60 % dans les années 90 à 2000 et 60 à 75 % de 2000 à nos jours. La féminisation de la profession est donc un phénomène récent, qui découle d’un ensemble de facteurs socio-conjoncturels.

Jusqu’en 1970, les femmes vétérinaires sont un phénomène marginal

L’arrivée lente et tardive des femmes dans la profession vétérinaire s’explique d’abord par la piètre place qui leur est accordée dans la société jusqu’au XIXe siècle. Elles ne sont alors considérées que comme des futures mères et des êtres physiquement et psychologiquement inférieurs aux hommes (voir l’article en page 31). Lors de la création de la première école à Lyon, en 1761, il est inimaginable qu’une femme puisse y suivre des cours, car elle « n’aurait pas été capable » d’apprendre les leçons, de « forger en deux chaudes » (appliquer un fer sur le sabot d’un cheval en ne l’ayant porté au rouge que deux fois), un prérequis obligatoire pour entrer à l’école, d’effectuer des interventions pénibles et de gagner la confiance des paysans. En outre, à partir de 1890, l’obligation de posséder le baccalauréat pour passer les épreuves d’admissibilité aux écoles vétérinaires ferme encore un plus leurs portes aux femmes, car l’équivalence de cet examen entre filles et garçons ne sera accordée qu’en 1924.

Si peu à peu, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, des mesures significatives sont mises en place pour l’émancipation éducative des femmes, ces dernières n’ont véritablement profité de l’opportunité d’enseignement offerte par les écoles vétérinaires qu’après la Seconde Guerre mondiale. La première promotion comprenant plusieurs étudiantes dans ses rangs n’est sortie qu’en 1942. C’était à Alfort et elles étaient trois.

Force est de constater que jusqu’en 1970, être une femme vétérinaire est synonyme de marginalité. Dans un univers presque exclusivement masculin, elles sont peu nombreuses à suivre les traces de mademoiselle Miquel. Ainsi, en 1968, seulement cent quarante et une femmes sont sorties des ENV depuis leur création. L’année suivante, le taux moyen d’étudiantes dans ces établissements n’est encore que de 10 %, alors qu’il avoisine les 40 à 45 % dans les universités à la même époque. Des chiffres qui illustrent clairement le retard de l’émergence féminine dans la profession vétérinaire par rapport à d’autres secteurs comme la pharmacie, le dentaire ou la médecine. En 1962, par exemple, alors que les bancs des amphithéâtres sont respectivement occupés à 45 % et à 20 % par des étudiantes en pharmacie et en médecine, elles ne sont que 3 % dans les écoles vétérinaires. Cette désaffection, plus que par les études longues et fastidieuses, s’explique certainement par les caractéristiques du métier encore très physique et considéré, en conséquence, comme “exclusivement” masculin.

Une activité essentiellement rurale, couplée à la misogynie des pairs

Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, le principal débouché de la profession est en effet la pratique rurale. La plupart des interventions concernent des colites chez les chevaux, des vêlages, des poulinages, des castrations ou encore des déferrages et des soins de pieds. Un exercice assez physique qui ne peut être contrebalancé par les moyens de contention chimique, encore peu développés. Une forte constitution est donc recommandée.

Par ailleurs, la discipline et les brimades en vogue dans les écoles vétérinaires en font des établissements “d’hommes”, où la misogynie ambiante est dénoncée par les rares étudiantes. L’absence de mixité de l’internat constitue un obstacle supplémentaire. Les pionnières sont considérées comme des curiosités et, plusieurs dizaines d’années plus tard, les femmes devront encore batailler pendant la première année pour se faire accepter. Mais une fois l’intégration réussie, elles entretiennent des relations cordiales avec leurs homologues masculins. Les rapports sont également bons avec le corps professoral, selon 70 % d’entre elles, les autres signalant de mauvaises relations avec certains professeurs misogynes, septiques ou juste condescendants(1)

Toutefois, dès le début du XXe siècle, la traction animale perd du terrain, remplacée progressivement par l’automobile et le machinisme agricole, et la cavalerie militaire est réduite à une peau de chagrin. La disparition de ces deux secteurs qui fournissent l’essentiel de leur activité aux vétérinaires, couplée au développement des cheptels de bovins, de porcs et de volailles, et à l’émergence des soins aux chiens et aux chats, permet à la profession de diversifier ses activités.

Une diversification des débouchés propice aux femmes

Dans les années 70, les révolutions culturelles et sociétales modifient profondément la donne. Le nombre de petits animaux (qui deviennent des “animaux de compagnie”) progresse de façon fulgurante, entraînant une forte croissance des praticiens canins en l’espace de cinquante ans. Alors qu’ils ne sont qu’environ deux cents en 1951, leur effectif atteint près de deux mille cinq cent en 1996. Parallèlement, l’élevage se modifie en profondeur entre 1960 et 1980. Si la population active agricole et le nombre d’exploitations baisse, les productions animales s’intensifient. Au fil du temps, le vétérinaire devient zootechnicien, conseiller et hygiéniste. L’apparition de nouvelles techniques, de nouveaux instruments et le développement de la contention chimique permettent parallèlement de réduire les efforts physiques exigés par la pratique rurale. Plus besoin d’être Musclor pour prétendre y faire carrière ! Les modes d’exercice changent aussi, avec la floraison des associations qui, grâce à un travail en équipe, permettent à chacun de profiter de temps libre.

Les opportunités d’emplois se développent également hors clientèle, en laboratoire, dans l’industrie pharmaceutique, les services vétérinaires, l’enseignement, ou encore dans les secteurs de l’hygiène alimentaire et de l’agroalimentaire.

Du côté des écoles, les femmes sont admises dans les internats en 1977, ce qui permet à nombre d’entre elles de s’engager dans les études vétérinaires. Les années 70 à 80 sont marquées par une progression forte et constante du nombre de candidates reçues au concours d’entrée. Et plus elles franchissent les portes des ENV, plus les difficultés d’intégration s’estompent. A partir des années 80, le traitement réservé aux filles semble enfin identique à celui des leurs homologues masculins… lors du bizutage comme dans la vie étudiante. Les marques de misogynie relevées par quelques-unes dans les années 50 et 60 régressent. Dans le même temps, le sexisme des vétérinaires ruraux qui refusaient d’embaucher des femmes diminue. Elles sont également mieux acceptées par les éleveurs, eux-mêmes plus diplômés et moins rétrogrades.

Qu’ils soient filles ou garçons, un autre changement profond est observé chez les étudiants vétérinaires, dont les origines socio-professionnelles ont été bouleversées en l’espace d’un siècle. Les enfants d’agriculteurs ne sont désormais plus majoritaires sur les bancs des amphithéâtres, dont la plupart des occupants ont grandi en milieu urbain.

Pour toutes ces raisons, les femmes ont fini par trouver leur place dans la profession, occupant des créneaux “sous-exploités” par les hommes au début de la “diversification” (voir graphique). En revanche, un bastion a mis du temps à tomber : celui de l’enseignement. Il aura fallu attendre les années 80 pour voir une chaire occupée par une femme. Si les consœurs sont aujourd’hui davantage représentées dans le corps enseignant, leur effectif reste inférieur à celui des hommes. L’observation vaut également pour les instances professionnelles. Malgré tout, après deux siècles de compétition, le sexe dit faible est désormais entré en force dans la profession, n’en déplaise à certains.

  • (1) Sources : enquête réalisée par Christel Berthelot dans le cadre d’un mémoire d’histoire (1998) et thèse d’Eric Marquet (soutenue en 1967).

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