Autour de la polykystose rénale du chat - La Semaine Vétérinaire n° 1370 du 04/09/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1370 du 04/09/2009

Cas cliniques de néphrologie

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Jean-Pierre Pagès

Fonctions : diplomate Ecvim, praticien à Saint-Orens de Gameville (Haute-Garonne). A récemment collaboré à l’ouvrage collectif sur Les maladies héréditaires ou à prédisposition raciale chez le chat, paru aux éditions du Point Vétérinaire, en rédigeant le chapitre sur les affections héréditaires de l’appareil urinaire

Le syndrome d’insuffisance rénale chronique apparaît tardivement. Des manifestations systémiques peuvent exister lors de deuxième lésion rénale, ou consécutives à l’IRC.

CAS CLINIQUE N° 1 : GAMMAPATHIE MONOCLONALE CHEZ UN CHAT ATTEINT D’UNE POLYKYSTOSE RÉNALE

Une chatte persane stérilisée, âgée de onze ans, est présentée en consultation pour une baisse de forme et une diminution de l’appétit apparues un mois auparavant. L’animal est maigre (1,9 kg, alors que son poids normal est estimé à 2,5 kg). Il existe des lésions rétiniennes bilatérales, pigmentaires, généralisées et de couleur grisée. Elles ne sont accompagnées ni d’hémorragie ni de dégénérescence. A la palpation abdominale, les reins sont plutôt volumineux (3 cm de longueur) et bosselés. Un bruit de galop et un souffle systolique, d’intensité 4 sur 6, audible à droite et à gauche dans toute la zone d’auscultation cardiaque, sont notés. Les urines prélevées par cystocentèse sont incolores, limpides, de pH 5, riches en protéines (4 +). La densité urinaire est de 1,020. Le rapport entre les protéines urinaires et la créatinine urinaire est de 7,2 (norme inférieure à 0,5). Aucun sédiment anormal n’est observé et la mise en culture des urines reste stérile.

Anomalies cardiovasculaires et hyperprotidémie sont mises en évidence

Les valeurs de l’hémoglobine (5,7 g/100 ml, norme 8 à 15/100 ml), de la créatinine (33 mg/l, norme 7 à 18 mg/l), du cholestérol (0,57 g/l, norme 0,97 à 2,7 g/l), de la natrémie (161 mEq/l, norme 141 à 155 mEq/l) et de la protidémie (89 g/l, norme de 60 à 80 g/l) sont anormales. L’électrophorèse des protéines sériques met en évidence un pic monoclonal dans la zone de dépôt des gammaglobulines. A l’échocardiographie, les deux parois des oreillettes et du ventricule droit sont moyennement hypertrophiées. L’échographie abdominale montre un épanchement abdominal de moyenne importance, une hypertrophie du foie avec une dilatation du réseau vasculaire et une polykystose rénale constituée respectivement dans les deux reins de quatre et cinq kystes volumineux (entre 0,5 et 1,2 cm de diamètre). La pression artérielle systolique mesurée avec un appareil Doppler est de 200 mmHg (norme inférieure à 160 mmHg).

Malgré les examens complémentaires, l’origine de l’hyperprotidémie reste inconnue

Après cette première consultation, d’autres examens sont effectués au cours de la semaine suivante. L’analyse de l’épanchement, les radiographies du thorax et de la totalité du squelette et une ponction de moelle osseuse donnent les résultats suivants :

– l’épanchement est un transsudat ;

– la radiographie du poumon confirme la cardiomégalie, sans autre anomalie, en particulier aucune tumeur pulmonaire ;

– les clichés du squelette ne mettent pas en évidence de lésion osseuse ;

– la moelle est pauvre, de densité cellulaire de grade 2, sans argument en faveur d’une infiltration lymphocytaire ou plasmocytaire.

La ponction de la moelle a été pratiquée par voie transtrochantérienne. Bien que le prélèvement ait été effectué sans difficulté, un saignement important au point de ponction apparaît quelques heures après celle-ci, entraînant une anémie et une détérioration sévère de l’état général de l’animal. La chatte est alors transfusée (30 ml de sang frais). Un traitement associant un hypotenseur (amlodipine à la dose de 0,5 mg une fois par jour) et un anti-inflammatoire stéroïdien (prednisolone, 1 mg per os toutes les douze heures), destiné à diminuer la sécrétion de la gammapathie monoclonale, est mis en place. L’état général de l’animal s’améliore, la créatinine et la tension artérielle diminuent.

Un mois plus tard, l’état général se dégrade à la suite de la détérioration de la fonction cardiaque (troubles du rythme, dyspnée) et de l’aggravation de l’insuffisance rénale. L’animal est euthanasié.

L’autopsie n’apporte aucun élément nouveau par rapport au diagnostic clinique : cardiomégalie, rein polykystique, foie hypertrophié et congestif. Sur le plan histologique, le rein est affecté d’une importante tubulopathie myélomateuse typique, qui se caractérise par de volumineux cylindres polychromatophiles, souvent ornés de cellules géantes macrophagiques. Les tubes sont dilatés et parfois microkystiques. Ils sont sertis par un interstitium densifié, modérément fibreux, et ponctués de cellules inflammatoires polymorphes. Les glomérules et les vaisseaux sont globalement normaux (voir photos 1, 2, 3). L’histologie hépatique confirme le caractère de “foie cardiaque” et l’histologie cardiaque montre une hypertrophie musculaire. Dans ces deux organes, aucun dépôt amyloïde ni infiltration lymphoplasmocytaire ne sont notés.

La polykystose est associée dans ce cas à un syndrome d’hyperviscosité sanguine

La mise en évidence d’une anomalie manifeste comme la polykystose rénale conduit le praticien, dans la plupart des cas, à un diagnostic d’insuffisance rénale secondaire à cette lésion héréditaire, négligeant la seconde lésion rénale induite par la présence d’une sécrétion d’une immunoglobuline monoclonale. Le dossier de ce cas clinique est incomplet, car les examens complémentaires n’ont pas permis d’identifier le site tumoral ou inflammatoire sécrétant.

La forte protéinurie suggère que la polykystose peut être accompagnée d’une autre lésion, que l’histologie pourra déterminer. Dans ce cas clinique, la lésion sécrétante n’a pas été identifiée. Parfois, plusieurs mois sont nécessaires pour que le diagnostic soit complet. Chez le chien, dans une série de dix-huit cas de gammapathie monoclonale, la latence de découverte du site a été de plus d’un an pour un individu(1). Ainsi faut-il prendre en considération la concomitance de plusieurs lésions rénales, soit indépendantes, soit induites par la lésion rénale primitive.

L’hypertrophie cardiaque, l’hypertension et la rétinopathie attribuées au début à une cardiomyopathie et à l’insuffisance rénale sont vraisemblablement la conséquence du syndrome d’hyperviscosité sanguine due à l’immunoglobuline, elle-même sécrétée par des plasmocytes ou des lymphocytes.

Le saignement abondant secondaire à la ponction de moelle provient du syndrome d’hyperviscosité (thrombasthénie, vascularite induite, etc.).

Les lésions rénales associées à une gammapathie monoclonale sont nombreuses : glomérulonéphrite, amyloïdose, lésion d’origine infectieuse par immunodéficience (pyélonéphrite, abcès du rein, pyonéphrite), néphrocalcinose, infiltration tumorale du rein. La tubulopathie myélomateuse est due au dépôt d’immunoglobulines dans les cellules tubulaires rénales. Le terme de rein kahlérien est aussi utilisé.

CAS CLINIQUE N° 2 : NE PAS SE FOCALISER SUR LES KYSTES PÉRIRÉNAUX

Une chatte de race européenne, stérilisée et âgée de huit ans, est présentée en consultation pour une baisse d’appétit et une asthénie sévère, apparues quatre jours auparavant. Le poids de l’animal est normal. Sa température est de 38,5 °C, ses muqueuses sont pâles et l’abdomen est distendu par une masse abdominale sous-gastrique, oblongue, d’un diamètre de 8,5 à 9 cm. Un souffle systolique, d’intensité 4 sur 6, est présent. Les urines prélevées par cystocentèse sont jaunes, limpides, de pH 5, de densité 1,020 et riches en protéines (3 +). Il existe une glucosurie (2 +), la réaction peroxydasique est positive (3 +). Le rapport entre les protéines urinaires et la créatinine urinaire est de 5,6 (norme inférieure à 0,5) et la mise en culture des urines reste stérile.

L’analyse sanguine montre que quelques paramètres sortent des valeurs usuelles. Une anémie (hémoglobinémie de 4,9 g/100 ml, norme de 8 à 15/100 ml), associée à une valeur basse des réticulocytes (16,4 x 103/µl, norme 60 x 103/µl) et à une augmentation de l’urée (1,74 g/l, norme de 0,15 à 0,50 g/l), de la créatinine (43 mg/l, norme de 7 à 18 mg/l), du calcium (128 mg/l, norme de 88 à 113 mg/l) et des phosphates (115 mg/l, norme de 42 à 65 mg/l) sont observées.

Le tracé électrophorétique des protéines sériques est sensiblement normal, seules les β-globulines sont légèrement augmentées. L’échocardiographie montre une hypertrophie modérée du myocarde, plus marquée au niveau du septum. L’échographie abdominale fait apparaître que la masse qui déforme l’abdomen est constituée de deux anomalies affectant les reins, une polykystose rénale et des kystes périrénaux. La surface de contact des deux kystes périrénaux est plane et contraste avec le reste du volume, qui est oblong. Le parenchyme rénal est déformé par une dizaine de gros kystes (voir photos 4 à 6). La pression artérielle systolique effectuée avec un appareil de type Doppler est de 220 mmHg (norme inférieure à 160 mmHg).

L’hypertension est secondaire à l’insuffisance rénale

Le diagnostic est donc celui d’une insuffisance rénale associée à une hypertension artérielle. Comme pour toute insuffisance rénale, le diagnostic se doit de répondre aux questions suivantes : quel est le type d’insuffisance rénale, de lésion rénale ? L’hypertension artérielle est-elle primaire ou secondaire ?

Il s’agit dans ce cas d’une insuffisance rénale chronique responsable de l’anémie et de l’hypokaliémie. La lésion est une polykystose rénale. Il existe des troubles fonctionnels ou lésionnels tubulaires (glucosurie avec une euglycémie) et peut-être glomérulaires (forte protéinurie). L’augmentation des globulines traduit un état inflammatoire (rénal ou extrarénal), associé ou non à la polykystose. Les deux kystes périrénaux n’ont aucune relation avec la polykystose rénale. Chez le chat, ces formations peuvent accompagner tout type de lésion rénale (lymphome, néphrite interstitielle chronique, pyélonéphrite, polykystose). Elles sont sans conséquences. Si les kystes périrénaux deviennent trop volumineux, ils peuvent être réduits par une ponction-aspiration ou chirurgicalement. L’hypertension est, quant à elle, secondaire à l’insuffisance rénale.

Traiter l’hyperphosphatémie est indispensable

Le traitement médical repose sur le contrôle de l’anémie, de l’hyperphosphatémie et de l’hypertension artérielle. Le traitement de l’anémie fait appel à l’administration d’érythropoïétine à la dose de 50 UI/kg, trois fois par semaine. L’hyperphosphatémie doit être rapidement contrôlée, car elle est corrélée à l’augmentation de l’urée et de la créatinine. Elle provoque une sursaturation de sels phospho-calciques qui précipitent dans les tissus mous (aorte, viscères abdominaux, parenchyme rénal). Pour le rein, cela représente une lésion supplémentaire, avec la disparition plus rapide du capital néphronique restant. La précipitation du calcium entraîne une baisse de cet ion et une tendance à l’hypocalcémie qui est corrigée par une hausse de la sécrétion des parathyroïdes (hyperparathyroïdie secondaire d’origine rénale). Le traitement consiste soit à mettre en place une alimentation spécifique pauvre en phosphates, soit à administrer des chélateurs des phosphates. Quant à la prise en charge de l’hypertension artérielle, deux médicaments sont choisis : l’amlodipine, à raison de 0,625 mg/jour per os (Amlor®) et le furosémide, 5 mg matin et soir per os. L’amélioration clinique est rapide et confirmée par l’augmentation du nombre d’hématies et la baisse de la pression artérielle. Les valeurs de la créatinine s’élèveront progressivement jusqu’à la mort de la chatte, survenue six mois plus tard, avec une bonne qualité de vie.

Tout comme dans le premier exemple clinique, il est important de décomposer le cas pour mieux comprendre la physiopathologie de la maladie et ne pas se polariser sur les spectaculaires kystes périrénaux. Le traitement des conséquences (anémie, hypertension artérielle, hyperphosphatémie) permet d’assurer à l’individu malade des conditions de vie satisfaisantes.

  • (1) J.-M. Giraudel, J.-P. Pagès : « Monoclonal gammopathies in the dog : a retrospective study of 18 cases (1996-1999) », J. Am. Anim. Hosp. Assoc., 2002, vol. 38, n° 2, pp. 135-147.

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