Les loups de l’Isle Royale souffrent de malformations vertébrales congénitales sévères

Le parc national d’Isle Royale, situé sur le lac Supérieur, en Amérique du Nord, est renommé pour sa population d’environ vingt-cinq loups et mille élans, qui ont colonisé l’île au milieu du XX^e siècle, profitant d’un gel exceptionnel du lac. Depuis plusieurs décennies, ils font l’objet de la plus longue étude jamais menée sur les rapports entre proies et prédateurs dans un environnement fermé. Les recherches génétiques suggèrent que la population des loups, divisée en trois meutes, descend d’une seule femelle et d’un ou deux mâles. Malgré une consanguinité élevée, en raison de l’isolement total, les paramètres démographiques, la survie et la reproduction notamment, sont tout à fait comparables à ceux des populations continentales de loups. Jusqu’à présent, ceux de l’Isle Royale étaient considérés comme la preuve qu’une faible population de loups peut être viable et éviter la détérioration génétique. Cependant, des chercheurs de l’université technologique du Michigan viennent de démontrer qu’ils sont victimes de cette détérioration génétique, dont l’impact ne se situe pas au niveau de la population, mais sur la morphologie individuelle.

Un tiers des loups présentent une vertèbre de transition lombo-sacrée

L’examen de trente-six squelettes entiers de loups retrouvés sur l’île depuis 1964 montre que 58 % présentent des malformations dans la région lombo-sacrée. L’incidence de ces malformations est croissante, et aucun squelette normal n’a été observé depuis 1993. Les anomalies observées sont essentiellement la présence d’une vertèbre lombaire supplémentaire chez 25 % des loups, et d’une vertèbre de transition lombo-sacrée chez 33 %. D’autres cas de vertèbres de transition unilatérales ou bilatérales sont également notés dans la région cervicale ou au niveau des jonctions thoraco-lombaire et sacro-coccygienne, ainsi que des asymétries vertébrales diverses.

Les vertèbres de transition présentent les caractéristiques morphologiques des deux types vertébraux adjacents. Si les conséquences cliniques de telles malformations osseuses sont inconnues chez le loup, elles correspondent au syndrome de la queue de cheval chez le chien. La compression des racines nerveuses issues du segment L6-S1 à la suite d’un rétrécissement du canal rachidien et/ou d’une instabilité de l’articulation lombo-sacrée entraîne une ataxie, une parésie, des difficultés locomotrices et des troubles proprioceptifs des membres postérieurs et de la queue, qui s’accompagnent de douleur et d’incontinence.

En janvier dernier, le cadavre d’un jeune loup, mort sous les coups d’un élan, a été découvert. En dépit de son jeune âge, il présentait des lésions d’arthrite sévère, probablement causées par ses malformations osseuses. Elles l’auraient handicapé pour se défendre. L’observation d’un impact direct sur la survie des individus reste anecdotique, mais l’étude démographique de la population des loups, dans le cadre du système prédateur-proie, indique une baisse du nombre ou du succès des attaques. Les malformations vertébrales, en diminuant les performances de prédation, ont probablement une conséquence sur la dynamique de la population de l’Isle Royale.

L’opportunité d’initier un “sauvetage génétique” fait débat

« Il y a maintenant de bonnes raisons de penser que les loups de l’Isle Royale souffrent d’une détérioration génétique due à la consanguinité », constatent les chercheurs. A titre de comparaison, une vertèbre de transition lombo-sacrée n’a été retrouvée que chez 1 % des individus d’une population de loups finlandaise non sujette à la consanguinité. En outre, chez le chien, les vertèbres de transition sont plus communes parmi les races qui présentent une consanguinité.

L’introduction d’individus non apparentés aux loups de l’Isle Royale permettrait un apport de gènes qui atténuerait efficacement la détérioration génétique. Cependant, cette solution simple repose sur une prise de décision compliquée, car elle fait intervenir plusieurs questions éthiques. « Cela implique de trouver un équilibre entre des valeurs associées au respect de la vie sauvage, à la connaissance scientifique, à la santé des écosystèmes et au bien-être animal », soulignent les auteurs. Les hommes ont-ils le droit d’intervenir systématiquement dans un processus naturel ? Doivent-ils risquer de perdre les informations scientifiques délivrées par un modèle populationnel unique ou l’expérience acquise par une tentative de sauvetage génétique qui pourrait bénéficier à d’autres espèces ? Une intervention ne déplacera-t-elle pas l’équilibre prédateur-proie en faveur des loups, face à une population d’élans affaiblie par les tiques et le réchauffement climatique ? Ne faut-il pas soulager les loups d’une maladie qui leur occasionne une grande souffrance physique ? Les scientifiques du parc national de l’Isle Royale lancent le débat sur leur blog et invitent le public à prendre position.

• Sources : J. Räikkönen et coll. : « Congenital bone deformities and the inbred wolves (Canis lupus) of Isle Royale », Biol. Conserv, 2009 ; www.isleroyalewolf.org