L’amitriptyline est indiquée lors de douleurs neuropathiques - La Semaine Vétérinaire n° 1367 du 03/07/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1367 du 03/07/2009

Analgésie féline

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Stephan Mahler*, Karine Ménier**

Fonctions :
*consultant en chirurgie à Acigné (Ille-et-Villaine)
**praticienne à Acigné (Ille-et-Villaine)

La douleur neuropathique, chronique, est méconnue en médecine vétérinaire. Sa prise en charge est différente de la douleur “classique” par excès de nociception.

Au cours des dernières années, les connaissances dans le diagnostic et le traitement de la douleur ont considérablement évolué en médecine vétérinaire. La douleur aiguë par excès de nociception (d’origine traumatique ou chirurgicale) est sans doute celle que le praticien est amené à gérer le plus souvent. Les médicaments efficaces pour la traiter sont facilement disponibles (la plupart d’entre eux sont à usage vétérinaire) et leurs protocoles d’utilisation sont largement publiés.

La douleur neuropathique est un type de douleur chronique méconnue en médecine vétérinaire. Ses mécanismes physiopathologiques et sa gestion diffèrent beaucoup de ceux de la douleur par excès de nociception, ce qui la rend souvent rebelle au traitement et déroutante pour le praticien. Voici deux cas de douleur neuropathique chez le chat, qui illustrent l’originalité de son traitement.

Cas 1 : une douleur neuropathique fait suite à une thrombo-embolie

Un chat européen âgé de quatre ans est présenté en consultation pour une paralysie des membres postérieurs d’apparition brutale. Les examens clinique et neurologique mettent en évidence l’absence de proprioception, de sensibilité et de pouls fémoral au niveau des deux postérieurs, dont les extrémités distales sont froides. Aucun souffle cardiaque n’est audible. Une cardiomyopathie hypertrophique est diagnostiquée par échographie. L’hypothèse d’une thrombose cardiaque et d’une embolie au niveau de la bifurcation aortique est la plus probable. Pour des raisons financières et en raison de la difficulté à médicaliser le chat, le traitement consiste en une prescription de 2,5 mg de chlorhydrate de bénazépril (Fortékor® 5 mg) par voie orale, une fois par jour. La récupération fonctionnelle est progressive. En quelques semaines, le chat est capable de se déplacer de nouveau sans difficulté majeure. En revanche, une boiterie du postérieur gauche persiste, avec une suppression d’appui presque constante. L’examen clinique ne révèle aucune anomalie, en particulier l’absence de douleur lors de la palpation et de la manipulation du membre.

Un mois après l’accident vasculaire, le comportement du chat commence à changer. Il évite les interactions avec ses propriétaires (jeux, caresses) et reste blotti à l’intérieur de son panier de transport la plupart du temps (voir photo 1). Une baisse d’appétit et un amaigrissement sont également constatés. Du méloxicam (Métacam® à la dose de 0,1 mg/kg pendant trois semaines) n’apporte aucune amélioration. Du sulfate de morphine (Skénan® LP 10 mg, à raison de 1 mg/kg/j, per os) provoque une intolérance chez l’animal (anxiété, salivation). Ce traitement est interrompu au bout de trois jours, sans qu’aucun bénéfice ne soit constaté. De l’amitriptyline est prescrite (Laroxyl®, spécialité humaine, à la dose de 3 mg/kg, une fois par jour pendant deux mois). Une amélioration clinique est notée dans les trois premiers jours du traitement. Trois semaines après le début de celui-ci, le chat ne boite plus et a un comportement exploratoire et social normal. Aucun effet indésirable n’est observé pendant le traitement et aucune récidive n’est constatée à l’occasion du suivi à huit mois.

Cas 2 : une allodynie de la queue entraîne des automutilations

Un chat mâle castré, âgé d’un an, est vu en consultation pour des automutilations de la queue apparues trois à quatre mois auparavant. Il vivait initialement en maison et avait accès à l’extérieur. A l’âge de six mois, il est parti vivre en appartement. Les premiers signes notables (baisse d’appétit, amaigrissement) sont apparus peu de temps après. Il s’isole de plus en plus, évite les contacts avec ses propriétaires et manifeste des comportements agressifs. En parallèle, il fait des “crises” quotidiennes, de plus en plus fréquentes, de jour comme de nuit. Elles sont décrites comme des « coups de folie », des courses dans tout l’appartement et des manifestations extrêmement violentes au cours desquelles le chat miaule, feule et grogne soudainement, présente des tremblements musculaires puis attaque littéralement sa queue, en la griffant et en la mordant. Un premier vétérinaire a donné des conseils comportementaux et a prescrit des « sédatifs » (la molécule n’a pas pu être précisée), sans amélioration.

L’examen clinique révèle de nombreuses cicatrices sur toute la longueur de la queue, avec des poils arrachés ou cassés par un léchage excessif. La palpation et la manipulation de la queue ne semblent pas déclencher de douleur aiguë, mais l’examen est difficile à interpréter, car le chat tolère mal le contact physique : il manifeste rapidement de l’agressivité lorsque la région sacrée ou la queue est caressée, suggérant de l’allodynie. Le reste de l’examen clinique est normal. Les hypothèses diagnostiques incluent la douleur neuropathique, les maladies du bas appareil urinaire (en particulier une cystite) et les troubles de l’humeur (dysthymie) avec des crises productives. Les examens complémentaires comprennent une radiographie de face et de profil de la queue, du bassin et du rachis lombo-sacré, une échographie abdominale incluant la vessie. Ils ne font apparaître aucune anomalie. Le traitement mis en place comprend du méloxicam (Métacam®, à la dose de 0,1 mg/kg/j pendant une semaine) et de l’amitriptyline (Laroxyl®, à raison de 5 mg/kg une fois par jour pendant un mois, puis 5 mg/kg tous les deux jours pendant deux semaines, puis 2,5 mg/kg tous les deux jours pendant deux semaines). Durant les trois premiers jours, la fréquence et l’intensité des crises diminuent nettement. Dix jours après le début du traitement, le chat a retrouvé un comportement plus paisible, voire normal. Les signes de mutilation réapparaissent deux mois après l’arrêt du traitement. Il est donc prolongé à dose dégressive pendant un mois supplémentaire, à l’issue duquel les signes cliniques disparaissent. Aucun effet indésirable n’est observé pendant le traitement et aucune récidive n’est constatée durant le suivi de deux ans.

La douleur neuropathique apparaît souvent plusieurs semaines après la lésion initiale

La douleur neuropathique se manifeste lorsque le système nociceptif, périphérique ou central est lésé. Elle peut faire suite à une désafférentation du système nerveux périphérique (neuropathie, écrasement, étirement ou section d’un nerf périphérique) ou central (accident vasculaire cérébral, traumatisme médullaire, etc.). Lors de douleur neuropathique, des dysfonctionnements du système nerveux sont décrits, à la fois périphériques et centraux : activation des récepteurs NMDA (N-méthyl-D-aspartate), surexpression des canaux ioniques sodiques et calciques, communications/connexions aberrantes entre les différentes zones neuronales. Ces dysfonctionnements peuvent être associés à des lésions des systèmes nerveux inhibiteurs et à des interactions anormales entre les systèmes somatique et nerveux neurovégétatif, en particulier sympathique. A différents sites du trajet nerveux, une activité spontanée, un abaissement du seuil d’excitabilité et une réponse exagérée à un stimulus donné peuvent apparaître, à l’origine d’allodynie et d’hyperalgésie. L’allodynie est définie comme une douleur résultant d’un stimulus qui, ordinairement, ne provoque pas de réponse douloureuse. L’hyperalgésie est une sensibilité exagérée à un stimulus douloureux. L’ensemble de ces phénomènes n’a pas de finalité biologique évidente. La douleur neuropathique apparaît souvent avec une latence de plusieurs semaines (voire plusieurs mois) après la lésion initiale. L’origine neuropathique d’une douleur est aisément identifiée dans un contexte connu de lésion neurologique. Pour le chat du premier cas, l’origine de la douleur est vraisemblablement une ischémie médullaire due à l’embolie. Elle a pu provoquer une lésion de la moelle et la formation d’un névrome occasionnant la douleur. En l’absence d’examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM), il est toutefois difficile de confirmer cette éventualité. Une autre hypothèse est une lésion de dévascularisation isolée au niveau d’un nerf périphérique, entraînant une lésion nerveuse ischémique modérée réversible.

L’origine de la douleur est parfois difficile à identifier, en particulier dans certaines conditions comme le cancer ou les séquelles traumatiques ou postchirurgicales. Ainsi, pour le chat du second cas, aucune cause ou traumatisme déclenchant n’a été identifié. Un traumatisme de la queue survenu lors d’une sortie à l’extérieur (écrasement, traction, morsure), à l’origine d’une lésion nerveuse périphérique de type désafférentation (voir photo 2), constitue une hypothèse probable. Les troubles de l’humeur ont été écartés étant donné l’amélioration rapide et de la guérison complète des crises. En effet, le traitement de troubles du comportement est compliqué et le pronostic est généralement mauvais.

Dans les deux cas, les expressions douloureuses se sont réellement manifestées plusieurs semaines après le traumatisme ou la lésion primaire, ce qui caractérise classiquement les douleurs neuropathiques.

Le diagnostic chez l’animal passe par l’exclusion des autres causes de douleur

Chez l’homme, les douleurs neuropathiques sont le plus souvent décrites comme des sensations de brûlures continues, associées ou non à des phénomènes fulgurants et intermittents (ressentis comme des décharges électriques ou des éclairs douloureux) et à des dysesthésies (fourmillements, picotements). En revanche, en médecine vétérinaire, peu de publications décrivent ses caractéristiques. En l’absence de communication verbale, le diagnostic repose sur l’anamnèse et les commémoratifs, l’examen clinique, l’élimination des autres causes de douleur (en particulier par excès de nociception). Dans le premier cas décrit, l’apparition d’un syndrome douloureux chronique plusieurs semaines après une lésion nerveuse initiale clairement identifiée a été l’élément clé du diagnostic. Dans le second cas, les douleurs paroxystiques, fulgurantes (que l’on imagine bien comme des “décharges électriques”), associées à de l’allodynie, sans lésion tissulaire primitive identifiée, ont orienté vers une origine neuropathique de la douleur.

Différents stades d’évolution du syndrome douloureux chronique sont décrits chez l’homme. Au stade I, il est associé à des réactions émotionnelles liées à la perception de la douleur pendant la phase aiguë (peur, anxiété, inquiétude). Il se caractérise au stade II par un répertoire plus large de réactions comportementales inappropriées (agressivité, dépression, colère). Une symptomatologie dépressive est ainsi décrite dans 20 à 50 % des cas de douleur chronique. Dans le stade III, un syndrome de déconditionnement apparaît qui, chez l’homme, se caractérise par l’adoption d’un “rôle de malade” (sick role), lui permettant d’évincer les responsabilités normales et les obligations sociales auxquelles il ne peut plus faire face. L’adaptation et l’utilisation de cette classification semblent possibles pour les animaux qui souffrent de douleurs chroniques. Ainsi, les réactions comportementales inappropriées (état “dépressif”, isolement, diminution de l’appétit, agressivité) des deux chats décrits suggèrent un stade II de syndrome de douleur chronique.

Les effets analgésiques des antidépresseurs tricycliques apparaissent en quelques jours

Les douleurs neuropathiques répondent mal aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et aux opioïdes, car elles n’empruntent pas les voies “physiologiques” de la douleur par excès de nociception (transduction, conduction, transmission, modulation, intégration). Les médicaments administrés par voie orale qui ont montré un intérêt dans le traitement de ces douleurs agissent principalement en diminuant l’activité spontanée des neurones et en bloquant les canaux sodiques (lidocaïne, antidépresseurs tricycliques et anticonvulsivants), en inhibant les canaux calciques (anticonvulsivants), en augmentant l’inhibition par des agonistes GABA, en inhibant le recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (antidépresseurs tricycliques) ou en diminuant l’activation des récepteurs au glutamate, en particulier les récepteurs NMDA (kétamine, amantadine, antidépresseurs tricycliques).

L’expérience clinique la plus documentée concerne les antidépresseurs tricycliques, surtout l’amitriptyline. Les doses utilisées pour traiter la douleur neuropathique sont beaucoup plus faibles que celles employées dans le cadre de la dépression. Les observations cliniques en médecine humaine montrent que les effets analgésiques se manifestent en quelques jours (alors que deux semaines sont habituellement nécessaires pour voir apparaître les effets antidépresseurs). Il est donc souhaitable d’initier le traitement avec des doses faibles et de les augmenter en cas de réponse insuffisante. Cette caractéristique pourrait également être vérifiée chez le chat, comme le suggèrent nos observations, puisque les signes de douleur ont nettement diminué en deux à trois jours seulement. Les doses utilisées étaient de 3 mg/kg pour le chat du premier cas et de 5 mg/kg pour le second. Aux deux dosages, les résultats sont satisfaisants, rapides, durables et sans effet secondaire, ce qui suggère que le dosage le plus faible suffirait. Pour le premier chat, le méloxicam a été associé à l’amitriptyline en début de traitement dans le but de soulager les douleurs par excès de nociception, que l’animal s’infligeait en se griffant et en se mordant. En revanche, la réapparition des automutilations à l’arrêt de l’amitriptyline et leur disparition immédiate après sa reprise confirment bien l’action antalgique de cette molécule sur la douleur neuropathique. La prise en charge initiale d’une douleur neuropathique intense peut être initiée en hospitalisation, par une perfusion à débit constant de morphine, de lidocaïne et de kétamine (voir photo 3).

  • La bibliographie complète de cet article est disponible sur le site WK-Vet.fr (rubrique “Semaine Vétérinaire”, puis “Compléments d’articles”).

À LIRE DANS Le Point Vétérinaire

• Virginie Daniel-Lesnard : « Un cas de cystite idiopathique féline », PV n° 293, 2009.

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