Penser à une torsion de rate lors d’abdomen aigu - La Semaine Vétérinaire n° 1366 du 26/06/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1366 du 26/06/2009

Urgences

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Eva Baty

Fonctions : praticienne à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire)

L’échographie permet d’orienter rapidement le diagnostic. Le traitement est chirurgical et associe la splénectomie curative à la gastropexie prophylactique.

Une chienne cane corso non stérilisée de deux ans est présentée en consultation pour une baisse de forme accompagnée “d’étourdissements” apparus brutalement deux jours auparavant. L’appétit est conservé. La chienne est correctement vaccinée, vermifugée et n’a jamais voyagé. Elle n’a pas été exposée à des substances toxiques. Les propriétaires ont noté la présence d’une tique morte sur leur animal le matin même. Le seul antécédent médical est un accident de la voie publique cinq mois auparavant, sans complications. Sa consommation d’eau journalière apparaît normale. Les épisodes “d’étourdissement” sont décrits comme des crises de faiblesse de courte durée sans perte de connaissance.

L’examen clinique du vétérinaire traitant n’a rien révélé d’anormal. Les analyses sanguines montrent une légère leucocytose avec neutrophilie (23 x 109/l), une hausse de l’hématocrite (58,6 %), du taux d’hémoglobine (18,6 g/dl), des phosphatases alcalines (269 U/l), ainsi qu’une hypercalcémie (calcémie non corrigée égale à 145 mg/l). La protéinémie est normale. Le sérum est fortement hémolysé. La chienne est référée pour une exploration des crises de faiblesse et de l’hypercalcémie.

L’examen Doppler montre l’absence totale de flux sanguin au sein de la rate

Lors de sa présentation, cinq jours après le début des symptômes, la chienne est alerte et normothermique. La fréquence des étourdissements semble diminuer. Les muqueuses conjonctivales apparaissent légèrement pâles. La présence de la muselière rend impossible la réalisation du temps de recoloration capillaire. Les muqueuses sont décrites comme légèrement collantes par le propriétaire. L’auscultation cardio-pulmonaire est normale. La palpation de l’abdomen n’est pas douloureuse, mais révèle une organomégalie craniale. L’analyse d’urine à la bandelette montre la présence de bilirubine (3 +) et d’hémoglobine (1 +). Un frottis sanguin avec une goutte de sang périphérique ne permet pas de mettre en évidence de piroplasmes.

Les analyses sanguines sont renouvelées : les paramètres biochimiques sont tous dans les normes, y compris la calcémie. Les résultats de l’hématologie montrent une leucocytose avec une neutrophilie marquée (31,9 x 109/l), une diminution de l’hématocrite (32,2 %), une baisse du taux d’hémoglobine (9,6 g/dl). Le comptage des plaquettes est augmenté (644 x 109/l). Le sérum est légèrement hémolysé. Il n’y pas d’agglutination sur la lame.

L’examen échographique de l’abdomen montre une splénomégalie avec une hypoéchogénicité marquée et diffuse du parenchyme. Un réseau hyperéchogène diffus en “dentelle” est observé. Le réseau mésentérique des veines spléniques est particulièrement développé et ramifié, au sein d’une graisse mésentérique hyperéchogène. De l’ascite en quantité minime est notée au pôle caudal de la rate.

L’examen Doppler montre l’absence totale de flux sanguin au sein de la rate et des veines spléniques mésentériques. L’examen échographique du reste de l’abdomen est considéré comme normal.

L’animal présente donc une torsion de la rate associée à une légère anémie, une leucocytose et une hémolyse intravasculaire.

Une splénectomie est réalisée sans détordre le pédicule vasculaire

La chienne est hospitalisée. Elle est perfusée (NaCl 0,9 %, à raison de 20 ml/kg/h au cours des quatre heures qui précèdent l’induction anesthésique). Elle reçoit une injection sous-cutanée de chlorydrate de morphine (0,2 mg/kg, vingt minutes avant l’induction anesthésique). Du diazépam est utilisé en prémédication (0,2 mg/kg par voie intraveineuse) et du thiopental en induction. Un mélange gazeux d’oxygène et d’isoflurane prolonge l’anesthésie. La chienne reçoit une injection intraveineuse de céphalexine (20 mg/kg en début d’intervention).

La rate est facilement extériorisée. Le pédicule vasculaire tordu au sein de la graisse mésentérique, tordue elle aussi, est clairement visualisé. Une splénectomie est réalisée sans détordre le pédicule vasculaire.

L’estomac a un aspect normal et est en position physiologique. Une gastropexie est réalisée.

Un examen approfondi de la cavité abdominale ne permet pas de détecter d’anomalie. Aucun trouble du rythme cardiaque n’est décelé.

La chienne reçoit une injection sous-cutanée de méloxicam en phase postopératoire et la perfusion est maintenue à un débit rapide pendant dix-huit heures.

La vigueur du chien au réveil ne permettra pas de prolonger son hospitalisation. L’animal est rendu à ses propriétaires avec une prescription de céphalexine (15 mg/kg deux fois par jour, per os pendant dix jours). La chienne retrouve rapidement son entrain. Aucune crise de faiblesse n’est observée par la suite par le propriétaire. Dès le lendemain de l’intervention, les urines apparaissent claires.

La torsion de rate touche les chiens de grande taille au thorax profond

La torsion de rate isolée est rarement rapportée en médecine vétérinaire. Elle est le plus souvent associée à une dilatation-torsion de l’estomac ou à une tumeur de la rate. Sur mille quatre cent quatre-vingts chiens suivis pour des affections spléniques, 0,5 % d’entre eux l’étaient pour une torsion de rate isolée (voir bibliographie 4 en page 34).

Les chiens de races de grande taille à thorax profond y sont prédisposés (danois, berger allemand, Saint-Bernard). Il ne semble pas y avoir de prédisposition d’âge. Les mâles sont plus touchés que les femelles (voir bibliographie 2). Des épisodes de dilatation de l’estomac résolus sont suspectés comme une cause possible de torsion isolée de la rate, soit parce qu’elle est laissée dans une mauvaise position, soit par distension des ligaments qui la soutiennent (voir bibliographie 1). La rate deviendrait alors plus mobile. Sa congestion, qui accompagne souvent la dilatation gastrique, pourrait aussi la prédisposer à se déplacer et donc à se tordre (voir bibliographie 2). Le déplacement serait aussi favorisé par l’exercice et les roulades. La possibilité qu’une torsion isolée de la rate entraîne secondairement une dilatation de l’estomac est évoquée (voir bibliographie 2). Même si le lien entre la torsion de rate isolée et la dilatation-torsion de l’estomac n’est pas prouvé, la gastropexie prophylactique est conseillée chez les chiens opérés pour une torsion de rate.

La torsion de rate isolée évolue dans 70 % des cas de façon chronique

Les symptômes peuvent être aigus (faiblesse, douleur abdominale, salivation, hauts-le-cœur, tachycardie, augmentation du temps de recoloration capillaire, pouls faible ou bondissant, voir bibliographie 4) ou chroniques, sous la forme de signes frustes et intermittents de maladies gastro-intestinales et d’inconfort abdominal avec vomissements intermittents, diarrhée, anorexie, distension abdominale et perte de poids. Des cas de polyuro-polydipsie sont aussi décrits (voir bibliographie 2).

Une étude rapporte que la durée d’évolution des symptômes est en moyenne de huit jours, mais que la plupart des animaux sont présentés en consultation à la suite d’une détérioration rapide de leur état général (voir bibliographie 2). Une autre publication fait état d’une évolution sur moins d’une journée et jusqu’à huit mois, avec une moyenne de six jours et demi. La forme aiguë, moins fréquente, représenterait 30 % des cas de torsion de rate isolée (voir bibliographie 1).

Le caractère intermittent de certains signes cliniques pourrait s’expliquer par la résolution spontanée de la torsion du pédicule splénique. Les signes aigus se produiraient en cas de résolution spontanée impossible.

Le mésentère autour du hile apparaît souvent hyperéchogène

Une splénomégalie est palpable dans la plupart des cas de torsion de rate. Quand elle est chronique, la torsion peut s’accompagner de modifications hématologiques (anémie, leucocytose avec monocytose et neutrophilie). Une bilirubinémie est aussi rapportée. Elle s’accompagne également d’une hausse des enzymes hépatiques et pancréatiques (voir bibliographie 1). Parfois, une augmentation des temps de coagulation est notée (voir bibliographie 2). La radiographie abdominale montre de façon constante une splénomégalie avec un déplacement des organes abdominaux. Celle-ci est parfois associée à une perte de détail abdominal. La présence de gaz intraspléniques est observée dans certains cas (voir bibliographie 3).

L’aspect échographique peut être évocateur, avec une splénomégalie associée à des microplages anéchogènes (capillaires sinusoïdes dilatés consécutifs à la congestion vasculaire) et de multiples échos linéaires et parallèles (parois des vaisseaux dilatés). La rate prend un aspect diffusément hypoéchogène avec une trame réticulée dite en dentelle ou en ciel étoilé. Les veines spléniques sont dilatées et l’examen Doppler de la rate et des veines spléniques montre l’absence de flux sanguin. Des thrombi sont parfois notés dans les veines spléniques (au sein de la rate et/ou dans leur portion mésentérique). Le mauvais positionnement de la rate peut apparaître clairement. Il est possible de retrouver du liquide d’ascite en périphérie de la rate. Le mésentère autour du hile apparaît souvent hyperéchogène (voir bibliographie 4). Toutefois, la splénomégalie avec un aspect en dentelle ne doit pas être le seul critère à prendre en compte pour le diagnostic, puisqu’il est aussi observé lors de nécrose ou de thrombose veineuse.

L’échogénicité de la rate est parfois normale lors de torsion récente

Certaines torsions prennent un aspect moins évident quand la splénomégalie s’accompagne d’un parenchyme hétérogène en tache, avec conservation ou non d’une échogénicité normale. Pour d’autres, le parenchyme est normal. Cela dépend de la durée d’évolution de la torsion et de la quantité de tissus nécrotiques et hémorragiques présents. C’est donc lorsque la torsion est récente que les modifications sont les moins typiques.

L’aspect peut rappeler les signes d’une congestion splénique. L’examen Doppler est alors l’examen de choix pour distinguer une congestion passive ou une splénite d’une vascularisation compromise par une thrombose ou une torsion splénique. Il montre sinon une absence, du moins une diminution diffuse du flux sanguin veineux. Le flux sanguin artériel peut être conservé. Cela dépend du degré de torsion. L’absence de flux sanguin peut aussi être due à une thrombose veineuse primaire. Les modifications spléniques échographiques sont alors secondaires à la thrombose sans qu’il existe de torsion. La splénectomie est indiquée dans les deux cas.

Si la splénomégalie est constante, il semble qu’un autre élément spécifique doive être pris en compte : W. Mai (voir bibliographie 4) note la présence significative d’un triangle hyperéchogène autour des veines du hile, en continuité avec le mésentère hyperéchogène, ce qui donne l’impression que le mésentère pénètre dans le hile de la rate. Parfois, plutôt qu’un triangle, il s’agit simplement d’une bande hyperéchogène autour des vaisseaux. Dans l’étude de W. Mai, le seul cas de torsion splénique non accompagné du triangle ne présentait pas d’hyperéchogénicité du mésentère. Même si ce critère n’est pas pathognomonique de la torsion de rate, il peut orienter le diagnostic. Il ne devra pas être confondu avec un myélolipome qui est bénin, nodulaire, sans continuité avec le mésentère, mais au contraire associé au parenchyme splénique.

Le simple repositionnement de la rate est déconseillé

Le pronostic de la torsion de rate est bon : 79 % des chiens d’une étude de dix-huit cas ont survécu à l’intervention chirurgicale (voir bibliographie 2). Des complications sont toutefois possibles (arythmie cardiaque, coagulation intravasculaire disséminée, insuffisance rénale, hémopéritoine, pancréatite, embolie, torsion d’estomac). Une infection à Clostridium novyi est décrite comme une complication du traitement chirurgical de la torsion de rate isolée (voir bibliographie 2). Le pronostic apparaît d’autant meilleur que le diagnostic et la splénectomie sont précoces. Il ne semble pas y avoir de lien entre les paramètres vitaux préopératoires et la survenue de complications postopératoires (voir bibliographie 2). Les soins périopératoires sont capitaux dans l’obtention d’une issue positive à la torsion de rate isolée.

Le traitement de choix repose sur la splénectomie totale. Un cas de repositionnement de la rate est décrit avec succès mais, compte tenu du caractère souvent chronique de l’affection au moment du diagnostic et des risques de thrombose veineuse des veines spléniques, il ne peut être conseillé (voir bibliographie 2). Ce repositionnement peut en outre s’accompagner d’un relargage de toxines et de bactéries dans la circulation sanguine (voir bibliographie 1).

La stabilisation du chien via une fluidothérapie, voire une transfusion en phases préopératoire, peropératoire et postopératoire est la clé du succès du traitement chirurgical. Un cas de résolution spontanée d’une torsion de rate isolée est décrit chez un chien, sans traitement, mais cela reste exceptionnel (voir bibliographie 3).

BIBLIOGRAPHIE

  • 1 - N.A. Weber : « Chronic primary splenic torsion with peritoneal adhesions in a dog : case report and literature review », J. Am. Anim. Hosp. Assoc., 2000, vol. 36, n° 5, pp. 390-394.
  • 2 - P.J. Neath, D.J. Brockman, H.M. Saunders : « Retrospective analysis of 19 cases of isolated torsion of the splenic pedicle in dogs », J. Small Anim. Pract., 1997, vol. 38, n° 9, pp. 387-392.
  • 3 - V. Szatmari, G. Pentek, K. Vörös : « Spontaneous resolution of splenic torsion in a dog », Vet. Rec., 2000, vol. 147, n° 9, pp. 247-248.
  • 4 - W. Mai : « The hilar perivenous hyperechoic triangle as a sign of acute splenic torsion in dogs », Vet. Radiol. Ultrasound, 2006, vol. 47, n° 5, pp. 487-491.

À LIRE DANS Le Point Vétérinaire

• C. Lecoeur, E. Monnet : « Les masses spléniques chez le chien et le chat », PV n° 246, juin 2004.

• T. Courtier, I. Goy-Thollot, C. Carozzo : « Conduite à tenir lors de dilatation torsion de l’estomac », PV n° 250, novembre 2004.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr