La notion d’animal sentinelle n’a pas de véritable frontière - La Semaine Vétérinaire n° 1364 du 12/06/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1364 du 12/06/2009

Epidémiologie. Journées de l’AEEMA et de l’AESA à Maisons-Alfort

Actualité

Auteur(s) : Nathalie Devos

Selon les secteurs, les animaux sentinelles sont aussi appelés bio-indicateurs ou biomarqueurs d’exposition. Leur utilisation, active ou passive, divise également.

En 1546, le terme de sentinelle désigne « une personne, un soldat qui a la charge de faire le guet devant un lieu occupé par l’armée, de protéger un lieu public, etc. ». Ces notions de guet et de protection ont été reprises en épidémiologie via l’utilisation des “animaux sentinelles”, afin de détecter un danger pour la santé animale ou humaine.

Historiquement, le canari fut l’un des premiers d’entre eux. Dans les années 1870, il est utilisé dans les mines pour détecter la présence de monoxyde de carbone, inodore pour l’homme. A de fortes concentrations, le canari traduit en effet les symptômes d’intoxication mortelle à ce gaz plus tôt que l’homme. En revanche, à de faibles concentrations et sur un laps de temps beaucoup plus important, c’est l’homme qui peut alors être considéré comme une sentinelle pour le canari (il meurt avant l’oiseau).

C’est par cet exemple que Bernard Toma (ENVA) a débuté la première des 30e journées de l’Association pour l’étude de l’épidémiologie des maladies animales (AEEMA), coorganisées pour la troisième année consécutive avec l’Association d’épidémiologie et de santé animale (AESA), les 4 et 5 juin derniers à l’école d’Alfort. Cette première journée était consacrée aux animaux sentinelles. Utilisé aujourd’hui dans de multiples domaines de la santé animale, humaine et environnementale (voir encadré), il est tout d’abord essentiel de s’entendre sur la notion “d’animal sentinelle sanitaire”. Notre confrère a donc proposé de le définir comme « un animal (ou une population d’animaux) choisi dans son milieu ou placé volontairement dans un milieu et suivi au cours du temps, afin de détecter précocement une exposition qualitative ou quantitative à un agent pathogène donné ». Cette définition peut s’appliquer tant en épidémiosurveillance (danger présent) qu’en épidémiovigilance (incertitude sur la présence d’un danger).

« Les oies du capitole » doivent répondre à des critères de qualité

La sentinelle doit répondre à plusieurs critères pour être en adéquation avec ses objectifs (évaluer l’augmentation d’un risque, l’apparition d’un danger, la surveillance d’un accroissement de l’incidence d’une maladie, la diffusion d’une affection dans l’espace). Pascal Hendrikx (Afssa de Lyon) a dressé son portrait-robot : elle doit être représentative de la population ciblée ou la plus à risque, réceptive et sensible(1) à la maladie, assurant une manifestation précoce de signes détectables, être facile à prélever et à observer. En outre, l’indicateur mesuré doit être aisé à collecter, peu coûteux à acheminer, facile à analyser, et les modalités de la surveillance (détection de signes cliniques ou de l’agent pathogène) seront revues régulièrement. Quant au système de suivi, il devra être flexible (selon l’évolution de la situation épidémiologique) et stable dans le temps (maintien de la surveillance). Tout cela conditionne le choix de l’espèce, la taille de l’échantillon, les caractéristiques des outils de diagnostic, la localisation des sentinelles.

Il convient également de prendre en compte le critère d’acceptabilité pour les acteurs de la surveillance, qui passe par exemple par le choix de races plus faciles à observer que d’autres, ou par des compensations financières pour les éleveurs qui y participent, pour éviter un sentiment de lassitude au cours du temps et une baisse de la garde.

Selon Pascal Hendrikx, tous ces critères sont à intégrer dans la prise de décision ultérieure. Ils doivent donc être pertinents (répondre aux objectifs fixés et démontrer une plus-value par rapport à d’autres types de surveillance), réalistes dans leur mise en œuvre, et permettre de définir un coût/bénéfice.

La “passivité” de la sentinelle est sujette à discussions…

Au fil des interventions de cette journée, force est de constater que le concept d’animal sentinelle fait débat. Quand Jean Hars (Office national de la chasse et de la faune sauvage) évoque, en termes de surveillance de la faune sauvage, des “animaux” “sentinelles passives” (retrouvés morts) et “actives” (animaux vivants), Bernard Toma s’insurge : « Le terme de sentinelle ne peut pas être employé dans le cadre d’une surveillance épidémiologique passive car, par définition, ils sont choisis et suivis dans le temps. » Pour sa part, notre confrère belge Claude Saegerman (président de l’AESA) rappelle qu’en 2007, des bovins laitiers ont servi de sentinelles pour détecter précocement la réémergence de la fièvre catarrhale ovine en Belgique. Selon lui, les résultats font état d’une circulation du virus à bas bruit dès le mois de mars, avant une explosion des cas cliniques en juin et juillet. Cette intervention provoque un double débat. « Dans ce cas, l’animal sentinelle est l’animal cible. Alors, peut-on encore parler d’animaux sentinelles ? N’est-ce pas plutôt de l’épidémioprospective ? », s’interroge la salle. D’autre part, quid de l’efficacité de cette étude ? « La précocité “sérologie/cas clinique” n’est pas évidente. Il y a en outre peut être eu des faux positifs. Mais au-delà de cela, quel est le coût/ bénéfice de cette étude puisqu’elle n’a abouti à la mise en œuvre d’aucune mesure concrète ? », demande Barbara Dufour (présidente de l’AEEMA).

« Le canari qui tombe du perchoir est-il la sentinelle qui a été la plus utile ? »

Le même constat suit la présentation de Paul Heyman (hôpital militaire de Bruxelles). Ce dernier expose les résultats d’une étude qui montre que l’augmentation des cas d’hantavirose chez l’homme (zoonose transmise par les rongeurs) en Belgique est corrélée à celle des campagnols choisis comme sentinelles de la maladie. « Qu’a-t-on fait ? Rien, on n’a pas pour autant tué les campagnols », constate Barbara Dufour, qui en arrive à se demander « si la sentinelle qui a été vraiment utile n’est pas le canari… ». D’autres participants se montrent plus optimistes, arguant que l’incidence de l’hantavirose chez les animaux sentinelles peut orienter le diagnostic chez l’homme.

En toxicologie, Brigitte Enriquez (ENVA et Inserm) prend l’exemple du chien, qui partage le même environnement que l’homme. Cet animal constitue un bon indicateur précoce de l’exposition au plomb présent dans les peintures chez l’enfant, qui en développe les symptômes bien plus tardivement. Dans ce domaine, les termes utilisés “d’animaux bio-indicateurs d’exposition aux polluants et contaminants” et “d’animaux biomarqueurs d’effets” (polluants multiples et mal connus) confortent le flou qui entoure la définition de l’animal sentinelle. Une tendance confirmée par Christian Michel (Inra de Jouy-en-Josas) : en milieu aquatique, le terme de biocapteur est préféré à celui de sentinelle pour désigner les espèces marines révélatrices de la pollution de l’eau.

L’objectif est de faire bouger les choses sans trop dépenser

Pour sa part, Renaud Lancelot (Cirad de Montpellier) estime qu’en milieu tropical, où il n’est pas facile de mettre en œuvre un maillage sanitaire pertinent, il serait plus judicieux de parler “d’écosystème sentinelle” pour un risque donné, capable d’être modélisé, plutôt que d’animal sentinelle. Sylvie Lecollinet (Afssa de Maisons-Alfort) a quant à elle pointé du doigt une autre limite de l’utilisation des animaux sentinelles : le coût. Pour le cas du virus West-Nile en France métropolitaine, le coût de la surveillance a été estimé, pour la période de 2001 à 2007, à 63 000 €.

« On aura bien compris, tout au long de cette journée consacrée aux animaux sentinelles que, si la définition de ces derniers reste ambiguë, ils s’inscrivent dans un dispositif général d’épidémiosurveillance dont les objectifs et les coûts/ bénéfices doivent être fixés », a conclu notre confrère belge Etienne Thiry (faculté de médecine vétérinaire de Liège).

  • (1) Réceptive : capacité de l’hôte à héberger l’agent pathogène. Sensible : capacité de l’hôte à exprimer l’infection.

Quelques sentinelles animales

• Sanglier : sentinelle pour la tuberculose bovine.

• Canard colvert : sentinelle pour l’influenza aviaire ou pour le virus West-Nile.

• Chien : bio-indicateur d’exposition au plomb.

• Chat : bio-indicateur d’exposition et biomarqueur d’effet au méthyl mercure à la suite de la consommation de poissons contaminés (problèmes de reproduction).

• Ruminants : bio-indicateurs d’exposition et biomarqueurs d’effet à la fluorose industrielle et tellurique (lésions dentaires et osseuses spécifiques).

• Grenouille taureau (ouaouaron du Québec) : bio-indicateur de pollution d’origine agronomique en milieu aquatique.

• Moules : bio-indicatrices de la pollution chimique des eaux.

N. D.
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