Deux types d'héparine s'offrent au choix du praticien - La Semaine Vétérinaire n° 1360 du 15/05/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1360 du 15/05/2009

Etats d'hypercoagulabilité

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Gwenaël Outters

Il est alors préférable d'opter pour l'héparine standard à la clinique et pour celle de faible poids moléculaire chez le propriétaire de l'animal.

La coagulation est le fruit d'un parfait équilibre entre les facteurs procoagulants et anticoagulants. Un état d'hypercoagulabilité peut être le résultat de l'activation exagérée des mécanismes de l'hémostase ou de la perte de facteurs anticoagulants. La résultante est un déséquilibre des mécanismes physiologiques de la coagulation en faveur de la formation d'un thrombus.

Il existe trois facteurs dans la pathogénie de la thrombose (triade de Virchow) : des lésions de l'endothélium, l'altération du flux sanguin et un état d'hypercoagulabilité. Normalement, dans les vaisseaux sanguins, le sang circule selon un flux laminaire. Lors d'une perturbation de cette circulation, il se forme des zones de stase ou, au contraire, des zones de turbulence. En cas d'altération du flux sanguin, les plaquettes s'entrechoquent, s'activent mutuellement et interagissent avec l'endothélium. Dans les zones de stase, il peut y avoir une accumulation des facteurs de la coagulation activés et une stimulation locale de la cascade de la coagulation. En outre, de fortes turbulences sont susceptibles de créer directement des lésions endothéliales (maladies cardiaques avec dilatations atriales importantes qui peuvent être le site de développement de thrombus). Lorsque l'endothélium est endommagé, il perd ses propriétés antithrombotiques et le collagène sous-endothélial est exposé. Des lésions endothéliales (vasculites, turbulences, endotoxines) peuvent induire des turbulences et entretenir le cercle vicieux. L'hypercoagulabilité sanguine est soit primaire (congénitale, héréditaire, cas rarement décrit chez l'animal), soit plus fréquemment secondaire (conséquence d'une cardiomyopathie hypertrophique, d'une anémie hémolytique ou d'une infection, par exemple).

Les marqueurs de l'hypercoagulabilité sont peu spécifiques et sensibles

En pratique, rechercher un état hypercoagulable chez l'animal se révèle compliqué et coûteux. Il est possible de doser des marqueurs moléculaires de l'activité de la coagulation mais, pris individuellement, ils sont peu sensibles et peu spécifiques. Par exemple, peuvent être recherchées une hausse de l'activité des facteurs de la coagulation (fibrinogène, facteurs VIII et IX), une diminution de l'activité des inhibiteurs (antithrombine)? ou une augmentation des marqueurs de l'activité de la thrombine (complexes thrombine-antithrombine dosés en recherche, D-dimères qui sont des produits de dégradation de la fibrine intéressants en médecine vétérinaire). Il existe également des tests de l'évaluation globale de l'hémostase, dont la thrombélastrographie (détermination de la cinétique in vitro de la formation du caillot sur sang total). Cette approche sera de plus en plus intéressante et pourrait devenir accessible aux vétérinaires.

La prévention des thromboses augmente la survie lors d'anémie hémolytique

Chez l'homme, les complications thrombo-emboliques sont un réel problème de santé publique (deux millions de décès par an aux Etats-Unis, soit quatre fois plus que pour les cancers). Chez l'animal, il est admis que certaines maladies sont associées à des risques élevés de thrombose (anémies hémolytiques à médiation immune, certains cancers, syndrome néphrotique). Mais il est difficile d'en connaître la prévalence exacte, le diagnostic de thrombose étant difficile à établir chez les animaux. En outre, peu d'études indiquent que la prévention des thrombo-embolies améliore leur survie.

Dans les anémies hémolytiques à médiation immune, les complications thrombo-emboliques sont fréquentes (une hypercoagulabilité existe dans la moitié des cas). Le confinement lors de l'hospitalisation, les cathéters ou la corticothérapie sont des facteurs aggravants. Une étude de T.K. Weinkle (voir bibliographie 1 en page 40) montre un effet bénéfique de l'administration d'aspirine à faible dose (0,5 mg/kg/j) sur la survie des chiens atteints d'anémie hémolytique. Paradoxalement, le lot de chiens traités à l'héparine a bénéficié d'une survie moindre. La prévention des thromboses, via l'aspirine, pourrait donc jouer un rôle important dans la survie des chiens atteints d'anémie hémolytique immunitaire.

La thrombo-embolie est la principale cause de mortalité lors de cardiomyopathie

La prévalence des thrombo-embolies artérielles chez les chats atteints de cardiomyopathie, en particulier hypertrophique, est de 30 à 50 %. La survie au cours du premier épisode de thrombo-embolie est, selon les études, de 30 à 40 %. La majorité des chats meurent donc d'une thrombo-embolie.

Plusieurs travaux montrent l'état hypercoagulable préthrombotique de ces chats atteints de cardiomyopathie hypertrophique. L'intérêt d'une thérapeutique préventive semble évident, mais peu d'études concluantes existent actuellement. Cependant, un traitement à l'aspirine ou au clopidogrel (Plavix®) apparaît indiqué, surtout en cas de dilatation importante de l'oreillette gauche.

Lors de syndrome néphrotique, une mortalité de 22  % est associée à des troubles thrombo-emboliques. L'existence d'une bonne corrélation entre l'hypoalbuminémie et le taux d'antithrombine est notée. Le risque thrombo-embolique est considéré comme augmenté lorsque le taux d'albumine sanguine descend en dessous de 20 g/l. Bien qu'aucune étude ne démontre une diminution de la mortalité avec le traitement à l'aspirine, il est conseillé de le mettre en place empiriquement, étant donné le risque thrombotique élevé.

10 % des chiens avec des tumeurs malignes solides présentent une CIVD

Les néoplasies sont une cause importante d'états hypercoagulables, qui peuvent être présents dans 57 % des cas. A l'inverse, il est démontré que 17 % des chiens atteints d'un cancer ont un profil hypocoagulable et que, dans ces cas, le cancer est toujours associé à des métastases. Une autre étude japonaise (voir bibliographie 2) montre que 10 % des chiens qui souffrent de tumeurs malignes solides (surtout des hémangiosarcomes) peuvent également présenter une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). En outre, les CIVD sont des complications fréquentes chez les animaux en soins intensifs. Aux Etats-Unis, il est admis qu'environ 30 % des chiens hospitalisés en soins intensifs ont ou développeront cette affection.

Ainsi, les complications thrombo-emboliques chez les animaux sont assez fréquentes, mais ces données proviennent de nécropsies. Peu d'études démontrent que le développement d'un état hypercoagulable est associé à une thrombose et que la survie de ces animaux est réduite. De même, peu de travaux montrent que la prévention des états hypercoagulables améliore leur survie. La plupart des traitements sont donc empiriques, même s'ils restent recommandés.

Le poids moléculaire de l'héparine conditionne son action

L'héparine est un glycosaminoglycane avec une queue polysaccharidique de longueur variable qui détermine le poids moléculaire. Deux types d'héparine sont commercialisés. L'héparine non fractionnée est un mélange de molécules à queue polysaccharidique de longueur variée, dont les poids moléculaires oscillent de 5 000 à 30 000 daltons avec un pic vers 15 000 Da. La seconde est l'héparine de faible poids moléculaire (environ 5 000 Da). Pourtant, selon la longueur de la queue polysaccharidique, l'efficacité de l'héparine ne sera pas la même (voir schéma 1).

Les héparines agissent sur la voie intrinsèque de la coagulation, en particulier sur trois principaux facteurs : le facteur IXa, le facteur Xa et la thrombine (facteur II). Le facteur Xa et la thrombine sont les plus sensibles à l'inhibition par l'héparine.

L'héparine nécessite un cofacteur qui est l'antithrombine. Il se forme alors un complexe héparine-antithrombine qui se fixe sur le facteur Xa ou sur la thrombine (formation d'un complexe ternaire). La queue polysaccharidique n'est pas nécessaire à la fixation au facteur Xa, mais elle l'est à la fixation à la thrombine. Une héparine de faible poids moléculaire aura donc une action essentiellement antifacteur X et peu d'action antithrombine (voir tableau 1 et schéma 2).

En raison de sa forte fixation aux protéines, aux macrophages et aux cellules endothéliales, les résultats de l'utilisation de l'héparine non fractionnée seront moins prévisibles que ceux de l'héparine de faible poids moléculaire.

La manipulation de l'héparine de faible poids moléculaire est plus simple

Des études de pharmacocinétique ont été menées sur l'activité antifacteur Xa des héparines. Il en résulte que l'administration théorique d'héparine de faible poids moléculaire devrait être rapprochée toutes les quatre à huit heures. Cependant, cet effet pharmacocinétique ne reflète pas l'activité antithrombose constatée et, en pratique, des administrations toutes les douze heures semblent suffire (voir tableau 2).

Pour l'héparine non fractionnée, le choix de la dose est plus hasardeux et dépend de l'état pathologique dans lequel se trouve l'animal. Les études avancent des chiffres de 100 à 500 UI/kg toutes les huit heures. En pratique, la posologie de 200 UI/kg/8 h peut être retenue, avec certainement des cas d'animaux trop anticoagulés et d'autres pas assez.

Pour le suivi d'un traitement avec de l'héparine de faible poids moléculaire, aucun test n'est nécessaire puisque les données sont relativement faciles à extrapoler et peu variables. En revanche, pour l'héparine standard, mieux vaut suivre le traitement avec un temps de céphaline activée. L'objectif est d'allonger ce temps de 50 % par rapport à la valeur de départ.

L'aspirine peut être utilisée chez le chat atteint de cardiomyopathie hypertrophique

Un anti-agrégant plaquettaire est un médicament qui inhibe l'agrégation plaquettaire et lutte contre la thrombose. Une fois activées, les plaquettes changent de forme (pseudopodes) et exposent les phospholipides membranaires chargés négativement. La phospholipase libère l'acide arachidonique des phospholipides membranaires et la cyclo-oxygénase transforme l'acide arachidonique en prostaglandines de différents types. Ainsi, si la voie de la cyclo-oxygénase est bloquée, il en est de même pour la synthèse de la thromboxane A2 et des prostacyclines. En 1968, le Dr Quick publie le premier article qui montre que l'aspirine augmente le temps de saignement chez l'homme, sans que les mécanismes biochimiques de la coagulation soient connus. L'aspirine est un inhibiteur irréversible de la cyclo-oxygénase et donc de la synthèse plaquettaire de la thromboxane A2. Son administration a donc un effet qui persiste pendant toute la durée de vie de la plaquette (environ sept jours). Elle peut être utilisée dans la prévention des thromboses, avec une indication principale chez le chat atteint de cardiomyopathie hypertrophique, surtout en cas de dilatation de l'oreillette gauche (0,5 à 5 mg/kg/3 j). L'aspirine peut être prescrite pour la prévention des thromboses lors de syndrome néphrotique et semble allonger la survie des chiens qui présentent une anémie hémolytique à médiation immunitaire. En revanche, elle ne serait pas recommandée pour la prévention des thrombo-embolies artérielles chez le chien.

Le clopidogrel est également intéressant dans la prévention des thrombo-embolies

Les antagonistes des récepteurs de l'ADP, le clopidogrel (Plavix®) et la ticlopidine (Ticlid®), sont également des anti-agrégants plaquettaires. Actuellement, seul le premier est utilisé en médecine vétérinaire. Ces médicaments doivent subir une transformation métabolique pour être activés, ce qui induit un délai avant leur action. Ils forment une liaison covalente permanente avec le récepteur plaquettaire (P2Y12). Cette liaison rend le récepteur insensible à son activation par l'ADP, de façon irréversible pendant environ sept jours.

Une étude de 2004 (voir bibliographie 3) documente l'efficacité du clopidogrel sur la fonction plaquettaire en une administration quotidienne. Les doses utilisées varient fortement, d'un quart à un comprimé par jour (18,7 à 75 mg/j per os), et même les plus petites se révèlent efficaces. Après l'arrêt du traitement, les auteurs observent un retour à la fonction plaquettaire normale en sept jours, ce qui corrobore les données citées plus haut. Ils ne décèlent aucun effet secondaire lors de l'utilisation du clopidogrel, contrairement à son analogue la ticlopidine (importants effets gastro-intestinaux chez le chat). Il est admis que les cardiomyopathies hypertrophiques chez le chat provoquent des états d'hypercoagulabilité, que le clopidogrel possède un effet in vitro sur l'agrégation plaquettaire, mais il n'est pas prouvé que son administration augmente la survie des animaux. Cependant, selon les conférenciers, le clopidogrel serait intéressant dans la prévention des thrombo-embolies artérielles chez le chat atteint de cardiomyopathie hypertrophique.

Il existe d'autres anti-agrégants, non disponibles pour les vétérinaires. De même, de nombreuses substances ont un effet anticoagulant (anti-inflammatoires, certains antihistaminiques, le dextran, des anesthésiques, certains antibiotiques, l'acépromazine, les suppléments alimentaires) dont l'action mérite d'être connue. Elle sera souvent modeste, mais il convient d'en considérer la synergie avec d'autres substances.

En conclusion, lors de thrombus avéré, le traitement repose d'emblée sur l'héparine. L'héparine de faible poids moléculaire possède un effet plus constant, mais a un coût bien supérieur à celui de l'héparine standard (dix à vingt fois plus). En pratique, il est possible d'utiliser de l'héparine standard et de l'administrer toutes les huit heures chez les animaux hospitalisés. En revanche, les traitements à la maison seront réalisés avec de l'héparine de faible poids moléculaire pour laquelle les risques hémorragiques sont plus faibles.

Face aux états d'hypercoagulabilité, la prévention des thromboses sera mise en place via l'utilisation de clopidogrel, en particulier chez le chat atteint de cardiomyopathie hypertrophique (un quart de comprimé par jour). En pratique, son emploi est facile puisqu'il n'engendre pas d'effets secondaires. Cependant, aucune étude ne prouve réellement son efficacité sur la prévention des thromboses.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1 - T.K. Weinkle et coll. : « Evaluation of prognostic factors, survival rates, and treatment protocols for immune-mediated hemolytic anemia in dogs : 151 cases (1993-2002) », J. Am. Vet. Med. Assoc., 2005, vol. 226, n° 11, pp. 1 869-1 880.
  • 2 - H. Maruyama et coll. : « The incidence of disseminated intravascular coagulation in dogs with malignant tumor », J. Vet. Med. Sci., 2004, vol. 66, n° 5, pp. 573-575.
  • 3 - D.F. Hogan et coll. : « Antiplatelet effects and pharmacodynamics of clopidogrel in cats », J. Am. Vet. Med. Assoc., 2004, vol. 225, n° 9, pp. 1 406-1 411.

CONFÉRENCIERS

Christian Bédard, diplomate de l'American College of Veterinary Pathologists, université de Montréal, Saint-Hyacinthe (Canada).

Juan Hernandez, diplomate de l'American College of Veterinary Internal Medicine, praticien au CHV Frégis à Arcueil (Val-de-Marne).

Article tiré des conférences « Etats d'hypercoagulabilité », « Importance de la prévention des thromboses », « Héparinothérapie, quelle stratégie employer », « Les anti-agrégants plaquettaires », présentées lors du congrès de l'Afvac 2008 à Strasbourg.

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