Près d’une personne sur trois semble confondre grippe saisonnière et “nouvelles grippes”

En 2006, la population a pris conscience de la menace potentielle d’une pandémie grippale humaine en raison de la multiplication des alertes liées à la découverte d’oiseaux infectés par le virus H5N1 de l’influenza aviaire hautement pathogène, en France et en Europe. Le risque pandémique a alors fait l’objet d’une médiatisation intense, allant jusqu’à engendrer une psychose. Paradoxalement, la façon dont les populations conçoivent le danger et les moyens de prévention adaptés ne sont pas réellement connus. L’histoire montre pourtant que l’ampleur d’une pandémie humaine de grippe aviaire ou autre, en termes de morbidité et de mortalité, dépend autant du comportement des citoyens que des décisions gouvernementales. Les questions cruciales qui se posent donc aujourd’hui aux gestionnaires du risque sont de savoir comment, quand et pourquoi la population envisage de se protéger contre une pandémie grippale hautement pathogène. Ce sujet a fait l’objet d’une étude⁽¹⁾ publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de l’Institut national de veille sanitaire, en avril dernier⁽¹⁾.

La perception de l’efficacité de sept mesures de prévention est évaluée

L’enquête a été menée par téléphone du 4 au 21 juin dernier, auprès de 1 003 individus représentatifs de la population française. Les télé-enquêteurs leur ont expliqué au préalable que le virus H5N1 de l’influenza aviaire est susceptible, selon les scientifiques, de faire l’objet de modifications génétiques permettant une transmission d’homme à homme. Il pourrait alors déclencher une épidémie mondiale (pandémie) de grippe hautement pathogène.

La perception de l’efficacité de sept mesures de prévention en cas de pandémie (officiellement recommandées par le gouvernement ou spontanément évoquées), le contexte épidémiologique incitant à prendre de telles dispositions (identification de cas humains dans le monde, en Europe, en France, dans sa région, dans sa ville), la perception du risque pandémique (peur et gravité de la maladie, vulnérabilité), les représentations cognitives de l’affection (efficacité perçue des traitements antiviraux, conséquences et durée perçues de l’infection, etc.), ainsi que le sentiment des personnes interrogées (fatalisme, individualisme, technophobie et confiance dans les pouvoirs publics) ont été explorés.

L’achat en masse d’antiviraux poserait un problème d’allocation des ressources

Les principaux résultats montrent que les modes de prévention individuels (^{voir graphique}) préconisés par les pouvoirs publics sont généralement reconnus comme efficaces par la majorité des personnes interrogées. Ainsi, plus de 70 % pensent que se laver régulièrement les mains et porter un masque en public sont des mesures « tout à fait » ou « plutôt efficaces ». Les modes de prévention collectifs qui consistent à éviter les lieux de regroupement sont aussi considérés comme valables par une majorité des sondés. En revanche, une part non négligeable d’entre eux estiment pertinentes certaines mesures pourtant inadaptées. Ils sont ainsi plus de 35 % à considérer que la vaccination contre la grippe saisonnière les protégerait (alors qu’elle n’est efficace que contre un virus donné) et environ 50 % à penser que l’achat en masse d’antiviraux, comme le Tamiflu®, est fondé (or cela pose un problème d’allocation des ressources thérapeutiques au sein de la population et pourrait conduire à une pénurie de ces produits). Pour les auteurs, ce résultat constitue un fort motif d’inquiétude dans la perspective d’une situation de crise.

Une prévention trop précoce peut entraîner lassitude et relâchement des comportements

L’enquête montre par ailleurs qu’une large majorité de personnes interrogées (plus de 60 %) envisagent de prendre ces mesures préventives de manière précoce, c’est-à-dire dès l’identification des premières victimes humaines en Europe ou dans le reste du monde. Moins d’un quart d’entre elles attendraient que des personnes soient déclarées atteintes dans leur région pour prendre des précautions. Les auteurs soulignent toutefois que la mise en œuvre d’une prévention trop précoce pourrait se révéler contre-productive (l’adoption de mesures de précaution a un coût cognitif, social et économique non négligeable). Cela pourrait, en outre, favoriser un sentiment de lassitude et une multiplication des comportements de relâchement si la pandémie grippale mettait plusieurs mois à atteindre le territoire.

Les limites des données prospectives issues de cette étude sont de deux ordres, selon les auteurs. Elles sont liées d’une part au décalage entre les intentions manifestées et les actions effectivement mises en œuvre. D’autre part, une certaine évolution des représentations et des attitudes au cours du temps est généralement observée.

• (1) Jocelyn Raude, Séverine Deguen (Ecole des hautes études en santé publique, Rennes) et Michel Setbon (Laboratoire d’économie et de sociologie du travail, Aix-en-Provence) : « Les Français à l’épreuve du risque pandémique : une enquête exploratoire », BEH, avril 2009.