L’impact des pesticides dans la mortalité des abeilles est minimisé par l’Afssa - La Semaine Vétérinaire n° 1351 du 13/03/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1351 du 13/03/2009

Filière apicole

Formation continue

FILIÈRES

Auteur(s) : Nicolas Vidal-Naquet

Un rapport de l’agence, paru en février dernier, conclut à la prédominance des causes biologiques dans les pertes des colonies d’abeilles.

Mortalités, effondrements et affaiblissements des colonies d’abeilles » : ce rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) dirigé par Bernard Toma, publié en février, dresse un inventaire des causes de mortalité des colonies d’abeilles et en tire des recommandations. Parmi les facteurs évoqués pour expliquer les pertes d’abeilles en France figurent les agents biologiques, chimiques et environnementaux (notamment l’appauvrissement de la biodiversité au profit des monocultures), puis les éventuelles mauvaises pratiques apicoles (conduite sanitaire du cheptel, choix du milieu de vie, nourrissement, sélection des reines, etc.). Au niveau sanitaire, les auteurs évoquent, à juste titre, le manque de déclaration des anomalies de cheptel par les exploitants (indispensable pour les maladies réputées contagieuses et celles à déclaration obligatoire).

Concernant les mortalités de colonies, les analyses reprises dans le rapport montrent l’implication d’au moins un agent pathogène, l’importance des agents infectieux dans les mortalités hivernales, le rôle de Varroa destructor et « les méthodes de lutte peu efficaces contre cet agent, qui correspondent à un facteur de risque majeur de mortalité hivernale », ainsi que « les infestations par Nosema sp., Paenibacillus larvae, Melissococcus plutonius et Acarapis woodi, qui participent également au phénomène constaté ». Le rôle de différents virus est aussi souligné, notamment celui de la paralysie lente (CBPV), qui serait responsable de pertes de grande ampleur. Le rapport indique notamment une « éventuelle confusion entre les symptômes liés à une intoxication et ceux liés à cette maladie virale ». Cette observation peut susciter plusieurs interrogations, car le virus CBPV est retrouvé dans de nombreuses colonies saines. La question est de savoir s’il ne s’agit pas d’un virus dont la pathogénicité est accentuée par d’autres facteurs, génétiques, toxiques, etc. (voir bibliographie 1).

Du côté des pratiques apicoles, le rapport relève, entre autres, une « carence plus ou moins marquée dans les connaissances [des apiculteurs] ». L’importance du traitement contre la varroase est alors évoquée. Dans de nombreux cas, il serait mal ou pas effectué. Pourtant, à l’époque où l’Afssa était encore le Cneva, ce dernier expliquait comment traiter la varroase avec des inserts en carton imprégnés de coumaphos et concluait à une réelle efficacité (voir bibliographie 2).

Des cas d’intoxications par des pesticides qualifiés « d’incidents »

Un large chapitre traite des agents chimiques, en général et en France. Constatant que « les abeilles peuvent être exposées aux divers agents chimiques » par ingestion, contact ou inhalation, le rapport insiste sur l’usage de produits phytosanitaires dans les zones cultivées, par pulvérisation ou enrobage de graine. Il précise que « le nombre de cas d’empoisonnement tend à diminuer d’année en année, traduisant à la fois de meilleures pratiques agricoles et une tendance, chez les éleveurs d’abeilles domestiques, à moins déclarer d’éventuels incidents » (en réalité, beaucoup d’apiculteurs évitent de se lancer dans des analyses coûteuses !). Il s’agit d’une première approche pour minimiser les effets potentiellement délétères des pesticides. Les cas d’intoxication cités, notamment au fipronil en France, seraient des « incidents » (sic), malgré les pertes des apiculteurs dont le travail est réduit à néant.

Une étude (voir bibliographie 3), censée montrer que des semences de colza traitées avec de la clothianidine n’ont aucun effet toxique aigu ou subaigu, est utilisée pour dédouaner les pesticides. Or elle est critiquable (voir bibliographie 4), notamment parce qu’elle est réalisée sur des champs traités et témoins de 1 ha, séparés par 295 m, alors que les butineuses peuvent parcourir jusqu’à 3 km et que leur stratégie de butinage n’est pas contrôlable. D’ailleurs, il est cocasse de constater que le rapport conseille de « séparer les parcelles de 3 à 6 km pour éviter les interférences entre colonies dans les expérimentations en plein champ »(1). Cette phrase décrédibilise l’étude prise comme référence de l’absence de toxicité liée aux semences traitées.

Des différences relatives aux doses létales contribuent à semer le trouble

Par ailleurs, les rapporteurs indiquent des DL50 concernant l’imidaclopride(2) qui ne correspondent pas aux indications d’Agritox, la base de données du site de l’Afssa sur les substances actives phytopharmaceutiques. Dans cette dernière, la DL50 topique est de 0,0081 µg/abeille et la DL50 orale de 0,0037 µg/abeille (source Bayer), alors que les données du rapport sont respectivement de 0,0179 et 0,04, soit une toxicité bien moindre. Ces divergences fondamentales, qui tendent à dédouaner la toxicité, entre autres, de l’imidaclopride, suscitent donc de nouveau des interrogations.

En outre, la bibliographie de ce rapport est sélective et omet nombre de travaux comme ceux de Jean-Marc Bonmatin (CNRS), Marc-Edouard Colin (SupAgro), Gérard Arnold (CNRS), Luc Belzunces (CNRS), etc. (voir bibliographie 5), qui ne vont pas dans le sens de l’innocence des pesticides. Il est regrettable qu’il ne soit fait référence que succinctement aux travaux du Comité scientifique et technique (voir bibliographie 6) commandés par la Direction générale de l’alimentation (DGAL), alors que deux chercheurs de l’Afssa de Sophia-Antipolis y ont participé et ont approuvé leurs conclusions, en indiquant que les « rapports PEC/PNEC (predicted environnemental concentration/predicted no effect concentration) évalués sont assurément préoccupants » (voir bibliographie 7).

Les agents chimiques sont donc cités comme une cause possible, mais rapidement relativisée. Pourtant, un tableau montre la présence de nombreux résidus de pesticides dans du pollen, du miel, des abeilles et des cires. La référence à l’étude remise en cause (voir bibliographie 8) de nourrissement à l’imidaclopride (Faucon et coll., 2005), qui serait inoffensif, participe au dédouanement des pesticides. De plus, le rapport évoque avec une retenue étonnante les cas d’intoxication aiguë – pourtant évidents d’un point de vue symptomatologique et toxicologique – observés en 2008 dans le Bas-Rhin et les Pyrénées-Atlantiques, et demande des compléments d’enquête, irréalisables un an après.

Malgré tous les facteurs possibles de mortalité des abeilles évoqués en France, les auteurs précisent que les données ne sont pas représentatives. Ils évoquent la « subjectivité » des évaluations des affaiblissements ou des mortalités d’abeilles… ce qui risque de mécontenter nombre d’apiculteurs qui connaissent bien l’activité des colonies de leurs ruchers.

Des divergences entre l’Afssa et une partie de la profession apicole sont évoquées

Dans une autre partie du rapport, après avoir rappelé l’organisation de la filière et les différentes structures qui interviennent dans le domaine sanitaire, les auteurs évoquent le suivi et la gestion sanitaire apicole en France (rôles de la DGAL, des Directions départementales des services vétérinaires, de l’Afssa, des assistants sanitaires apicoles et de la profession apicole). La formation mise en place par notre consœur Monique L’Hostis pour les vétérinaires (DIE en apiculture-pathologie apicole) y est expliquée.

Les divergences (essentiellement sur les effets des pesticides) qui existent entre l’Afssa et une partie de la profession apicole sont évoquées, le comité espérant que la situation évoluera vers une « réelle collaboration entre ces deux parties complémentaires ».

Sur la pharmacie vétérinaire apicole, les rapporteurs constatent que seuls quatre médicaments possèdent une autorisation de mise sur le marché pour l’indication “varroase”. La nécessité d’une bithérapie dans certains cas est rappelée. Ces médicaments peuvent être délivrés par les Groupements de défense sanitaire des abeilles (GDSA) dans le cadre d’un plan sanitaire d’élevage (PSE). Quant aux autres médicaments, l’usage d’antibiotiques par certains dans la lutte contre la loque américaine et l’interdiction, depuis 2002, de la fumagiline dans le traitement de la nosémose sont relevés.

Des recommandations “positives” si aucun sujet tabou n’est exclu

Le rapport conclut à la prédominance des causes biologiques dans les pertes des colonies, alors que la question du « rôle éventuel des substances phytopharmaceutiques (…) comme facteurs adjuvants d’agents pathogènes biologiques majeurs ou mineurs » reste posée. Dans leurs recommandations(3), le souhait des rapporteurs de réorganiser la filière via la création d’un institut technique est positif, si aucun sujet n’est tabou, notamment les pesticides et leurs effets toxiques aigus et subaigus. En outre, les rapporteurs, en l’absence de chiffres « fiables » permettant d’objectiver la diminution des populations d’abeilles françaises, souhaitent la mise en place d’un réseau d’épidémiosurveillance qui permettrait de « chiffrer la situation vécue par les acteurs de la filière ». Il faut toutefois rappeler que des études du Centre national du développement apicole (CNDA) et de la Fédération nationale des organisations sanitaires apicoles (FNOSAD), pourtant saluées par ce rapport, montrent indiscutablement et chiffrent ces pertes de colonies, en particulier pour l’hiver 2007-2008. Elles avoisinaient alors 30 %.

  • (1) En pages 140 et 141 du rapport.

  • (2) Dans le tableau 14 en page 60 du rapport.

  • (3) Les recommandations de l’Afssa sont consultables sur WK-Vet.fr (rubrique “Semaine Vétérinaire”, puis “Compléments d’articles”).

BIBLIOGRAPHIE

  • 1 - L. Gauthier et coll. : « Viral load estimation in asymptomatic honey bee colonies using the quantitative RT-PCR technique », Apidologie, 2007, n° 38, pp. 426-435.
  • 2 - L. Mathieu : « Essais de lanières Coumaphos par inserts », unité “abeille” du Cneva, Sophia-Antipolis, bilan d’activité 1998.
  • 3 - G.C. Cutler, C.D. Scott-Dupree : « Exposure to clothianidin seed-treated canola has no long-term impact on honey bees », Journal of Economic Entomology, 2007, vol. 100, n° 3, pp. 765-772.
  • 4 - www.apivet.eu/2009/02/a-propos-des-études-en-toxicologie-chez-labeille-en-général-et-dune-étude-en-plein-champ-sur-la-toxi.html
  • 5 - S. Suchail, D. Guez, L.P. Belzunces, Environ. Toxicol. Chem., 2000, n° 19, pp. 1901-1905 et Environ. Toxicol. Chem., 2001, n° 20, pp. 2482-2486 ; J.-M. Bonmatin, CNRS, 2003, n° 24 et Environmental Chemistry, 2005, n° 26, pp. 483-494 ; Cerfi : « Evaluation des effets du fipronil sur la biologie de l’abeille », 2002 ; L.P. Belzunces, Inra, Avignon, 2003, n° 14.
  • 6 - http://agriculture.gouv.fr/sections/publications/rapports/ fipronil-utilise-en/downloadFile/FichierAttache_1_f0/080218_rapport_fiproniljuillet2006.pdf?nocache=1203426652.66
  • 7 - M. Aubert, Bulletin épidémiologique de l’Afssa, mars 2006.
  • 8 - N. Vidal-Naquet : « La controverse de l’imidaclopride », discussion sur une étude de l’Afssa, La Santé de l’abeille, n° 227.

Situation de la filière apicole française

La filière apicole française compte environ 1 346 575 ruches et 75 000 apiculteurs, dont seulement 1 762 professionnels qui possèdent à peu près 45 % du cheptel. Entre 1994 et 2004, une baisse du nombre d’apiculteurs et de la quantité de ruches par rucher chez les apiculteurs de loisir est notée, ainsi qu’une hausse chez les professionnels, « vraisemblablement destinée à compenser la diminution de production liée aux pertes de colonies d’abeilles ». La production de miel en France a globalement diminué de 30 000 t en 1996 à 25 000 t en 2004.

N. V.-N.
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