Après les scandales alimentaires à répétition, la confiance dans le “bio” chinois est ébranlée

Afin de nourrir le peuple le plus nombreux de la planète, la Chine a, depuis des décennies, eu recours de façon massive aux pesticides et aux engrais chimiques. Aujourd’hui, un autre courant s’affirme dans la filière agro-alimentaire : la montée en puissance des produits biologiques. Avec 3,5 millions d’hectares, le pays s’est ainsi classé au deuxième rang mondial, en 2006, en termes de surfaces plantées en agriculture biologique⁽¹⁾.

La production “bio”, en pleine extension, est en grande partie destinée à l’exportation. Mais hors du pays, plusieurs scandales mettant en cause des produits biologiques ont amené de nombreux consommateurs à s’interroger sur la fiabilité du “bio” chinois. Au Japon, des traces de pesticides ont été retrouvées dans du gingembre certifié biologique et importé de Chine. En France, des tourteaux de soja destinés à des élevages de volailles biologiques ont été contrôlés positifs à la mélamine. Pour Christophe Couroussé, directeur de la communication à Terrena, la coopérative qui avait importé la marchandise contaminée, la confiance est rompue et les importations chinoises terminées. « Habituellement, nous travaillons avec le Brésil. Mais l’an passé, la récolte ayant été insuffisante, nous avons acheté trois lots en Chine. Nous avons fait des tests pour rechercher d’éventuels résidus phytosanitaires ou des traces d’organismes génétiquement modifiés. La marchandise était conforme, mais nous n’avons pas imaginé qu’il pouvait y avoir de la mélanine dans des tourteaux de soja. » Terrena rappelle que la production importée avait été certifiée “bio” par Ecocert, l’organisme français de contrôle et de certification agréé en Chine, dont les auditeurs sont chargés de visiter les exploitations.

« Un patchwork des systèmes européen, américain et japonais »

Cela signifie-t-il que le label “bio” chinois n’est pas sûr ? De fait, si du côté chinois on n’a pas détecté la présence de mélamine dans les tourteaux de soja, le certificateur Ecocert ne l’a pas fait non plus. « Aucun pays n’est à l’abri d’un cas de fraude ou de malveillance, explique Xiao Xingji, directeur de l’Organic Food Development Center, un organisme chargé de promouvoir l’agriculture biologique en Chine. Chaque produit certifié “bio” en Chine doit obéir à des critères stricts au niveau des méthodes de production, pour s’assurer qu’elles n’impliquent pas de substances chimiques. » Même discours à la Food and Agriculture Organization (FAO) : « Nous étions, dans le cas des tourteaux de soja, face à un cas de fraude, souligne Nadia Scialabba, experte en agriculture biologique. La Chine avait autrefois un système compliqué, qui mélangeait l’agriculture biologique et l’agriculture “verte” qui s’efforce de respecter l’environnement. Il y a quelques années, le pays s’est doté d’un nouvel arsenal, en s’appuyant sur les normes de ses trois principaux marchés : l’Europe, le Japon et les Etats-Unis. Il a cherché un dénominateur commun et fait un patchwork de ce qu’il y a de mieux dans chacun de ces systèmes. »

Il y aurait « moins de fraude dans la filière biologique »

Les sols chinois, qui ont reçu pendant des dizaines d’années des pesticides, dont certains interdits en Europe en raison de leur toxicité, sont-ils aptes aujourd’hui à produire une agriculture biologique ?

« La conversion d’une terre pour l’agriculture biologique nécessite une période de plusieurs années, qui pourrait s’appeler “de transition”, explique Xiao Xingji. Cela prend généralement deux ou trois ans, mais il est possible d’imaginer, dans le cas d’une terre très polluée, que cela demande cinquante ou cent ans. Des tests sont effectués pour déterminer si les terres dédiées au “bio” sont contaminées. Si l’appellation “biologique” est usurpée, les sanctions sont sévères tout au long de la chaîne, au niveau du producteur comme du certificateur, et jusqu’à l’organe de contrôle… » Il faudra pourtant du temps pour que les produits made in China, dans tous les domaines, gagnent la confiance des consommateurs européens, alors que le pays ne cesse d’être critiqué pour son manque de transparence et la corruption qui le gangrène. Mais la Chine, soucieuse de se rétablir son image après la série de scandales qui l’a touchée, met les bouchées doubles.

Par ailleurs, pour faire en sorte que son peuple continue à avoir confiance dans ses produits, la Chine s’est lancée dans une grande chasse aux sorcières contre les fraudes. « Les textes prévoient souvent des sanctions, mais il faut examiner jusqu’à quel point un pays les met en pratique, insiste Nadia Scialabba. D’une manière générale, je pense qu’il y a plutôt moins de fraude dans la filière biologique que dans le reste de l’agriculture. Le marché est plus petit, les risques encourus sont plus visibles et donc plus élevés. »

• (1) Chiffres conjoints de l’IFOAM (International Federation of Organic Agriculture Movements), du FIBL (Research Institute of Organic Agriculture) et de la SOEL (Foundation Ecology and Farming).