L’écureuil gris américain est en passe d’envahir la France

L’écureuil gris (Sciurus carolinensis) est un mammifère arboricole, originaire du continent américain, commun dans toute la partie est de l’Amérique du Nord. Introduit en Angleterre, en Ecosse et en Irlande au cours de la deuxième moitié du XIX^e siècle, il a colonisé 90 % de ces territoires. En Grande-Bretagne, et plus largement en Europe, l’écureuil gris a peu de prédateurs. Omnivore, il se reproduit bien, et s’installe à la campagne comme en zone périurbaine. Il représente une véritable gêne pour les espèces naturellement présentes dans ces régions. En effet, il s’empare de l’habitat naturel de l’écureuil roux (Sciurus vulgaris) et l’élimine progressivement de son propre environnement par un phénomène de compétition. Ainsi, l’écureuil roux n’est aujourd’hui présent en Angleterre que dans certaines aires refuges.

L’écureuil gris est porteur sain d’un parapoxvirus mortel pour l’écureuil roux

Par ailleurs, en Grande-Bretagne, l’écureuil gris américain semble être porteur sain du squirrelpox virus (parapoxvirus), mortel pour l’écureuil roux et contre lequel aucun vaccin n’est disponible. Cela illustre, une nouvelle fois, la capacité des maladies transportées par des espèces envahissantes à agir comme de véritables armes biologiques en accélérant l’avancée de ces espèces.

L’écureuil roux n’est pas le seul à pâtir de la présence de l’écureuil gris. Ce dernier provoque également d’importants dégâts sur les forêts en “écorçant” les arbres, ce qui abîme le bois et facilite l’entrée de champignons et d’insectes, portant ainsi atteinte à la fois aux écosystèmes forestiers et à l’industrie forestière.

Une étude⁽¹⁾ menée par des chercheurs de l’université de Turin (Italie) présente un modèle prédictif de l’invasion de l’écureuil gris depuis l’Italie vers toute l’Europe. Il s’agit en effet du seul pays européen continental où cette espèce est aujourd’hui observée. Elle y aurait été introduite au cours du XX^e siècle.

L’espèce devrait arriver en France dans soixante-dix ans environ

Les scientifiques ont employé un modèle de population dynamique spatialement explicite (SEPM), censé prévoir l’expansion de l’écureuil gris. Au cours de cette simulation, deux cas ont été envisagés, plus ou moins favorables à l’envahisseur. Dans le meilleur des deux, c’est-à-dire le moins favorable à l’écureuil gris, trente à quarante ans seraient nécessaires à l’espèce pour commencer à envahir les Alpes et soixante-dix à soixante-quinze pour franchir la frontière entre la France et l’Italie. Dans le pire des cas, l’invasion serait beaucoup plus rapide. Les scientifiques suggèrent ainsi la présence de plus de deux millions d’individus dans moins de cent ans. Les auteurs prédisent aussi l’installation des premières populations en Suisse entre 2051 et 2066.

Une menace à la fois pour la biodiversité et l’industrie forestière

De grandes régions d’Europe abritent des types d’habitats qui pourraient potentiellement convenir aux écureuils gris. Leur progression depuis l’Italie en direction de la France, de la Suisse et plus largement en Europe est donc – en dehors de tout contrôle – une question de temps. Il s’agit d’une menace qui pèse à la fois sur la biodiversité (les écosystèmes forestiers, en particulier les populations européennes d’écureuils roux), mais également sur la foresterie commerciale.

L’arrivée de l’écureuil gris en Europe rendra encore plus difficile la mise en œuvre de mesures d’éradication et de contrôle. Aux problèmes techniques liés aux actions menées sur de larges territoires s’ajoutera la nécessité de coordonner les efforts fournis par les autorités de différents pays. Les auteurs de l’étude suggèrent donc, dès maintenant, la mise en place de mesures de contrôle, voire d’éradication de l’écureuil gris présent en Italie, faute de quoi cette espèce colonisera inévitablement d’autres pays européens. Ils soulignent par ailleurs le caractère encore balbutiant de la politique européenne en matière d’introductions d’espèces, alors que les espèces envahissantes sont considérées comme la deuxième cause de perte de biodiversité après la réduction des habitats. Ainsi, certaines animaleries vendent ces fameux écureuils gris dont le pouvoir invasif n’est pourtant plus à démontrer. Face à cette problématique, l’Initiative européenne pour l’écureuil a été fondée en juin 2002. Elle vise à créer, à développer et à maintenir une campagne destinée à gagner le support et l’engagement des gouvernements européens pour sécuriser l’avenir de l’écureuil roux et obtenir un contrôle efficace de l’écureuil gris. Dans ce but, elle commissionne, entre autres, des recherches sur l’impact de l’écureuil gris sur les écosystèmes européens.

• (1) S. Bertolino, P. Lurz., S. Sanderson, S. Rushton : « Predicting the spread of the American grey squirrel (Sciurus carolinensis) in Europe : a call for a co-ordinated European approach », Biological conservation, 2008, n° 141, pp. 2564-2575.

• Pour en savoir plus : www.europeansquirrelinitiative.org