Une bithérapie, voire une trithérapie contre Varroa destructor semble désormais nécessaire - La Semaine Vétérinaire n° 1347 du 13/02/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1347 du 13/02/2009

Filière apicole

Formation continue

FILIÈRES

Auteur(s) : Nicolas Vidal-Naquet

Jusqu’à présent, lors de varroase, les spécialistes conseillaient un traitement unique de six à dix semaines avec les lanières antiparasitaires. Il semble désormais insuffisant dans un certain nombre de situations.

L’acarien Varroa destructor (voir encadré) est aujourd’hui considéré comme l’un des principaux fléaux des colonies d’abeilles. Il a gagné tous les ruchers de France et provoque des pertes de colonies importantes. Le contrôle de la varroase passe par trois méthodes indissociables. La première consiste à rechercher des abeilles tolérantes, voire résistantes à Varroa destructor, ce qui repose sur la sélection génétique. La deuxième relève des domaines zootechniques et biotechniques : piégeage de Varroa par du couvain mâle et pose de plateaux grillagés (destinés à limiter la recontamination avec des Varroa tombés lors de l’activité de nettoyage des abeilles). Ces deux techniques de lutte sont bien entendu nécessaires, mais insuffisantes. Il faut faire appel à la troisième, les traitements médicamenteux, pour que l’arsenal soit complet.

Seuls trois médicaments sont, selon leur autorisation de mise sur le marché (AMM), indiqués contre la varroase des abeilles : Apistan® (à base de fluvalinate) et Apivar® (amitraz) se présentent sous la forme de lanières à libération prolongée, Apiguard® (à base de thymol) sous celle d’un gel contenu dans des barquettes à placer au-dessus des cadres. Jusqu’à présent, les spécialistes conseillaient un traitement unique de six à dix semaines avec les lanières. Cependant, des manques d’efficacité et des suspicions de résistance sont aujourd’hui fortement évoqués dans la filière apicole et sources d’inquiétude. Il est donc intéressant d’essayer de faire le point sur l’actualité des traitements de Varroa.

Des diminutions d’efficacité sont observées pour le fluvalinate et l’amitraz

De nombreux spécialistes apicoles reconnaissent désormais un manque d’efficacité et des phénomènes de résistance (liens de cause à effet ?) lors de l’utilisation du fluvalinate dans le cadre de la lutte contre Varroa destructor. Une étude (voir bibliographie 1) a été menée dans cent vingt-quatre ruches réparties sur onze départements, grâce à la participation des Groupements de défense sanitaire des abeilles (GDSA) ou des sections apicoles des Groupements de défense sanitaire (GDS) de la Fédération nationale des organisations sanitaires apicoles départementales (FNOSAD). Les constatations sur le terrain montrent que l’efficacité du fluvalinate est supérieure à 95 % dans moins de deux ruches sur cinq. Cependant, après avoir été abandonné pendant quelques années dans les Bouches-du-Rhône, le produit a été de nouveau utilisé en octobre 2006 dans la région (secteur d’Aix-en-Provence), avec une efficacité comparable à celle de l’amitraz (Apivar®), malgré quelques échecs actuellement difficiles à expliquer (voir bibliographie 2).

Concernant l’amitraz, les apiculteurs constatent également aujourd’hui (ou ont l’impression de constater) une diminution d’efficacité. L’Association pour le développement de l’apiculture provençale (Adapi) observe une hausse du nombre de colonies non protégées par un traitement unique d’Apivar® entre 2004 et 2006, dans une étude menée en Provence (voir bibliographie 2). Pour Julien Vallon, agent sanitaire apicole, « il est inquiétant d’assister à une augmentation, d’une année à l’autre, de la proportion des colonies non protégées par un seul traitement Apivar® ». Pour sa part, Jean-Paul Faucon, chef de l’unité “abeille” de l’Afssa, évoque une recherche sur dix-sept ruches d’un rucher et le nombre important de Varroa comptés dans les colonies lors d’un traitement de contrôle effectué juste après l’utilisation, pendant dix semaines, de lanières Apivar® (voir bibliographie 3). De cinquante-trois à cinq cent quatre-vingt-six Varroa destructor résiduels sont dénombrés, ce qui signe un manque d’efficacité du traitement. Cela signifie qu’une colonie qui n’a reçu qu’un traitement risque de débuter la saison avec un minimum de cinquante Varroa, ce qui engendrera un affaiblissement de la colonie, donc des pertes de production. « Avec un seul traitement par Apivar®, certaines colonies auront bien du mal à passer l’hiver. Un contrôle de toutes les colonies du rucher, ainsi qu’un traitement complémentaire avec un produit acaricide autre que l’amitraz sont donc obligatoires à l’heure actuelle », conclut le chercheur.

Des disparités régionales sont observées en termes d’efficacité

Dans l’étude de la FNOSAD sur 124 ruches qui révèle une efficacité de 95 % sur en moyenne 78 % des colonies pour Apivar®, cette efficacité est estimée par un comptage des Varroa après le traitement de contrôle. Cependant, ces travaux mettent en évidence une action insuffisante dans 16 % des cas et très insuffisante dans 6 %. Des disparités sont en outre mises en évidence selon les départements. Ainsi, dans le Finistère, l’efficacité constatée d’Apivar® est meilleure qu’ailleurs.

Dans une autre recherche effectuée en 2005 sur quinze ruches du site de l’Afssa de Sophia-Antipolis (Alpes-Maritimes), Jean-Paul Faucon et ses collaborateurs concluent, pour leur part, à une « protection de 99,5 % » par l’amitraz (voir bibliographie 4). Les travaux menés par Yves Le Conte la même année à l’Inra (voir bibliographie 5) vont dans le même sens. Il conclut que « l’efficacité de l’amitraz et du procédé Apivar® est tout à fait satisfaisante dans les conditions expérimentales de nos ruchers de la région d’Avignon, où les acariens ne semblent pas devenir résistants à cet acaricide pour le moment ».

Apiguard®, quant à lui, est utilisé avec plus de contraintes que les autres produits. En effet, il agit grâce au caractère volatil du thymol. Son emploi n’est donc possible que lorsque la température s’élève à 20 °C environ. S’il fait trop froid, l’évaporation ne se produit pas. S’il fait trop chaud, elle est trop rapide et peut poser des problèmes de tolérance à la colonie (agitation, abandon, dérive, etc.). L’efficacité du thymol semble variable et incertaine, et ne peut se concevoir que dans un cadre d’alternance de traitement, avec une nécessité absolue d’un traitement hors couvain radical. Selon Jean-Paul Faucon, « l’efficacité du traitement en présence de couvain est en moyenne de 85 %. Ce traitement seul n’est donc pas suffisant, il devra être complété par un autre, curatif, au moyen d’un autre acaricide ».

Résistance et sensibilité de Varroa étudiées en 2009-2010

Ces différentes études montrent d’une part que le manque d’efficacité peut s’expliquer par des causes “techniques” ou environnementales :

- des lanières laissées en place insuffisamment longtemps et/ou posées trop tard dans la saison ;

- une absence de vérification de la position des lanières à mi-traitement, donc de leur repositionnement ;

- le déplacement d’une grappe d’abeilles hivernale, entraînant un excès ou une insuffisance de contact avec les lanières ;

- la présence de couvain fermé, ce qui empêche l’action de la molécule sur les Varroa présents dans les cellules operculées. Il faut particulièrement retenir ce facteur en raison de la modification du climat qui raccourcit les périodes de froid : lorsqu’il fait doux, l’activité de la ruche est plus importante et celle de la reine aussi ;

- l’inhibition de l’action de l’amitraz par le froid : l’activité des abeilles au sein de la grappe est plus réduite et la diffusion du produit actif est moindre.

Par ailleurs, « si le traitement de la varroase avec des médicaments autorisés à cet effet reste indispensable, les résultats obtenus (notamment dans l’étude de la FNOSAD) semblent indiquer que la stratégie de lutte mono-thérapeutique conseillée jusqu’à présent est désormais insuffisante dans un certain nombre de situations », estiment Jérôme Vandame et Jean-Marie Barbançon, spécialistes apicoles. Un consensus émerge en effet sur la nécessité d’une bithérapie, voire d’une trithérapie, contre Varroa destructor. Cela prendrait la forme d’un premier traitement à libération lente (lanières) fin août-début septembre (soit dès la fin de la période de production), pendant dix semaines, avec une vérification de la position des lanières à mi-traitement et leur repositionnement si nécessaire, afin d’assurer un contact optimal avec les abeilles. Après cette phase initiale, un ou deux traitements “de contrôle” devraient permettre de vérifier l’efficacité du premier et d’agir sur les Varroa restants. Ils seraient à effectuer sur couvain ouvert ou avec très peu de couvain fermé, dès le retrait des lanières, à l’aide d’acide oxalique, l’utilisation de ce produit étant réservée à un vétérinaire ayant auparavant examiné les ruches et dans les conditions de prescriptions légales. L’acide oxalique est en effet inscrit en annexe II des LMR(1) depuis 2004, mais continue de faire partie de la liste des substances vénéneuses.

L’ensemble des travaux réalisés montrent en dernier lieu, comme le souligne Jean-Marie Barbançon, « une impérieuse nécessité à étudier en laboratoire la résistance/sensibilité des acariens Varroa face aux acaricides employés dans les suivis d’efficacité (amitraz et fluvalinate) ». Une telle recherche devrait être menée sur la période 2009-2010 dans le cadre du programme communautaire pour l’apiculture.

La lutte contre Varroa est une obligation pour les apiculteurs. Elle doit se faire dans les règles de l’art, mais aussi s’adapter aux spécificités locales, d’autant plus que le parasite est certainement responsable de l’affaiblissement de nombreuses colonies et de la perte de production consécutive. Cette lutte peut se faire avec les conseils d’un vétérinaire “spécialisé” ou formé à la pathologie apicole… et son ordonnancier (obligatoire !).

  • (1) Règlement CEE n° 2377/90.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. J. Vandame et J.-M. Barbançon : « Traitement de la varroase, une stratégie à repenser », La Santé de l’abeille, 2008, n° 226, juillet-août, pp. 299-306.
  • 2. J. Vallon, F. Savary, P. Jourdan : « Suivi d’efficacité des traitements contre Varroa destructor bénéficiant d’une AMM au cours de l’automne et de l’hiver 2006/2007 », Bulletin technique apicole, 2007, n° 138, vol. 34.
  • 3. J.-P. Faucon : « La varroase, une situation alarmante », La Santé de l’abeille, 2002, n° 187, janvier-février, pp. 11-17.
  • 4. J.-P. Faucon, P. Drajnudel, M.-P. Chauzat, M. Aubert : « Control of the efficacy of Apivar® against Varroa destructor, a parasite of Apis mellifera », Revue de médecine vétérinaire, 2007, vol. 158, n° 6, pp. 283-290.
  • 5. Y. Le Conte, D. Crauser, J.-M. Bécard : « Essai d’efficacité thérapeutique de l’amitraz contre Varroa destructor », UMR 406 Inra/UAPV “écologie des invertébrés”, laboratoire de biologie et protection de l’abeille, Inra Avignon, La Santé de l’abeille, 2007, n° 217, janvier-février, pp. 15-17.

Varroa destructor et son mode d’action

Varroa destructor est à l’origine un parasite de l’abeille asiatique Apis cerenae. Mais il s’est adapté au cycle de d’Apis mellifera, l’abeille européenne. Son cycle de reproduction prend place dans le couvain, préférentiellement dans celui de faux-bourdon. Le couvain de mâle est beaucoup plus attractif que celui d’ouvrières pour le parasite, en raison notamment de la durée de développement du mâle.

La propagation de Varroa de ruche à ruche est associée au comportement de dérive (l’abeille ouvrière butineuse se trompe de ruche en rentrant au rucher) et de pillage des abeilles. La transhumance joue également un rôle, par les transports et les regroupements de ruchers. Par exemple, de nombreux apiculteurs apportent leurs ruchers dans les zones où la lavande est présente. Cela engendre une proximité qui augmente les risques de propagation par pillage ou dérive.

Varroa destructor a une action spoliatrice et mutilante, mais il agit aussi sur la reproduction et les défenses immunitaires de l’abeille. En outre, il est porteur – donc vecteur – de virus connus de l’abeille : celui des ailes déformées (le DWV), celui de la paralysie aiguë (l’ABPV), celui du Cachemire (le KBV), à l’origine de mortalités sans symptômes clairement définis lorsqu’il est associé à Varroa destructor, ou encore le virus sacciforme (le SBV), qui entraîne une mortalité larvaire. Ces virus sont souvent considérés comme générant des affections opportunistes, lors d’affaiblissement des colonies.

N.V.-N.
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