Les scientifiques passent au crible l’épidémiologie et les moyens de lutte contre la FCO - La Semaine Vétérinaire n° 1343 du 16/01/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1343 du 16/01/2009

Fièvre catarrhale ovine

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Lorenza Richard

Les épizooties récurrentes dues aux sérotypes 8 et 1, ainsi que l’apparition du sérotype 6 en Europe, font craindre la survenue d’autres émergences dans les mois à venir.

La fièvre catarrhale ovine est due au blue tongue virus (BTV), de la famille des Reoviridae, genre Orbivirus, dont il existe vingt-quatre sérotypes. Le virus Toggenburg, isolé en Suisse en octobre 2008, est peut-être le vingt-cinquième sérotype, mais la prudence reste de mise sur ce sujet. Les problèmes liés à la coïnfection par différents sérotypes dans les troupeaux suscitent des interrogations sur l’évolution et les mutations des virus actuels. En effet, les réassortiments entre les sérotypes, bien que rares et peu prévisibles, semblent exister in vivo, ce qui fait craindre le risque d’une modification de la virulence de la souche virale. La maladie étant devenue endémique en Europe de l’Ouest et du Nord, il est indispensable de surveiller la circulation des sérotypes par des diagnostics de laboratoire systématiques.

Les vecteurs sont variés et la sensibilité des hôtes évolue

Avant 2006, les ovins étaient considérés comme sensibles, c’est-à-dire capables d’exprimer la maladie, et les bovins comme uniquement réceptifs, c’est-à-dire aptes à multiplier le virus sans expression clinique. Mais la sensibilité des bovins a évolué au cours du temps, car ils sont chaque année plus atteints, même si la mortalité et la morbidité restent faibles. Pour l’instant, le sérotype 6 n’a d’ailleurs affecté que des bovins, et aucun petit ruminant.

Tous les bilans des Groupements de défense sanitaire (GDS) relatifs à l’épidémiologie de la fièvre catarrhale vont dans le même sens, celui de variations considérables de morbidité et de mortalité dues à la maladie selon les régions, voire les exploitations. Le virus provoque un tableau clinique varié et a des effets tératogènes (anencéphalie, hydrocéphalie, arthrogrypose, veaux aveugles, etc.). L’expression clinique semble liée aux variations du pouvoir pathogène des divers sérotypes, et être proportionnelle à la charge virale inoculée par les vecteurs, les culicoïdes.

Le vecteur classique de l’affection, C. imicola, est présent en Corse et dans le Var, mais absent de presque toutes les zones à sérotypes 8 et 1 en Europe. La maladie y est donc transmise par des espèces locales, surtout celles du groupe obsoletus/scuticus, mais aussi par C. pulicaris (en Sardaigne), C. chiopterus (trouvé dans le nord-est de la France, dont les gîtes larvaires sont dans la bouse) et C. dewulfii (dont les gîtes larvaires sont dans la matière, sous les bouses).

Les culicoïdes sont des moucherons qui volent mal et se posent maladroitement sur l’animal. Ils ne piquent pas, mais coupent la peau pour former un petit lac sanguin. Cela expliquerait leur préférence pour les muqueuses et les zones à peau fine, et pourquoi les animaux dont la toison est plus épaisse sont moins “piqués” que les autres. Les espèces de culicoïdes diurnes seraient plutôt attirées par les couleurs sombres, et les espèces nocturnes par les robes claires, ce qui reste à démontrer.

Plusieurs facteurs expliquent la différence de morbidité et de mortalité dans les élevages

L’effet climatique sur le nombre de culicoïdes, donc sur la transmission de la maladie et son expression clinique, est incontestable. Mais les variations considérables de densité de population de vecteurs à quelques kilomètres d’écart et d’un jour à l’autre, quelle que soit la météo, ne s’expliquent pas. De mauvais statuts sanitaire et nutritionnel de l’exploitation semblent être un facteur aggravant pour l’expression de la maladie. Des études montrent en outre que les animaux les plus chétifs et les polyparasités sont plus sensibles que les autres. En revanche, il n’existe aucun effet lié à l’âge. De plus, certains génotypes animaux, d’ovins notamment, présenteraient une résistance particulière à l’affection. Quant à la survie hivernale du virus, elle s’expliquerait par une transmission verticale de mère à petit, et par une transmission orale de ruminant à ruminant, apparemment via l’ingestion des annexes fœtales.

La lutte vectorielle est actuellement limitée. Des pyréthrinoïdes, comme la deltaméthrine, pourraient être utilisés pour la désinsectisation des bâtiments, mais une lutte adulticide efficace nécessiterait de connaître l’endroit où se posent les culicoïdes et l’heure à laquelle les atteindre. Elle n’est donc utilisable que ponctuellement, lors des déplacements d’animaux. Pour sa part, la lutte larvicide est restreinte en raison de la méconnaissance des gîtes larvaires. En outre, certaines larves peuvent s’enfoncer à plus de dix centimètres dans le sol, et sont donc difficiles à atteindre. Des travaux mettent en évidence les limites des traitements appliqués sur les animaux, même s’il convient de compléter ces études pour tirer de véritables conclusions. Or il suffit d’une piqûre infectante pour transmettre la maladie. Il est donc nécessaire d’approfondir les connaissances concernant la biologie et l’écologie des culicoïdes pour proposer des méthodes de lutte intégrée qui combinent différents outils et soient économes en pesticides (en développant les répulsifs, par exemple). Pour cela, des recherches en amont sur les insecticides et les répulsifs efficaces s’imposent.

Protection croisée, immunité naturelle et vaccination suscitent des interrogations

Le moyen de contrôle de choix est la vaccination. Réalisée avec des vaccins inactivés, elle n’empêche peut-être pas systématiquement l’infection, surtout pendant le délai de mise en place de l’immunité, mais elle réduit la virémie postinfectieuse, qui devient vraisemblablement insuffisante pour infecter les vecteurs. Des travaux sur la protection transplacentaire du fœtus par le vaccin et l’immunité colostrale du veau sont à mener. Actuellement, il n’existe pas de preuve d’échecs vaccinaux avec les sérotypes 1 et 8, mais il est important de bien respecter les doses vaccinales prescrites, et de ne pas utiliser des fractions de doses.

Si la protection croisée entre sérotypes n’existe pas dans les livres, il est néanmoins curieux d’observer que l’expression clinique du sérotype 1 est bien supérieure dans les zones où les animaux n’étaient pas vaccinés contre le sérotype 8 par rapport aux zones où ils étaient vaccinés. Selon certains, cela expliquerait le faible développement du sérotype 6. Mais cette opinion n’est pas partagée par tous les experts.

La durée de l’immunité naturelle semble plus longue que celle due au vaccin inactivé, mais elle reste difficile à évaluer. Or de nouveaux sérotypes émergent et d’autres réapparaissent, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. De plus, la proportion de chevreuils et de cerfs porteurs d’anticorps semble importante. Les milieux naturels, en entretenant l’infection, compliquent donc le contrôle de la maladie.

En dernier lieu, la barrière d’espèce a été franchie, puisqu’un lynx, nourri de fœtus de bovins atteints par la fièvre catarrhale ovine, a déclaré la maladie et en est mort. Il semble donc important, pour le moment, de disposer d’un vaccin monovalent pour chaque sérotype décelé. L’éradication de l’affection par la vaccination n’est concevable que si un effort concerté et durable est envisagé pendant des années.

Nous nous dirigeons aujourd’hui vers une nouvelle génération de vaccins inactivés à base de pseudo-particules virales, à condition toutefois que les coûts industriels soient compatibles avec la commercialisation.

Des vaccins recombinants sont aussi à l’étude, avec divers vecteurs (canarypox, capripox, leporipox, adenovirus). Des travaux sont également menés sur des vaccins par génétique inverse, sans solution applicable actuellement.

Les vaccins inactivés sont imposés en France et préférés en Europe. Les risques de diffusion des virus vaccinaux atténués, voire de réversion de la virulence, conduisent généralement à privilégier les vaccins inactivés adjuvés.

L’impact économique de la maladie est important, mais difficile à calculer. La définition des cas et des foyers pose problème. Les seconds sont des foyers sérologiques (une sérologie positive au minimum). Or la valeur diagnostique d’un test RT-PCR positif est difficile à interpréter, car un animal infecté puis vacciné donnera une réponse positive, alors que le virus n’est plus infectant. L’impact économique est donc étudié à partir des cas, en considérant qu’un cas est un animal qui développe des signes cliniques ayant des conséquences pour l’éleveur. Mais la base de données sur l’identification (BDNI) connaît des limites (mort de veaux non marqués, etc.). Le processus de calcul nécessite donc un retour de terrain pour vérifier ou compléter l’information, et il est lourd. Une nouvelle fois, des méthodes et des outils adéquats doivent être développés.

La menace des maladies émergentes nécessite des méthodes de surveillance et de contrôle

La fièvre catarrhale ovine soulève aussi le problème de l’émergence des maladies vectorielles, notamment celles dues aux Orbivirus transmis par les culicoïdes. Le virus EHD, responsable de la maladie hémorragique des cervidés, circule au Maroc et a peut-être déjà atteint l’Espagne. Il a les mêmes espèces hôtes de ruminants que la fièvre catarrhale et donne à peu près les mêmes symptômes. La peste équine, que la France a connue il y a une vingtaine d’années, est préoccupante. La distribution des sérotypes évolue rapidement en Afrique (Sénégal, Ethiopie, etc.) et sa réintroduction en Europe par le biais d’importations d’animaux de zoo ou de chevaux est redoutée. Pour surveiller ces virus, la Commission européenne a donc lancé un appel d’offres sur les méthodes de diagnostic des Orbivirus.

La fièvre catarrhale ovine est ainsi un modèle de maladie émergente liée aux changements climatiques, aux échanges d’animaux, aux systèmes d’élevage et à l’adaptation des virus et des vecteurs. La lutte contre cette affection et son contrôle doivent par conséquent s’adapter aux réalités du terrain. C’est pourquoi un programme de surveillance entomologique est étendu à l’ensemble de la France (Corse comprise) et des enquêtes sérologiques sont menées dans les départements limitrophes des zones réglementées.

CONFÉRENCIERS

Gilles Aumont (Inra), Renaud Lancelot (Cirad), Bruno Mathieu (EID-Méditerranée), Claude Saegerman (université de Liège), Stephan Zientara (Afssa) et Béatrice Mounaix (Institut de l’élevage).

Article rédigé à la suite du forum de discussion autour de la fièvre catarrhale ovine, organisé le 3 décembre 2008 aux Journées “Rencontres sur les recherches autour des ruminants” (3R). Un compte rendu est téléchargeable à l’adresse www.journees3r.fr/IMG/pdf/2008_CR_Rencontre_FCO. pdf

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr