L’évaluation comportementale est-elle une expertise ? - La Semaine Vétérinaire n° 1341 du 02/01/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1341 du 02/01/2009

Chiens dangereux. Actualités juridiques

Actualité

Auteur(s) : Christian Diaz*, Jacques Cordel**

De la réponse à cette question dépend notamment la mise en jeu de la responsabilité des praticiens qui réalisent l’évaluation des chiens mordeurs.

Les évaluations comportementales des chiensmordeursontdébuté.Elles auraient même dû être finalisées au 21 décembre dernier pour les chiens de première catégorie. En effet, la loi sur les chiens dangereux est parue le 20 juin 2008 et plusieurs décrets d’application, publiés au dernier trimestre, ont précisé les contours de l’évaluation comportementale et les niveaux de dangerosité(1), ainsi que le contenu du certificat vétérinaire lors de la cession d’un chien(2). Néanmoins, plusieurs questions se posent pour les confrères, dont la première porte sur l’expertise : l’évaluation comportementale est-elle une expertise ? Pour tenter d’y répondre, il faut au préalable se reporter à la définition de l’expertise, dont trois versions peuvent être versées au débat (voir encadré) et analysées à la lumière du cadre et des objectifs de l’évaluation comportementale. Le cadre consiste en « une consultation vétérinaire » (décret du 10 novembre 2008), c’est-à-dire un ensemble d’investigations de nature médicale (examen clinique, recueil d’informations auprès des propriétaires, examens complémentaires techniques éventuels) et une conclusion. Les objectifs sont « d’apprécier le danger potentiel que peut représenter un chien » (décret du 10 novembre 2008), de communiquer cette information au maire et de proposer des mesures préventives. La synthèse de ces éléments aboutit à deux conclusions :

– les deux premières définitions de l’expertise (la normative et la juridique) sont cohérentes entre elles, reposent sur des fondements incontestables et ont une portée générale. La troisième, proposée par la Direction générale de l’alimentation (DGAL), n’a pas cette portée générale, mais n’est que l’image réductrice d’une situation, qui certes n’est pas incompatible avec les deux premières, mais seulement intégrable en tant que simple cas particulier ou exemple ;

– l’évaluation comportementale telle que la définit la loi dans son cadre e t sa mission (ensemble d’investigations techniques dont les conclusions sont destinées à être rendues à un maire, assorties de recommandations) est compatible avec la définition d’une expertise. Actuellement, seule une jurisprudence judiciaire ou disciplinaire pourrait confirmer ou infirmer cette qualification. Les avis, argumentés ou non, qui fleurissent depuis le mois de mars ne sont que des avis ou des recommandations sans fondement jurisprudentiel, certains étant même dépourvus de fondement juridique.

Il est utile de préciser, une nouvelle fois, que tout vétérinaire est expert de jure et présumé apte à pratiquer cette “expertise”, s’il sollicite son inscription sur les listes départementales, conformément aux dispositions de l’arrêté du 10 septembre 2007.

Des conséquences en termes de responsabilité pour les praticiens évaluateurs

Si l’évaluation est considérée comme une expertise, les conséquences pour le vétérinaire évaluateur sont de trois ordres. En premier lieu, selon l’article R. 242-82 du Code rural (Code de déontologie), un vétérinaire ne peut pratiquer d’expertise dans sa clientèle(3).

Ainsi, un vétérinaire ne pourrait pas procéder à l’évaluation d’un chien de sa clientèle, sauf à risquer d’engager au moins sa responsabilité disciplinaire. Par ailleurs, son impartialité, son objectivité et son indépendance pouvant être discutées devant les tribunaux en cas de sinistre, sa responsabilité civile (en particulier par l’entremise de la notion de perte de chance) et pénale (mise en danger de la vie d’autrui) seraient susceptibles d’être mises en jeu. Enfin, l’évaluateur serait soumis à une obligation de moyens renforcés lors de survenue d’un problème lié à son acte d’évaluation (il lui appartiendrait alors de faire la preuve de l’absence de faute en cas de mise en cause de sa responsabilité civile, vraisemblablement par le biais d’une expertise).

Indépendance, compétence et respect des procédures : les trois clés de la tranquillité

Trois recommandations essentielles pourraient donc être données, dans un souci de protection du vétérinaire évaluateur :

– indépendance : éviter d’évaluer dans le cadre de sa propre clientèle (respect de l’objectivité, de l’impartialité et de l’indépendance) ;

– compétence : via la justification de la participation à des formations sur l’évaluation ou par tout autre moyen (diplôme de vétérinaire comportementaliste entre autres, etc.) ;

– respect des procédures : garder tous les éléments ayant contribué à l’évaluation (pour pouvoir prouver l’absence de faute en cas de problème ultérieur).

Si, pour des raisons locales particulières qu’il considère comme légitimes, le praticien est amené à effectuer cet acte dans sa clientèle, il doit absolument garder à l’esprit les termes d’un courrier signé par nos instances professionnelles, même s’il ne présage en rien du résultat d’un éventuel jugement : « Le fait de pratiquer une évaluation comportementale sur les chiens de ses propres clients ne nous apparaît possible que si l’impartialité et l’objectivité du praticien, fondées sur une démarche scientifique reconnue, ne peuvent être mises en doute. »

Soulignons que les magistrats de l’ordre judiciaire sont impitoyables en ce qui concerne la notion d’indépendance de l’expert.

Environ mille vétérinaires ont déjà suivi les formations à l’évaluation

La polémique porte sur la qualification de l’évaluation en tant qu’expertise, donc la possibilité ou non d’évaluer dans sa propre clientèle. Il est regrettable que l’évaluation, qui devrait être un acte relevant de la santé publique, ait été réduite, par certains, à cet aspect vétérinaro-vétérinaire.

Après avoir qualifié l’évaluation d’expertise médico-légale dans un premier temps, certains membres de la profession ont nié cette notion d’expertise, craignant qu’elle puisse représenter un frein à la réalisation pratique de l’évaluation comportementale en raison d’une insuffisance de praticiens par rapport au nombre présumé des chiens à évaluer (sur la base des estimations discutables de la DGAL). Cette inquiétude, légitime au printemps 2008, alors que les vétérinaires évaluateurs se comptaient sur les doigts d’une main, ne reste aujourd’hui de mise que dans de rares circonstances. En effet, la profession a mis en place un maillage conséquent de vétérinaires formés à cette pratique, grâce aux informations délivrées et aux formations organisées. Environ mille vétérinaires les ont d’ores et déjà suivies. Le calendrier 2009 permettra de doubler ce nombre.

  • (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1336 du 21/11/2008 en page 18.

  • (2) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1338 du 5/12/2008 en page 18.

  • (3) La clientèle du vétérinaire est constituée par l’ensemble des personnes qui lui confient à titre habituel l’exécution d’actes relevant de cet exercice (article R. 242-47 du Code rural).

Les trois définitions de l’expertise

• Définition normative (selon la norme Afnor NFX-50-110) : « Une expertise est un ensemble d’activités ayant pour objet de fournir à un client, en réponse à la question posée, une interprétation, un avis ou une recommandation aussi objectivement fondée que possible, élaborée à partir des connaissances disponibles et de démonstrations accompagnées d’un jugement professionnel : les démonstrations incluent essais, analyses, inspections, simulations, etc. »

Selon cette norme, l’expert est « une personne dont la compétence, l’indépendance et la probité lui valent d’être formellement reconnu apte à effectuer des travaux d’expertise ».

• Définition juridique (Peckels et Hureau, revue Experts, mars 2008) : « L’expertise est un dispositif d’aide à une décision amiable, juridictionnelle ou publique dont le principal objet est de contribuer, en l’état des connaissances scientifiques du moment, à prouver la réalité de faits présumés ou à prévenir la survenue de situations envisageables ou hypothétiques, dans des affaires où les personnes qui en ont la charge sont confrontées à des questions hors de leur compétence. »

Par ailleurs, « l’expertise peut être amiable (de nature contractuelle entre des personnes physiques ou morales, juridictionnelle (encadrée par la loi et les codes) ou publique (destinée à être communiquée ou publiée à la demande de l’Etat, d’une administration centrale ou territoriale) ».

Quant à l’expert, il s’agit d’un « homme de l’art, personne physique ou morale reconnue apte à mener une mission d’expertise. Sa crédibilité est fondée sur des critères indissociables, intangibles et inviolables, quel que soit le type d’expertise pratiquée : la compétence (professionnelle et procédurale), l’indépendance, la méthodologie, la déontologie (conscience, impartialité, objectivité) et l’expérience ».

• Définition de la DGAL (lettre du 24/10/2008 de Claudine Lebon, sous-directrice de la santé et de la protection animales, adressée au Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires) : « Une expertise a lieu lorsqu’au moins deux parties sont en présence et qu’ayant une appréciation différente d’une situation donnée, le recours à un expert pour apprécier cette situation est nécessaire. »

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