Jusqu’où irons-nous pour concilier mandat sanitaire et serment de Bourgelat ?

Connaissez-vous un seul corps de métier qui accepterait ne serait-ce qu’une petite partie de ce que nous impose l’Etat sous couvert du sacro-saint mandat sanitaire ? Nous nous y raccrochons tous, même s’il est de plus en plus difficile de justifier les interventions qui y sont liées, tant sur les plans scientifique et économique qu’éthique. Si elle était facultative et du ressort de l’activité libérale, quel praticien pousserait tous ses clients à la vaccination contre les sérotypes 1 et 8 dans le contexte économique actuel ? Pas moi.

J’ai choisi la clientèle mixte par conviction il y a plus de vingt ans et j’ai essayé d’apporter ma modeste contribution à la lutte contre des zoonoses majeures et contre la fièvre aphteuse qui décimait les troupeaux. Mais j’ai de plus en plus de mal à concilier mandat sanitaire et serment de Bourgelat. Petit florilège : il y a bien longtemps, j’ai vacciné contre la fièvre aphteuse la moitié de ma clientèle mais pas l’autre, car la vaccination a été interdite du jour au lendemain. J’ai euthanasié 172 bovins pour cause d’encéphalopathie spongiforme bovine, une nuit, en catimini, à contrecœur certes, mais le directeur des services vétérinaires m’avait clairement dit qu’un refus pourrait entraîner la perte de mon mandat sanitaire (j’étais jeune, j’ai essayé de me persuader du bien-fondé de ce massacre, mais j’ai encore honte aujourd’hui). Cette année, je dois essayer de convaincre mes clients de vacciner tous leurs bovins contre la fièvre catarrhale, alors que je doute de la légitimité de cette campagne (pas d’objectif d’éradication, cette affection n’est pas une zoonose, incertitudes sur les conséquences économiques de la maladie, l’efficacité et l’innocuité des vaccins, etc.).

Je suis tout à fait d’accord pour être un petit maillon de la fameuse veille sanitaire, mais je trouve anormal, voire souvent antidéontologique, qu’elle soit financée par mes clients. Jusqu’où chacun de vous est prêt à aller sans se poser de questions ? Cette campagne de prophylaxie sans objectifs précis et organisée n’importe comment m’apparaît comme la trombe d’eau qui fait déborder le vase…

J’ai fait un rêve : dans un futur proche où la fièvre catarrhale 1, 4, 6 et 8 est endémique, je suis au tribunal, accusé par un client de lui avoir facturé pendant trois ans une vaccination obligatoire (qui s’est révélée inutile) et de n’avoir pas respecté mes obligations déontologiques de conseils éclairés, certaines données permettant de douter de son intérêt. Le même jour, je suis dans un autre tribunal, accusé par l’Etat de n’avoir pas vacciné tous les taurillons de ma clientèle pendant trois ans et d’être responsable de l’endémicité de la fièvre catarrhale. Tant qu’à être condamné, autant éviter tout sentiment de honte et avoir juste l’impression d’avoir agi honnêtement et de pouvoir continuer à se regarder dans une glace sans détourner les yeux. J’ai de plus en plus de mal. Si d’autres confrères partagent quelque peu mon avis, qu’ils le fassent savoir. Je me sentirai moins seul et peut-être même pourra-t-on commencer à bouger. On a le droit de rêver…