LA MÉDECINE FÉLINE PROGRESSE À L’OMBRE DE LA CANINE - La Semaine Vétérinaire n° 1333 du 31/10/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1333 du 31/10/2008

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Auteur(s) : Michel Bertrou

Alors que le chat est aujourd’hui le premier animal de compagnie dans les foyers français, son rattachement à la médecine canine n’a pas encouragé une approche spécifique. Pratique exigeante et vouée à se développer, la médecine féline gagne pourtant à être mieux (re)connue.

Avec plus de dix millions d’individus, le chat occupe le premier rang des animaux de compagnie en France. L’engouement pour cette espèce augmente, notamment dans les villes, tandis que le chien y régresse. Un chat sur quatre vit dans les agglomérations de plus de cent mille habitants, là où la densité des vétérinaires est la plus élevée, et plus d’un sur dix réside en région parisienne. De petite taille, propre, autonome, peu onéreux, discret, facile à transporter, n’exigeant ni beaucoup d’espace, ni promenade, ni soins, supportant la solitude, vivant facilement à plusieurs, le chat s’adapte aux modes de vie actuels.

La volonté de posséder un animal dépasse aujourd’hui l’attrait d’une compagnie ou d’une tradition : s’occuper de son bien-être améliore le nôtre et sa présence participe à notre équilibre. Aussi, les attentes des propriétaires d’animaux vis-à-vis des vétérinaires ont évolué et la médicalisation du chat augmente. Les ventes de vaccins pour chat ont davantage progressé en France ces quatre dernières années que celles du chien.

Si cette tendance “féline” est en train de modifier le paysage des salles d’attente, dans les grandes agglomérations surtout, qu’est-ce que cela change du côté de la pratique ? Pour le moment, cette mutation n’est pas bien objectivée et la profession rechigne à isoler la médecine féline de son giron canin historique. Par ailleurs, la demande de la clientèle et l’évolution de la qualité des soins appellent à mieux prendre en compte les exigences propres de la médecine féline et à formaliser son approche spécifique.

L’arrivée du chat dans la médecine vétérinaire est tardive

C’est à la suite des Anglo-Saxons, et surtout à partir des années 70 avec l’instauration d’une vaccination régulière et les premiers carnets de santé félins, que la médicalisation du chat se développe en France. Suivant le rythme de la progression générale des connaissances médicales, la médecine féline a fait depuis des pas de géant, mais reste moins bien maîtrisée que celle du chien. De nombreuses connaissances médicales avérées sur le chien sont transposées au chat, mais sans être toutes vérifiées. Des zones d’ombre demeurent. Certaines maladies félines gardent un comportement imprévisible et les affections idiopathiques sont nombreuses. De plus, le chat montre peu et, quand il montre, les symptômes ne sont pas toujours liés à l’origine du problème. Si le diagnostic n’est pas aisé, l’examen et le traitement ne le sont pas davantage. Il s’agit en quelque sorte d’une médecine extrême et, pour les défis qu’elle pose, certains praticiens la jugent passionnante : « Je mène des enquêtes policières du matin au soir », plaisante Jean-Bernard Hulin, praticien félin à Marseille (Bouches-du-Rhône).

Depuis vingt ans, plusieurs confrères ont tenté l’aventure de se consacrer exclusivement au chat. La première clinique a vu le jour à Paris, en 1988, créée par notre consœur Michèle Fradin-Ferme. L’obtention de l’appellation “réservée aux chats” ne lui a pas été accordée facilement.

Une septième structure, un cabinet, vient d’ouvrir à Paris. Ce total de sept, en vingt ans, paraît modeste comparé aux plus de trois cents cat clinics présentes aux Etats-Unis.

Il n’est pas encore si courant d’être praticien félin en France

« C’est assez mal vu », résume Jean-Bernard Hulin. « C’est une fausse spécialité », reconnaît Corinne Laruelle qui, avant de s’installer au Havre il y a onze ans, a hésité entre le chat et sa spécialité de dermatologie. La spécialisation en médecine vétérinaire en France et en Europe s’est faite par appareil, sur le modèle de la médecine humaine, ce qui n’a pas encouragé la spécialisation d’espèce. « Il n’est pas impossible qu’il y ait un jour un collège européen spécialisé en pathologie féline, mais ce sera difficile à mettre en place, comme pour le collège de buiatrie », estime Bernard Paragon, professeur d’alimentation à l’école d’Alfort et président de la Société française de félinotechnie (SFF). « On devrait pouvoir dire qu’il y a des praticiens félins comme il y a des praticiens équins », ajoute Jean-Bernard Hulin. Selon lui, la spécialité d’espèce ne concurrence aucunement les spécialités disciplinaires : « Je ne me sens pas un spécialiste du chat organe par organe, je m’intéresse à l’animal dans sa globalité. » Et d’ajouter : « Quand j’identifie un problème en dehors de ma compétence, le référer à un spécialiste ne me pose aucune difficulté. » Beaucoup de vétérinaires restent légitimement attachés à la diversité de leur activité et ne voient pas l’intérêt de se consacrer à une seule espèce. En retour, les praticiens félins ne se sentent pas assez reconnus par leurs confrères. « Un vétérinaire mixte ne va pas comprendre ce que je fais de plus que lui, explique Marie Erhel, praticienne féline à Paris. Effectivement, je ne vais pas faire beaucoup plus de choses. Mais au final, ce n’est pas tout à fait pareil. » Pour elle, il s’agit surtout d’une question de prise de conscience qui ne s’est pas encore opérée au sein de la profession… Elle estime que c’est à l’enseignement d’accélérer cette évolution des mentalités. Un avis que partage Jean-Bernard Hulin : « Il est temps de prendre en compte dans les écoles le problème de l’exercice félin en France. »

Aucun cours de pathologie féline n’est encore prévu dans le cursus

Ingénieur en recherche clinique et épidémiologique à l’école de Toulouse, notre confrère Brice Reynolds y anime, depuis 2004, une consultation de médecine féline. Cette activité pédagogique présente l’intérêt de ne pas être dédiée qu’à la discipline (la médecine), mais d’attirer aussi l’attention sur l’abord de l’espèce. « Nous sommes partis du constat que la plupart des étudiants ont des difficultés à aborder les chats et que les consultations ne se passent pas toujours bien, explique Brice Reynolds. L’objet est de prendre en compte, assez tôt dans le cursus, les spécificités de cette consultation afin de l’optimiser et qu’elle se passe le mieux possible. La consultation a lieu dans un environnement adapté et son déroulement est formalisé. » L’école de Lyon a également mis en place, un jour par semaine, une consultation de médecine féline animée par notre consœur Anne-Claire Gagnon, praticienne féline exclusive et vice-présidente de la SFF.

Hormis ces initiatives de pédagogie pratique, aucun cours de pathologie féline n’est encore prévu dans le cursus, comme il peut en exister pour la pathologie équine. L’approche comparée, historique, reste privilégiée et, pour chaque discipline, les carnivores domestiques sont regroupés dans un même module. Face à un grand syndrome, tous les particularismes spécifiques sont cependant distingués. Les cardiopathies du chien et du chat, par exemple, sont enseignées séparément. Toutefois, si la séparation est faite, elle n’est pas formalisée. L’évolution pédagogique est différente dans les pays anglo-saxons (Etats-Unis, Australie, Grande-Bretagne) où des spécialisations universitaires ou post universitaires en médecine féline sont possibles.

De nombreux congrès dédiés à la médecine féline existent

La formation continue vétérinaire en France traduit la même ambiguïté que l’enseignement dans les écoles. Un Groupe d’étude en médecine féline (Gemef) avait été créé au sein de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), mais son approche transversale et touche-à-tout n’a pas acquis une légitimité suffisante auprès des autres groupes spécialisés et, fin 2006, il n’a pas été entériné. En revanche, la section d’Aquitaine de l’Afvac organise, chaque printemps depuis neuf ans, le congrès “Le Chat à Arcachon” dont le succès démontre l’intérêt des confrères pour cette médecine. La section vétérinaire de la SFF (qui regroupe également des éleveurs) anime séparément, depuis deux ans, un autre congrès annuel en automne (le dernier vient d’avoir lieu à Lyon du 17 au 19 octobre).

Hors de France, de nombreux congrès de médecine féline existent, grâce notamment au dynamisme du Feline Advisory Bureau (FAB), une œuvre caritative britannique vouée à la connaissance du chat. Le FAB est à l’origine, en 1996, de la création de la Société européenne de médecine féline (ESFM). Aux Etats-Unis, l’Association des praticiens félins américains (AAFP) regroupe plus de mille cinq cents adhérents et organise deux congrès par an. L’AAFP et l’ESFM publient ensemble une revue, le Journal of feline medicine and surgery.

Le FAB et l’AAFP publient des recommandations en médecine féline, à l’instar du comité consultatif européen de l’European Advisory Board on Cat Diseases (ABCD) créé en 2006. Les différents groupes de vétérinaires félins sont par ailleurs en train de mettre en place une fédération internationale (la FVF). En outre, l’European School for Advanced Veterinary Studies (ESAVS) dispense une semaine par an, pendant trois ans, une formation en médecine et chirurgie félines à Zurich (Suisse). Elle n’est pas reconnue en France.

Si la profession vétérinaire tarde à suivre l’exemple anglo-saxon, l’évolution de la demande d’une clientèle motivée ne manquera pas d’encourager de nouvelles pratiques et la poursuite d’initiatives publiques ou privées pour que la médecine féline en France soit mieux valorisée.

  • Voir également le forum sur les particularités de l’exercice félin dans La Semaine Vétérinaire n° 1332 du 24/10/2008 en page 9.

L’analyse de Brice Reynolds

« Quand on s’intéresse au chat et qu’on connaît cette espèce, je crois que, dans la prise en charge, au cours de la consultation, lors de l’hospitalisation et de la prescription, on a des préoccupations qui vont au-delà de l’aspect médical. Et c’est peut-être ce qui vaut à la médecine féline des commentaires qui peuvent parfois être péjoratifs, commente Brice Reynolds (unité pédagogique de pathologie médicale des équidés et des carnivores domestiques, ENVT). Les personnes qui affichent une sensibilité particulière vis-à-vis de l’espèce féline peuvent donner l’impression de s’éloigner du registre technique. Si un premier travail consiste à pratiquer une bonne médecine (établir le diagnostic et prescrire le traitement conformément à l’état actuel des connaissances), il est également permis d’aller plus loin pour tenter de limiter ce que notre intervention peut avoir de négatif.

Ne s’occuper que de ce second aspect ne suffit pas, mais il ne nuit pas aux objectifs techniques, au contraire. Par exemple, il est avéré que le stress a une influence sur un certain nombre de variables biologiques utiles au diagnostic et peut être préjudiciable au rétablissement des animaux… Il y a sans doute des progrès à faire sur la façon dont on s’occupe des chats, mais je pense que c’est une préoccupation partagée par l’ensemble de la profession. »

M. B.

QUELQUES ADRESSES INTERNET

• Afvac : http://www.afvac.com

• SFF : http://www.sff-asso.com

• ESAVS : http://www.esavs.net

• FAB : http://www.fabcats.org

• AAFP : http://www.catvets.com

• ABCD : http://www.abcd-vets.org

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