Une grenouille sans poumons est découverte à Bornéo

Rarissime chez les tétrapodes (amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères), l’absence de poumons a été documentée en 2007 chez une grenouille Barbourula kalimantanensis à Kalimatan (partie indonésienne de l’île de Bornéo)⁽¹⁾. Seules plusieurs espèces de salamandres et une espèce de cécilie⁽²⁾ possèdent cette particularité anatomique. La dissection de plusieurs spécimens de cette grenouille a permis de constater l’absence de poumons et de glotte. En revanche, l’ouverture de l’œsophage est bien plus large que chez une espèce témoin de grenouille.

La respiration épidermique est facilitée par une peau très fine

Cette modification morphologique répond à des exigences biologiques essentielles. Barbourula kalimantanensis vit dans les cours d’eau rapides et froids (14 à 17 °C), qui ne sont pas rares dans l’environnement concerné, celui de la forêt pluviale, et sous ces latitudes. En raison de l’agitation incessante de la surface de l’eau par des remous, cette grenouille doit se déplacer en profondeur. La présence de poumons, qui servent habituellement de flotteurs grâce à l’air qu’ils contiennent, constituerait donc un handicap. Toutefois, les eaux froides sont particulièrement riches en oxygène. La perte des poumons s’est traduite par un aplatissement important de la peau, donc une augmentation de sa surface, un avantage supplémentaire, car la respiration s’effectue par la peau, via la captation de l’oxygène de l’eau.

Cette grenouille est probablement ectotherme. Les chercheurs estiment que, comme tous les amphibiens, ses besoins énergétiques sont limités (10 %) par rapport à un mammifère de même taille. Les apports en oxygène ne sont donc pas aussi essentiels que chez un mammifère. « Perdre les poumons en tant qu’organe principal de la respiration n’a peut-être donc pas présenté trop de difficultés », suggèrent les chercheurs.

Les dissections révèlent aussi que l’estomac, la rate et le foie ont “migré” et occupent l’espace où se trouvent habituellement les poumons. Il reste à expliquer un tel changement, ainsi que la présence d’un cartilage inconnu autour de cet espace.

Alors que sa description n’est pas terminée, cet amphibien particulier et rare nécessite déjà des mesures spéciales de conservation, pour lesquelles plaident les scientifiques. Il figure sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dans les espèces « en danger ». A juste titre : l’exploitation aurifère illégale dans la région dénature sévèrement l’habitat de cette espèce. Les cours d’eau sont agités artificiellement et pollués par les déversements de mercure. Sur de larges portions des rivières traditionnellement fréquentées par cette grenouille, l’eau ne rassemble plus les critères biologiques nécessaires. En outre, l’exploitation forestière, tant légale qu’illégale, accroît les pressions sur l’environnement.

• (1) D. Bickford, D. Iskandar et A. Barlian : « A lungless frog discovered on Borneo », Current Biology, vol. 18, n° 9, 2008.

• (2) Amphibien fouisseur, aveugle et sans membres, d’Amérique du Sud.