L’IMMIGRATION CLANDESTINE DE LA RAGE DÉFIE L’EUROPE - La Semaine Vétérinaire n° 1319 du 13/06/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1319 du 13/06/2008

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Auteur(s) : Michel Bertrou

La menace de la rage s’est rappelée à nous ces derniers moispar des émergences insidieuses. En attendant une hypothétique amélioration des contrôles aux frontières et une harmonisation plus manifeste des règles européennes vis-à-vis des échanges et de la vaccination antirabique, les vétérinaires demeurentles meilleures sentinelles face à la zoonose.

La rage est devenue rare en Europe de l’Ouest. Si pour l’essentiel l’endémie qui y sévissait au siècle dernier a été maîtrisée, les cas d’importations récents en France, en Belgique et en Angleterre – mais aussi, fin 2007, la contamination inédite d’un chat par une chauve-souris, en Vendée – rappellent le rôle essentiel de la vigilance des vétérinaires à l’égard de la zoonose. Le récent cas en Seine-et-Marne montre comment une incubation occulte de rage, importée du Maroc, induit un cas autochtone. La France lui doit d’avoir perdu, pour au moins deux ans, son statut officiellement indemne. Les propriétaires d’animaux doivent être, sans cesse, sensibilisés à la gravité de la maladie et à la complexité de son épidémiologie. Des recommandations préalables aux voyages et le respect de la réglementation sont encore les plus sûrs moyens de réduire les risques de réintroduction du virus.

En Europe, à la différence de l’Asie et de l’Afrique, les réservoirs sont sauvages

La situation vis-à-vis de la rage reste alarmante à l’échelle de la planète. Plus de trois milliards de personnes dans le monde vivent dans des zones d’enzootie rabique. En dépit de l’existence de vaccins efficaces, elle reste responsable de plus de cinquante mille morts par an, principalement en Asie (environ 56 %) et en Afrique (près de 44 %), le reste du monde totalisant moins de 1 % des cas. Après la plus haute incidence de la maladie observée en 1989, et depuis un nouveau pic en 2003, la situation s’améliore en Europe. Elle est le résultat des programmes nationaux et européens de vaccination orale des renards. Sur le pourtour de l’Union européenne, en revanche, une augmentation des cas est constatée depuis l’an 2000, au sein de la faune sauvage (le renard roux, mais également le chien viverrin) comme chez les animaux domestiques. Certains de ces pays (pays baltes, Roumanie) ayant récemment intégré l’Union, la situation au sein de l’Europe demeure hétérogène.

Ainsi, quatre groupes d’Etats membres sont à distinguer. Le premier rassemble les pays indemnes de rage autochtone (à l’exception de celle des chiroptères) comme le Royaume-Uni, Malte, la Suède, l’Irlande, le Danemark et Chypre. Puis viennent les autres pays indemnes, où la probabilité d’introduction du virus depuis les Etats voisins est jugée non négligeable. Il s’agit des pays autrefois infectés par la rage vulpine et qui l’ont éradiquée par la vaccination orale : la Finlande, les Pays-Bas, l’Italie, la France, le Luxembourg, la Belgique, la république Tchèque, l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Ensuite, d’autres pays (Autriche, Allemagne, Slovénie) ne font face qu’à une faible prévalence, avec quelques cas de rage sauvage rapportés, et continuent les campagnes de vaccination orale de la faune sauvage. Enfin, il y a les pays où la prévalence chez les carnivores domestiques est supérieure à un cas pour dix millions (soit un nouveau cas de rage par an dans une population d’un million d’individus), avec en outre des cas rapportés dans la faune sauvage : il s’agit de l’Estonie, de la Hongrie, de la Bulgarie, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Pologne, de la Roumanie et de la Slovaquie.

Au-delà de cette situation, les frontières européennes restent perméables et l’intensification des échanges multiplie les risques de réintroduction du virus.

En quarante ans, la France a connu vingt-cinq cas de rage importés, dont onze du Maroc

Aujourd’hui, en Europe de l’Ouest, les cas de rage canine sont importés. Les animaux en incubation sont majoritairement des chiots ou de jeunes chiens introduits illégalement depuis une zone endémique voisine par des voyageurs ignorants du risque. En France, ces cas proviennent principalement des pays d’Afrique du Nord, en particulier du Maroc. En Allemagne, ils viennent plutôt de Turquie, mais aussi d’Asie, du Népal ou d’Azerbaïdjan.

De 1968 à 2008, vingt-cinq carnivores domestiques en incubation de rage ont ainsi été importés en France. Onze provenaient du Maroc. Sur ce total, cinq ont entraîné des cas secondaires (sept chiens et un chat en 1969, six chiens en 1974, un chat en 1981, trois chiens en 1983, deux chiens en 2007-2008). Aussi isolés que restent ces événements, ils n’en constituent pas moins une sérieuse menace pour la santé publique. A la suite du cas en Gironde d’août 2004, cent quatre-vingt-sept personnes ont reçu un traitement postexposition (avec plus de mille deux cent cinquante animaux analysés !). Pour le cas de Seine-et-Marne, cette année, cent cinquante-deux personnes ont été traitées.

Une mosaïque de protocoles vaccinaux antirabiques autorisés au sein de l’Union

Faciliter les mouvements des animaux domestiques, comme le réclame la population, tout en offrant des garanties sanitaires pour prévenir l’introduction d’animaux en incubation, telle est la difficile équation que tente de résoudre la législation européenne.

Depuis le 1er octobre 2004, le règlement 998/ 2003(1) définit les règles de circulation et d’introduction des carnivores domestiques, à titre commercial ou non. Tout chien, chat ou furet qui voyage dans l’Union européenne doit ainsi être identifié, en possession d’un passeport européen (fourni et rempli par un vétérinaire) et être valablement vacciné contre la rage. Le règlement ne fait pas de différence entre les pays d’origine des carnivores domestiques au sein de l’Union. Il n’en va pas de même pour les pays destinataires et, dans son article 6, il est question de conditions spécifiques pour les mouvements vers le Royaume-Uni, l’Irlande, Malte et la Suède (voir schéma ci-dessous). La période transitoire de cinq ans durant laquelle ces conditions particulières s’appliquaient vient d’être prolongée jusqu’au 1er juillet 2010.

Concernant l’introduction d’animaux domestiques depuis des pays tiers, le règlement distingue deux catégories. Les pays tiers et territoires indemnes de rage, ainsi que ceux dont la situation épidémiologique est considérée comme équivalente (vis-à-vis de la rage) à celle des Etats membres, n’ont pas à satisfaire de conditions supplémentaires. Ces pays et territoires sont listés dans l’annexe II du règlement, et la liste est régulièrement révisée selon les évolutions épidémiologiques. En revanche, les carnivores domestiques qui proviennent des autres pays tiers (non listés) doivent justifier d’un titrage des anticorps rabiques du sérum effectué dans un laboratoire agréé par l’Union européenne(2). Ce titrage doit avoir été réalisé au moins trois mois avant l’introduction, avec un résultat supérieur ou égal à 0,5 UI/ml. Si les garanties spécifiques aux mouvements vers certains Etats membres dispensent de règles contraignantes et coûteuses comme la quarantaine, elles ne se justifient pas scientifiquement pour les animaux provenant d’un pays au statut épidémiologique équivalent. Elles entravent surtout la lisibilité du règlement. A cet écueil s’ajoutent la mosaïque de protocoles vaccinaux antirabiques autorisés au sein de l’Union et les positions nationales divergentes quant à l’introduction de jeunes animaux non vaccinés (voir encadrés).

L’harmonisation reste encore un projet en devenir

Dans ce contexte, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a été saisie en 2006, afin d’effectuer une évaluation des risques aux cours des échanges de carnivores domestiques. L’objectif était de déterminer dans quelle mesure il est possible de se passer des tests sérologiques sans augmenter le risque d’introduire un animal en incubation de rage. Deux éventualités sont à considérer : celle qu’un animal s’infecte avant la vaccination et celle d’une infection postvaccinale, dans l’hypothèse rare où la vaccination n’aurait pas induit d’immunité protectrice. L’opinion de l’Efsa(3) conclut qu’en dessous d’une incidence annuelle, dans le pays d’origine, d’un carnivore domestique infecté sur un million, le risque de contamination avant la vaccination reste négligeable. Pour les échanges entre ces pays à faible risque, il n’est donc pas rationnel d’inclure un temps d’attente au-delà de celui nécessaire à l’acquisition d’une immunité suffisante. Pour les animaux qui proviennent de pays où l’incidence est supérieure, le protocole doit alors inclure un délai à la suite de la vaccination, la longueur de ce temps d’attente réduisant d’autant l’hypothèse d’une contamination avant la vaccination. Au-delà d’un certain délai (cent jours), si une réduction plus importante du risque est demandée (il s’agit alors de diminuer le risque d’une infection postvaccinale), il est possible de s’assurer de l’immunité par une analyse sérologique. L’étude souligne cependant que, d’après certains travaux publiés, l’administration d’une seconde dose vaccinale, quatre à six semaines après la première, apporterait une garantie équivalente, sinon meilleure que la sérologie. Elle en constituerait donc une alternative, à la condition que les protocoles vaccinaux actuellement autorisés soient révisés pour y inclure cette option. Cela sous-entend que les laboratoires fabricants devront mener des études complémentaires pour rendre ce nouveau protocole possible.

(Suite en page 32)

  • (1) http://ec.europa.eu/food/animal/liveanimals/pets/index_fr.htm

  • (2) http://europa.eu.int/comm/food/animal/liveanimals/pets/approval_fr.htm

  • (3) http://www.efsa.europa.eu/en/science/ahaw/ahaw_opinions/ej436_rabies.html

  • (4) Voir l’annexe III (prochainement remise à jour) de la note DGAL/SDSPA/N2008-8096 du 24/4/2008.

  • (5) Voir l’étude de F. Cliquet et coll. de l’Afssa Nancy, publiée dans la Revue scientifique et technique de l’OIE, 2003, vol. 22, n° 3, pp. 857-866.

  • (6) En France et dans la plupart des Etats membres, la sérologie s’effectue un mois après l’injection vaccinale. La Suède demande, elle, un délai de quatre mois.

  • Important : contrairement à l’infection humaine, la vaccination postexposition a peu ou pas d’effet chez les carnivores domestiques. Elle serait cependant susceptible d’allonger l’incubation.

La vaccination antirabique en Europe

En Europe, les vaccins antirabiques à usage vétérinaire pour les animaux domestiques sont inactivés et obtenus sur cultures cellulaires. Plusieurs types de vaccins existent selonles souches utilisées et les substrats cellulaires choisis. La plupart d’entre eux utilisentun adjuvant pour stimuler la réponse immunitaire. L’Afssa en comptabilisait vingt-trois en janvier 2007, mais ils sont certainement plus nombreux. Ils peuvent être monovalents ou associés à d’autres valences. A la suite d’une seule injection, ces vaccins induisent une protection immunitaire d’un à trois ans. La validité de la vaccination varie selon le protocole en vigueur dans l’Etat membre où a été pratiquée l’injectionet conformément aux recommandationsdu laboratoire de fabrication. Il est toutefois déroutant d’observer que, pour un même vaccin, les protocoles définis par les fabricants peuvent changer d’un pays à l’autre. En France, l’âge minimal de la vaccination est de trois mois et, quel que soit le vaccin utilisé,la primo-vaccination est valide après un délai de vingt et un jours. Les rappels sont annuels.Pour le moment, seuls l’Allemagne, l’Espagne, la Lettonie, Malte, les Pays-Bas et la Slovénie adoptent ce même protocole. Pour le reste, c’est un véritable casse-tête. L’âge minimalde la primo-vaccination et la périodicitédes rappels varient selon l’Etat membreet le vaccin utilisé(4).

M. B.

Echanges d’animaux de moins de trois mois non vaccinés

Sous certaines conditions, définies à l’article 5 du règlement n° 998/2003, quelques Etats membres autorisent l’introductionsur leur territoire des carnivores domestiques de moins de trois mois non vaccinés contrela rage. Les seuls pays qui ne donnent jamaiscette autorisation sont : Chypre, l’Estonie,la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, Malte, la Pologneet le Royaume-Uni.

M. B.

Une incubation variable

La durée de l’incubation de la rage,c’est-à-dire le délai entre l’exposition au virus et la première apparition des signes cliniques, dépend de nombreux facteurs : la dose virale, le site et la voie d’inoculation, la souche, etc. Elle est classiquement décrite par une courbe logarithmique. Les données expérimentaleset les observations réalisées au siècle dernier chez les animaux en quarantaine,bien qu’insuffisantes, ont permis d’identifier une durée moyenne d’incubation de trente-huit jours pour les chats et les chiens,avec un écart type de quarante-cinq jours (voir ci-dessous).

M. B.

Une immunité humorale sous influence

Selon les normes définies par l’OIE, les chiens ou les chats qui produisent, après une vaccination antirabique, un taux d’anticorps neutralisants supérieur ou égal à 0,5 UI/ml (identifié par un laboratoire agréé) ont une forte probabilité d’être protégés contre une infection. Il s’agit là d’une garantie optimale, ce qui ne veut pas dire qu’un animal avec un taux inférieur à ce seuil ne serait pas protégé. La réponse humorale à la vaccination antirabique peut cependant varier selon divers facteurs(5), notamment le délai qui sépare l’injection vaccinale et le test sérologique(6). Pour une primo-vaccination de chien, par exemple, le taux d’anticorps atteint son pic en trois à six semaines puis diminue.Cette dynamique est moins marquée dans le cas des rappels. Les taux d’anticorps sont généralement plus élevés chez le chat et la différence de la réponse sérologique est en outre moins importante entre primo-vaccination et rappels dans cette espèce. L’âge intervient aussi, les animaux jeunes réagissant souvent moins bien. Il existe de plus des variations selon les souches vaccinales utilisées.Enfin, le risque de réponse sérologique inférieure au seuil est moindre avec les vaccins monovalents. Chez le jeune animal, une primo-vaccination avec un vaccin monovalent et un rappel quatre à six semaines après offrirait la meilleure garantie d’atteindre un taux d’anticorps supérieur au seuil.

M. B.
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