Un chien est traité pour une intoxication à la cocaïne - La Semaine Vétérinaire n° 1314 du 10/05/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1314 du 10/05/2008

Cas clinique de toxicologie

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Stephan Mahler

Fonctions : consultant en chirurgie à Acigné (Ille-et-Vilaine)

Le traitement, symptomatique, comprend une oxygénation, ainsi qu’une lutte multimodale contre les convulsions.

Un american staffordshire terrier âgé de deux ans et pesant 24,5 kg est hospitalisé pour une suspicion d’intoxication. En moins d’une demi-heure, il est devenu particulièrement agité et ataxique. Il est en outre secoué par de violentes contractions musculaires incessantes qui l’empêchent de marcher. Les commémoratifs suggèrent une ingestion possible de cocaïne et d’héroïne. A l’admission de l’animal, une voie veineuse est posée et une perfusion de NaCl à 0,9 % (2 ml/kg/h) est mise en place. Une sédation est réalisée avec du diazépam (0,8 mg/kg), de la dexmédétomidine (2 µg/kg) et du propofol (2 mg/kg). Le chien est placé sous oxygène diffusé via des lunettes nasales à un débit de 2 l/min. La température rectale est alors de 41,2 °C, la fréquence cardiaque de 140 bpm, la fréquence respiratoire de 72 rpm, les muqueuses sont rosées, le temps de recoloration inférieur à 2 s et le pouls est bien frappé. En attendant l’approvisionnement en naloxone (antidote de l’héroïne, réservé à un usage hospitalier), une injection de butorphanol à la dose de 0,1 mg/kg est réalisée pour antagoniser les effets supposés de l’héroïne. Aucune amélioration n’est constatée. Le même résultat décevant est obtenu avec la naloxone à 0,02 mg/kg plusieurs heures après.

Le propofol est administré en perfusion continue

Les contractions musculaires violentes reprennent dès que la profondeur de l’anesthésie diminue. Une perfusion à débit continu de propofol à la dose de 12 mg/kg/h permet de la maintenir et de supprimer les contractions. Le monitoring mis en place comprend alors l’électrocardiogramme, l’oxymétrie pulsée, la capnographie par intermittence et la température œsophagienne. Une sonde vésicale est posée et la diurèse est monitorée (les valeurs obtenues se situent entre 5 et 8 ml/kg/h). La glycémie est contrôlée toutes les trois heures.

Quatre heures après l’admission, la température corporelle est de 34 °C. Le chien est donc placé sur un matelas chauffant et enveloppé dans une couverture de survie pendant toute la durée de l’hospitalisation, afin de maintenir sa température aux alentours de 38 °C. La glycémie descend en dessous de 0,7 g/l à quatre reprises (T0 + 4, 7, 10 et 19 heures). 10 ml de glucose à 30 % sont injectés en bolus intraveineux, ce qui remonte son niveau à 0,9 g/l environ.

Une perfusion à débit continu de dexmédétomidine est mise en place parallèlement à celle de propofol. Les débits initiaux sont de 5 mg /kg/h de propofol et de 5 µg/kg/h de dexmédétomidine. Ils sont progressivement diminués jusqu’à des débits de 2 mg/kg/h et 2 µg/kg/h. A trois reprises au cours de l’hospitalisation, un bolus de 1 mg/kg de propofol est réalisé pour supprimer la reprise de tremblements. Les fréquences cardiaque et respiratoire restent stables tout au long des perfusions continues, s’établissant entre 45 et 55 bpm pour la première et à 70 rpm pour la seconde. Aucun des paramètres surveillés ne varie de manière significative. A la suite de vomissements, du métoclopramide (1 mg/kg) et de l’enrofloxacine (5 mg/kg) sont également administrés, dans la crainte d’une fausse déglutition.

La perfusion de propofol est stoppée à T0 + 17 heures et celle de dexmédétomidine à T0 + 22 heures. A cet instant, le chien est toujours profondément sédaté. Il présente quelques mouvements volontaires de la tête lorsqu’il est manipulé. Deux heures après, il est capable de se tenir assis dans sa cage. Aucun tremblement n’est noté. Quatre heures plus tard, il est emmené en promenade, sans aide. A T0 + 27 heures, le chien est restitué à son propriétaire. Une petite toux profonde se manifeste, en faveur d’une fausse déglutition. Une antibiothérapie à base d’enrofloxacine est donc prescrite pendant quinze jours. Le maître signale alors que le sachet d’héroïne qui avait disparu a été retrouvé intact. Les signes cliniques observés à l’admission ne pouvaient donc être liés qu’à l’ingestion de la cocaïne dont le sachet a été retrouvé, déchiré, dans le panier du chien. Les visites de contrôle montrent la récupération complète et la disparition progressive de la toux.

En l’absence d’antidote à la cocaïne, un traitement symptomatique est instauré

La pharmacologie, ainsi que les effets “recherchés” et indésirables des stupéfiants sont bien connus en médecine humaine. En revanche, chez le chien, la pharmacovigilance ne fournit que de peu d’informations. Chez l’homme, la cocaïne est généralement sniffée, mais elle peut également être fumée (crack/free base) ou injectée. Elle agit sur le système nerveux central, en bloquant la recapture de la dopamine de la fente synaptique. Elle augmente ainsi transitoirement la concentration de la dopamine, et par conséquent l’activation de ses récepteurs. Cet afflux entraîne un effet euphorisant immédiat particulièrement important dans diverses régions du cerveau. Les signes cliniques de l’intoxication aiguë sont l’agitation, les convulsions, les troubles cardiaques de type arythmie et des ischémies généralisées (infarctus et attaque cérébrale en particulier). La cocaïne est parfois consommée avec de l’héroïne afin que son action stimulante compense l’effet dépresseur de cette dernière. Il n’existe pas d’antidote à la cocaïne.

Pour sa part, l’héroïne traverse facilement la barrière hémato-méningée et entre dans le système nerveux central où elle est transformée en morphine. Celle-ci active les récepteurs opiacés de type µ. La naloxone (Narcan®), qui est antagoniste de ces récepteurs, est l’antidote de choix en cas d’intoxication.

Dans le cas de l’american staffordshire terrier, la mise en cause de la cocaïne seule n’a été connue que tardivement. C’est pourquoi l’injection de la naloxone n’a pas amélioré les signes cliniques. En outre, elle a eu lieu tardivement, après la probable métabolisation de la morphine (quelques heures). Face à la difficulté pour obtenir de la naloxone rapidement, l’utilisation du butorphanol semble une option acceptable. En effet, il s’agit d’un antagoniste des récepteurs m qui, en chassant la morphine, supprime ses effets. Les doses utilisées chez ce chien sont empiriques.

L’anesthésie générale est parfois le seul moyen de calmer l’animal

Le diazépam est un psychotrope fréquemment utilisé pour ses effets anticonvulsivants, anxiolytiques, sédatifs et myorelaxants. Ils sont parfois insuffisants et le recours à une anesthésie générale peut être le seul moyen de stabiliser un animal trop agité. Le propofol est employé en anesthésie fixe de courte durée ou pour l’induction d’une anesthésie générale. Il possède également des propriétés anticonvulsivantes. Les actions du propofol sur la fonction respiratoire et cardiaque sont faibles et dose-dépendantes. Sa biotransformation est relativement rapide et ses effets sont non cumulatifs. Ces caractéristiques en font un produit particulièrement intéressant pour l’entretien d’une sédation ou d’une anesthésie générale. En revanche, le prix du produit devient rapidement un facteur limitant, en particulier pour des animaux lourds et/ou des périodes d’anesthésie prolongées. Le recours à l’association de molécules peut alors se justifier.

La dexmédétomidine est un α-2 agoniste qui inhibe la libération de noradrénaline à partir des neurones noradrénergiques et produit une dépression du système nerveux central. Ses propriétés générales sont la sédation, la myorelaxation et l’analgésie. Les effets cardio-pulmonaires associés ou indésirables des α-2 agonistes sont bien connus, en particulier la bradycardie, les blocs auriculo-ventriculaires, l’augmentation transitoire de la pression artérielle, la bradypnée voire l’apnée. La dexmédétomidine n’est donc pas recommandée chez les animaux qui présentent un risque anesthésique supérieur ou égal à III, notamment lors de troubles cardiovasculaires ou d’affection systémique sévère. Toutefois, à des doses faibles (5 µg/kg voire moins), la fonction cardio-respiratoire reste dans les valeurs usuelles. Les besoins en oxygène, en particulier, demeurent couverts. Ainsi, chez l’homme, la dexmédétomidine est depuis peu utilisée en soins intensifs, pour la sédation des patients particulièrement instables, intubés et ventilés. La posologie varie de 1 à 2 µg/kg en dose de charge, puis de 1 à 2 µg/kg/h voire moins en débit continu. Les points forts majeurs de la sédation ainsi obtenue sont l’absence de dépression respiratoire, l’analgésie et la sympatholyse. Cette dernière présente l’intérêt de diminuer le relargage de la noradrénaline dans le système nerveux central et de l’adrénaline par les glandes surrénales, abaissant ainsi la réponse au stress et la consommation en oxygène et en énergie. Son emploi chez les individus en phase de délire est particulièrement intéressant. Chez le chien, des études (voir bibliographies 1 et 2) montrent que des perfusions à débit constant de dexmédétomidine (1 à 5 µg/kg/h) permettent, au cours d’une anesthésie, de diminuer significativement les concentrations des autres agents, notamment l’isoflurane et le propofol, tout en assurant une qualité et une profondeur d’anesthésie excellentes.

L’ensemble de ces informations explique l’usage combiné du propofol et de la dexmédétomidine en perfusion continue chez l’american staffordshire terrier présenté en consultation. Ce protocole a permis de maintenir un état de sédation profonde et une stabilité hémodynamique pendant presque vingt-quatre heures. En particulier, à aucun moment les valeurs de capnométrie n’ont suggéré une dépression respiratoire justifiant une ventilation contrôlée. En associant ces molécules, les doses individuelles sont grandement diminuées, ce qui limite le coût de la prise en charge.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. P.J. Pascoe et coll. : « Changes in the minimum alveolar concentration of isoflurane and some cardiopulmonary measurements during three continuous infusion rates of dexmedetomidine in dogs », Vet. Anaesth. Analg., 2006, n° 11, pp. 97-101.
  • 2. G.Y. Lin et coll. : « Dexmedetomidine constant rate infusion for 24 hours during and after propofol or isoflurane anaesthesia in dogs », Vet. Anaesth. Analg., 2008, n° 35, pp. 141-153.
  • 3. P. Pandharipande, E.W. Ely : « Narcotic-based sedation regimens for critically ill mechanically ventilated patients », Crit. Care, 2005, n° 9, pp. 247-248.
  • 4. Dexdomitor European Experts Symposium, 9/11/2007, Bruxelles.
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