« La médicalisation d’un animal est une façon de le considérer comme un sujet à part entière »

La Semaine Vétérinaire : Pourquoi vous intéressez-vous à l’éthologie ?

Vinciane Despret : Je suis philosophe des sciences et des pratiques. Je m’intéresse à celles qui interrogent les animaux et les êtres humains, en étudiant comment elles le font et comment elles rendent les êtres interrogés intéressants. J’aime les éthologues, car leur discours scientifique est aussi poétique. Lorsque j’entends dire que la communication des baleines est fondée sur la peur de se perdre ou que dans le chant de l’alouette des champs, il faut écouter les silences, je trouve que nous sommes en pleine poésie. Les éthologues rendent les animaux plus proches de nous, nous montrent, dans leur comportement, ce qui fait écho en nous, ce qui fait que nos mondes se touchent à un moment donné.

S. V. : Vous intéressez-vous aux vétérinaires ?

V. D. : Je suis surtout intéressée par l’étude du comportement des animaux, mais la médecine de l’animal de compagnie est intéressante, philosophiquement parlant, dans la mesure où elle permet de rapprocher l’animal de l’être humain en en faisant un sujet. Par exemple, des antidépresseurs sont aujourd’hui donnés aux animaux, alors que la dépression était considérée autrefois comme une maladie de l’âme, donc strictement humaine. La médecine, et les scientifiques, considèrent donc l’animal comme un sujet à part entière, possédant une âme et susceptible de souffrir des affections de celle-ci.

S. V. : Que pensez-vous de la médicalisation des animaux domestiques ?

V. D. : La médicalisation d’un animal de compagnie est une façon de le considérer comme un sujet à part entière, défini par la maladie dont il souffre, et par les médicaments qui lui sont donnés pour traiter cette affection. En ce sens, philosophique, la relation de l’homme à l’animal malade est particulièrement intéressante.

S. V. : Est-ce selon vous une forme d’anthropomorphisme ?

V. D. : Cela peut être une forme de déni de la nature profonde de son animal que de le considérer ainsi, mais c’est aussi le reconnaître en tant qu’individu. Ce n’est pas si mal, je pense, de regarder son animal comme un sujet à part entière, même si c’est un sujet dénaturé. Si vous parlez à votre chien comme si vous le compreniez, vous lui donnez aussi plus de chances d’être compris. Il est donc possible de rester avec son chien dans un monde imprégné d’humain, il s’y complaît apparemment bien…

• (1) Parc de La Villette, à Paris, jusqu’au 20/1/2008.