Méfions-nous des messages subliminaux des magazines de salle d’attente - La Semaine Vétérinaire n° 1285 du 05/10/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1285 du 05/10/2007

Entre nous

VOUS AVEZ LA PAROLE

Auteur(s) : Jean-Pierre Ehm

Fonctions : praticien à Montmorillon (Vienne).

Jean Saint-Fort Paillard, ancien médaillé d’or en dressage par équipe aux jeux Olympiques de 1948 à Londres, venait donner des cours dans le manège de l’école d’Alfort aux élèves vétérinaires dans les années 1967-1970. Avec une voix d’une extrême douceur, il prenait en main la bride pour nous montrer comment jouer avec elle afin de décontracter la bouche du cheval. La finalité était d’avoir, comme récompense suprême, les doigts comme dans du beurre. Attention, ajoutait-il aussitôt, la bride est un bras de levier puissant qui, dans des mains brutales, peut devenir un véritable instrument de torture : « Certains harnachements peuvent être des rasoirs dans les mains d’un singe. »

La remarque de cet homme de cheval m’est revenue à l’esprit dernièrement, en consultant une revue grand public chez mon coiffeur. Un article sur la Coupe d’or de polo à Deauville, cet été, montrait une superbe photo où deux cavaliers se faisaient face, leur monture sur les jarrets, dans une posture digne de celles qu’affectionnait Théodore Géricault. En m’attardant sur cette image, j’ai remarqué la physionomie du cheval, l’œil révulsé, la bouche ouverte, la tête retournée sur le côté : tout disait l’effroi et la douleur de l’animal. Le cavalier était en effet debout sur les étriers, le corps penché en arrière, tout le poids de son corps était suspendu aux rênes, comme le fait un plaisancier en rappel sur le bord de son bateau.

Avec un bâton, le chimpanzé sait gauler les fruits, avec le même bâton, il sait aussi bastonner les femelles tumescentes quand elles ne sont pas consentantes. Comme l’homme, d’un instrument, d’une invention, il en fait soit un progrès, soit un engin de malheur. Cette similitude de comportement entre l’homme et le singe n’est pas surprenante quand on sait que nous avons 98 % de gènes et un ancêtre en commun : rien d’anormal, donc, à voir des hommes faire le singe sur le dos d’un cheval quand on leur donne une bride, un releveur ou un mors Pelham au bout des rênes. Il faut lire l’ouvrage de Frans de Waal, Le Singe en nous(1), pour découvrir les comportements violents, mais aussi altruistes observés chez les chimpanzés qui sont, comme nous, habités par le mal et parfois par le bien. Et que dire des chiens dont certains défrayent la chronique ? Eux qui descendent du loup, n’ont-ils pas, comme nous, un lourd héritage génétique à porter ?

Ce mal, en nous, fut longtemps interprété comme la conséquence de la chute originelle, celle d’Adam et d’Eve croquant la pomme. Puis Satan perdit en notoriété avec Rousseau, qui trouvait la société perverse et le sauvage bon par nature.

Grâce à Marx et à ses émules, le capitalisme et les patrons devenaient responsables de tous les maux de l’humanité, tandis que les autres, dédouanés, étaient pauvres, mais justes et bons !

Ce magazine y allait de sa version simiesque que, prudemment, je me garderai de suivre, car si le chimpanzé nous habite, devrais-je pour autant me séparer de certains des polos de ma garde-robe ? Et que faire des 98 % de chromosomes douteux de mon patrimoine ? Je n’aurai pas non plus l’assentiment de mon père ni de mes grands-pères qui ne jouaient pas au polo et qui étaient des hommes délicieux. Ils me traiteraient de fou de me mettre bêtement à dos 98 % des intellectuels qui tètent encore Le Capital, 98 % des magistrats qui n’ont jamais lu de Waal, et 98 % des comportementalistes français qui n’ont jamais soigné un louveteau d’un mois et demi. Et bien trop prétentieux aussi de penser que les 2 % de chromosomes qui sont vraiment les nôtres, à nous les humains, soient défendables pour autant.

En conclusion, méfions-nous des messages subliminaux des magazines de salle d’attente.

  • (1) Le Singe en nous, de Frans de Waal, éditions Fayard. Lire aussi Nouvelle histoire de l’homme de Pascal Picq, éditions Perrin.

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