Un aliment à 20 ppm de fumonisines n’altère pas la santé et les performances des dindes - La Semaine Vétérinaire n° 1278 du 14/07/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1278 du 14/07/2007

Toxicologie

Formation continue

FILIÈRES

Auteur(s) : Catherine Bertin-Cavarait

L’atteinte du métabolisme des sphingolipides aux niveaux hépatique et rénal peut exister sans altération de la santé. L’exposition préalable des dindes à la fumonisine B1 modifie la toxicocinétique de la toxine.

La réglementation européenne fixe la teneur maximale en mycotoxines dans les aliments destinés aux volailles à 20 ppm (mg/kg). Or, à cette dose, la fumonisine B1 provoque, chez le canard en gavage, une altération des performances. Aussi, une équipe de chercheurs de l’école vétérinaire de Toulouse et de l’institut du végétal Arvalis a voulu tester, pour les fumonisines, la cohérence de ce niveau réglementaire avec la préservation des performances et de l’état de santé des dindes.

Aucune altération biochimique n’est démontrée durant la période étudiée

Trois cents dindons mâles de souche BUT 9, âgés d’un jour, sont répartis en quatre lots et reçoivent respectivement un aliment contenant 0, 5, 10 et 20 ppm de fumonisines B1 et B2, pendant dix semaines. Les résultats de cette expérimentation ont été présentés par notre confrère Philippe Guerre, professeur en pharmacie et en toxicologie à l’ENVT, le 29 mars dernier, lors de l’édition tourangelle des Journées de la recherche avicole.

Du 7e au 70e jour d’élevage, les performances des dindons, leur poids et leur consommation d’aliments sont évalués chaque semaine. L’effet des mycotoxines sur le foie et les reins est estimé à six reprises (à J7, J14, J21, J28, J42 et J56) via des autopsies, des prélèvements de sang, de foie, de rein et par le dosage de l’aspartate amino-transférase (ASAT), de l’alanine amino-transférase (ALAT), de la gamma-glutamyl transpeptidase (GGT), de la lactate déshydrogénase (LDH), des protéines totales et de la cholestérolémie. Tout au long de la période étudiée, aucune mortalité ni signe de toxicité n’est observé chez les animaux. Aucun effet sur la consommation d’aliment, le gain de poids et les indices de consommation n’est mis en évidence. De même, le poids des foies, des reins et des muscles n’est pas affecté par les fumonisines. Aucune altération biochimique n’est démontrée, contrairement aux observations rapportées lors d’exposition des dindes à des doses supérieures et lors d’expositions de palmipèdes à ces mêmes doses.

Le rapport Sa/So est un marqueur précoce de l’exposition aux fumonisines

Au niveau de la cellule, la toxicité des fumonisines résulte de l’altération de la biosynthèse des sphingolipides. Ces derniers sont des constituants structuraux essentiels des membranes cellulaires, en particulier dans le système nerveux. Ils sont également impliqués dans de nombreuses voies de signalisation cellulaire. « Ces mycotoxines présentent une analogie structurale avec la sphingosine(1), a expliqué Philippe Guerre, d’où une inhibition de la biosynthèse des sphingolipides. » Cette inhibition peut être révélée par l’augmentation du rapport sphinganine/sphingosine observée dans divers tissus et sérums d’animaux ayant consommé des aliments contaminés.

Dans l’expérimentation, aux doses étudiées, aucun effet significatif des fumonisines n’a pu être mis en évidence sur les teneurs sériques en sphinganine (Sa), en sphingosine (So) et sur le rapport Sa/So. Néanmoins, dans le foie, une altération significative de ce rapport est notée. « Pour la première fois, une altération tissulaire du métabolisme des sphingolipides est révélée, chez l’espèce dinde, avant que des signes biochimiques d’hépatotoxicité ne soient exprimés par les animaux. » La précocité et l’intensité de cette perturbation sont liées à la dose de fumonisine dans l’aliment. En effet, à 20 ppm, le trouble a pu être détecté dès le 7e jour d’exposition, et dès le 14e jour pour les doses de 5 ou 10 ppm (voir graphique 1a). Une altération du métabolisme des sphingolipides est également mesurée dans les reins (voir graphique 1b). « Le rapport Sa/So constitue donc un marqueur dose-dépendant précoce et spécifique d’une exposition aux fumonisines, pouvant être utilisé à titre épidémiologique pour le dépistage préclinique des intoxications. » Tant dans le foie que dans le rein, une augmentation des teneurs en Sa est mise en évidence. Dans le rein, contrairement au foie, les teneurs en So sont également augmentées. Notre confrère souligne donc la nécessité d’interpréter conjointement le rapport Sa/So avec les teneurs en Sa des tissus.

Une variation individuelle de la toxicocinétique de la fumonisine B1 est notée

En raison du lien entre la dose de fumonisine absorbée, la durée d’exposition et les effets sur la santé, la toxicité des fumonisines apparaît comme cumulative. Néanmoins, l’étude de leur cinétique révèle que ces mycotoxines ne sont pas accumulées.

Aussi, la même équipe de chercheurs a conduit une expérimentation en vue de caractériser la toxicocinétique de la fumonisine B1. Des dindes, préalablement exposées pendant neuf semaines à un aliment non contaminé ou à un aliment à 20 ppm de FB1 + FB2, reçoivent par voie orale une dose unique et importante de FB1 (dose flash) de 100 mg/kg de poids vif. Des prélèvements plasmatiques sont réalisés à 0, 0,5, 1, 2, 3, 4, 5, 7, et 10 heures après l’administration.

Chez les animaux non exposés préalablement à l’ingestion de la dose flash, le pic de concentration plasmatique de FB1 est obtenu entre 3 et 5 heures après l’administration. La biodisponibilité, comprise entre 1,8 et 2,2 %, est comparable aux estimations réalisées chez les mammifères et le canard. Chez les dindes préalablement exposées à 20 ppm de FB1, le pic de concentration plasmatique est obtenu à 3 heures et, comparativement aux animaux non exposés, une chute de la biodisponibilité est observée, donnant un taux estimé à 1 % (voir graphique 2).

L’analyse des courbes de concentrations plasmatiques individuelles montre que les dindes exposées ne réagissent pas toutes de la même façon à l’absorption de la FB1 à la dose de 100 mg/kg. Pour certaines, l’administration de fumonisines n’aurait pas eu de conséquences sur la cinétique de la FB1 lors d’expositions ultérieures. Pour d’autres, cette administration préalable de 20 ppm de fumonisines pendant neuf semaines aurait entraîné, lors d’une exposition ultérieure, une chute de la biodisponibilité de la FB1. En revanche, un temps de demi-élimination voisin de 6 heures est obtenu pour l’ensemble des animaux. Cette étude suggère qu’il existe une toxicocinétique de la FB1 différente chez les dindes exposées à la toxine et chez celles qui ont préalablement ingéré un aliment contaminé à la hauteur de 20 ppm de fumonisines pendant neuf semaines.

  • (1) Dérivée de la sphinganine, la sphingosine constitue le squelette carboné des sphingolipides.

POUR EN SAVOIR PLUS

• http://mycotoxicologie.free.fr

• Compte rendu des 7e Journées de la recherche avicole 2007.

• D. Tardieu, J.-D. Bailly, G. Benard, S.-T. Trans, P. Guerre : « Toxicity of maize containing known levels of fumonisine B1 during force feedinf of ducks », Poultry Sci., 2004, n° 83, pp. 1287-1293, disponible à l’adresse http://www.poultryscience.org/ps/abs/04/p0481287.htm

• N. Thibault, V. Burgat, P. Guerre : « Les fumonisines : nature, origine et toxicité », Revue Med. Vet., 1997, vol. 148, n° 5, pp. 369-388, téléchargeable à l’adresse http://mycotoxicologie.free.fr/publications/Fumonisines_RMV_1997.pdf

• Etude de l’alimentation totale française, mycotoxines, minéraux et éléments traces, coordonnée par Jean-Charles Leblanc. Téléchargeable à de nombreuses adresses, dont http://www.nord-nature.org/info_veille/200409062.pdf

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