L’ANIMAL EST TOUJOURS LE PARTENAIRE DE LA RECHERCHE - La Semaine Vétérinaire n° 1267 du 28/04/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1267 du 28/04/2007

À la une

Auteur(s) : Caroline Ballin

Les progrès médicaux doivent beaucoup à l’expérimentation animale qui, aujourd’hui, reste nécessaire pour de nombreuses recherches. Toutefois, le recours aux animaux n’a cessé de diminuer au cours des deux dernières décennies.

De nombreuses avancées et découvertes en médecine humaine et vétérinaire ont été possibles grâce à l’expérimentation animale. De multiples exemples sont là pour l’attester, comme la mise en évidence du rôle de l’insuline dans le diabète et du cholestérol dans les maladies cardiovasculaires, le développement de médicaments, la mise au point de nombreux vaccins humains et vétérinaires, la maîtrise des techniques chirurgicales ou des greffes d’organe. L’importance de l’expérimentation animale peut s’illustrer par les travaux des lauréats des Prix Nobel de médecine ou de physiologie. Entre 1901 et 2003, soixante-treize (soit plus de 70 %) ont en effet été attribués à des chercheurs dont les découvertes s’appuyaient sur des modèles animaux (voir encadré en page 36).

L’animal médecin, publié en novembre 2005 aux éditions Actes Sud, met en lumière la place de l’animal dans la recherche fondamentale. Les deux auteurs, Charles Pilet et Nicole Priollaud, montrent que derrière de grandes découvertes en matière de santé se cache souvent un animal et, auprès de lui, un vétérinaire. Or « le grand public, comme beaucoup de médecins, l’ignore. C’est regrettable, d’autant que nos confrères peuvent être fiers de ce passé, mais également des travaux actuels qui ne manquent pas d’influencer les deux médecines, celles de l’homme et de l’animal, tant elles sont intimement liées ».

Aujourd’hui, quelle est la place de l’expérimentation animale dans la recherche moderne ? Les animaux ont-ils encore un rôle à jouer dans l’acquisition des connaissances scientifiques ou dans le cadre des tests sur la sécurité des produits chimiques ? Ces questions font régulièrement l’objet de débats de société qui prouvent que ce sujet intéresse l’opinion publique. Le colloque sur « l’expérimentation animale en toute transparence », organisé par le Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche (Gircor) le 31 janvier dernier, a ainsi rassemblé des experts en la matière pour tenter de répondre aux interrogations du public.

Le nombre des établissements agréés a été divisé par trois en quatorze ans

En 2004, année de la dernière enquête ministérielle sur ce thème, 2,3 millions d’animaux ont été utilisés pour la recherche, rappelle Bernard Andrieux, du ministère délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche. Si ce nombre est passé de 3,6 à 2,3 millions entre 1990 et 1999, la tendance est depuis à la stabilisation. Les rongeurs (87,5 %), les lapins (4 %) et les animaux à sang froid (poissons et amphibiens, 2,8 %) représentent la majorité des espèces employées. Les autres sont les oiseaux (4,5 %), les chats (0,06 %) et les chiens (0,24 %), les ongulés (0,6 %) et les primates (0,16 %)(1). L’expérimentation animale s’inscrit dans un cadre réglementaire strict qui relève du Code rural(2), souligne Erick Kerourio, du ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Par ailleurs, cette réglementation répond aux recommandations de la directive européenne 86/609. Son objectif est d’une part de garantir que les animaux sont traités correctement pendant et après une procédure, et d’autre part de réduire, voire remplacer l’expérimentation animale dès qu’une méthode scientifiquement acceptable est disponible. Cette activité doit, en outre, avoir un caractère de nécessité (protocoles nécessaires et justifiés). L’expérimentateur dispose d’une autorisation délivrée par la préfecture et exerce dans un établissement lui aussi agréé. En quatorze ans (1990-2004), le nombre de ces structures, privées (103) et publiques (331), a été divisé par trois (1 200 à 434). Quant au personnel, il est formé et responsable. Les animaux, eux, proviennent d’élevages spécialisés ou de fournisseurs déclarés. Le contrôle de l’application de cette réglementation dans les structures d’expérimentation animale est à la charge des services vétérinaires (directions départementales). Les établissements publics de recherche ont également mis en place depuis plus de quinze ans des “bureaux de l’expérimentation animale” chargés de la mise en œuvre des bonnes pratiques et de leur application.

Par ailleurs, des comités d’éthique internes ou externes vérifient que la règle des 3R (remplacer, réduire, raffiner) énoncée il y a quarante ans par deux scientifiques britanniques, William Russell et Rex Buch, est appliquée. Créés spontanément par les organismes publics et privés de recherche, ils bénéficient désormais du support du Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale (voir article en page 38).

L’animal joue un rôle essentiel dans la découverte de nouveaux médicaments

Au-delà de la recherche fondamentale, l’apport de l’animal est immense dans le domaine de la sécurité des essais cliniques et des médicaments. Lors de la conception de ces derniers, environ 5 % sont retenus après la phase initiale (stades de la recherche et de la découverte), qui fait appel à des batteries de tests in vitro et in vivo, rappelle Dominique Masset, du département de la surveillance du risque et du bon usage et de l’information des médicaments à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). La phase du développement préclinique se déroule en grande partie chez l’animal et permet alors de sélectionner 2 % des “candidats médicaments” issus de la recherche. Par la suite, pendant la phase de développement clinique, seuls 20 % de ces derniers sont retenus.

L’expérimentation animale permet une prédictivité des effets chez l’homme. Elle est de 63 % quand les animaux utilisés ne sont pas des rongeurs et de 43 % lorsqu’ils le sont. L’emploi conjoint des deux augmente le taux de prédictivité (71 %)(3).

Concernant la compréhension des mécanismes d’action des effets toxiques, la recherche progresse et améliore leur caractérisation par une meilleure connaissance de la biologie au niveau moléculaire et génétique, remarque toutefois Dominique Masset. « Si l’extrapolation inter-espèces apparaît aujourd’hui comme empirique, elle sera fondée demain sur des mécanismes moléculaires. De meilleures corrélations et interprétations des données entre l’homme et l’animal seront alors disponibles. »

Les méthodes in vitro peuvent-elles remplacer les méthodes in vivo ?

Globalement, le nombre d’animaux employés dans le cadre de la recherche a baissé au cours des deux dernières décennies, et les efforts se poursuivent pour que cette tendance ne s’infléchisse pas. Une telle réduction peut être attribuée aux technologies in vitro (culture d’organes, de cellules et de tissus). Certains mécanismes biochimiques humains sont ainsi étudiés dans des micro-organismes. L’amélioration des connaissances en génétique y contribue également. Par exemple, les techniques de la biologie moléculaire permettent le recours à des tests fondés sur l’utilisation d’enzymes isolées. Mais il faut surtout évoquer les progrès considérables réalisés en matière de méthodes non invasives appliquées à l’animal. Les mathématiques, l’informatique et la physique constituent ainsi des outils puissants qui autorisent la réduction et l’optimisation des études sur l’animal grâce à la mise en œuvre de techniques d’imagerie in vivo (imagerie nucléaire, fluorimétrie, radiographie à haute définition) ou encore la télémétrie, les biostatistiques, etc.

La toxicogénomique ouvre de nombreuses perspectives

Dès 1991, la Commission européenne a créé l’European Center for the Validation of Alternative Methods (Ecvam) pour valider les modes de substitution aux méthodes d’évaluation utilisant les animaux dans le domaine de la toxicologie. Depuis sa fondation, les missions de l’Ecvam n’ont cessé de se développer, en raison des besoins croissants dus au renforcement des règles de sécurité toxicologique européennes. Actuellement, les tests in vitro validés par l’organisme et acceptés sur le plan réglementaire concernent trois tests de corrosivité cutanée, un de phototoxicité et un d’absorption percutanée.

Selon Thomas Hartung, directeur de l’Ecvam, un nombre croissant de toxicologues reconnaissent qu’un problème lié à la différence entre espèces peut exister dans les méthodes validées mettant en œuvre des tests animaux, y compris par voie in vitro. « Les résultats ne sont pas systématiquement prédictifs de ce qui se passera chez l’homme. Pour établir des références via des tests in vitro, il faut donc chercher à prédire autrement la réaction aux produits chimiques. L’approche toxicogénomique est l’une des pistes innovantes qui lèveraient un tel obstacle, mais elle relève encore du domaine de la recherche. »

Le principe de la toxicogénomique consiste à analyser la façon dont l’exposition d’une cellule humaine à un produit chimique peut entraîner une variation d’expression des gènes. La mesure de cette variation, détectable à l’aide de puces à ADN, deviendrait ainsi un instrument d’évaluation de la toxicité. Dans un deuxième temps, l’impact sur les protéines pourrait être analysé (il s’agirait alors de “toxicoprotéomique”). Les chercheurs tenteraient de comprendre le devenir de ces dernières dans l’organisme et passeraient à une dimension “toxicométabolique”. La communauté scientifique s’intéresse de près à cette méthodologie, comme le montrent les trois cent quarante publications dont elle a fait l’objet depuis 2003. Bien menée, elle permettrait d’obtenir des informations sur la réponse des cellules de différentes parties de l’organisme au cours d’une étude. Généralement, plusieurs dizaines de milliers de gènes sont testés en même temps, de façon à “piéger” d’éventuels effets non prédictibles.

Antidote-Europe, association scientifique dirigée par Claude Reiss(4), s’est fait le porte-parole des espoirs portés par le développement de la démarche toxicogénomique, en particulier dans le cadre de l’adoption du projet Reach (voir article ci-dessous). Un département de l’Ecvam y est dédié, souligne Sandra Coecke, en charge des travaux. « Le domaine est prometteur, mais les éléments critiques d’une validation opérationnelle ne sont pas encore suffisants. »

Pour Axel Kahn, directeur de l’Institut Cochin, le remplacement total de l’animal dans le processus de recherche est actuellement impossible. Une recherche globale fondée sur le “in silico”, le “in vitro” et le “in vivo” doit être encouragée. Toutefois, si « les animaux n’ont pas de droits, nous avons des devoirs envers eux ». Des propos qui soulignent la responsabilité de l’homme vis-à-vis de l’animal de laboratoire.

  • (1) Voir http://gircor.net/recherche/faq_index.php

  • (2) Voir http://gircor.net/recherche/code_rural.pdf

  • (3) Données issues d’une étude corrélative entre l’animal et l’homme portant sur 150 molécules, 47 patients et 221 effets indésirables possibles (« Concordance of the toxicity of pharmaceuticals in humans and in animals », Regul. Toxicol. Pharmacol., 2000, vol. 32, n° 1, pp. 56-67).

  • (4) Biologiste ayant fait carrière au CNRS (voir La Semaine Vétérinaire n° 1243 du 28/10/2006 en page 16).

POUR EN SAVOIR PLUS

Le Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche (Gircor) est une association qui rassemble les établissements publics et privés exerçant une activité de recherche biologique et médicale en France et souhaitant communiquer sur l’expérimentation animale.

Le Gircor a réalisé, en collaboration avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), une affiche qui montre le rôle joué par les animaux dans les découvertes saluées par l’obtention d’un prix Nobel de physiologie et de médecine (disponible à l’adresse http://gircor.net/ qui/ AffichePrixNobel.php).

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