Le savoir-faire relationnel potentialise le savoir-faire technique - La Semaine Vétérinaire n° 1261 du 17/03/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1261 du 17/03/2007

Conseil en élevage

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Catherine Bertin-Cavarait

Les domaines du coaching et de la psychologie offrent des outils utiles à la professionnalisation de la relation de conseil entre le vétérinaire et l’éleveur.

La demande des éleveurs de bovins est là, de plus en plus prégnante. Ils veulent davantage d’actes sanitaires préventifs qui s’inscrivent dans une stratégie économique de réduction des charges. L’implication des praticiens dans la prévention de l’expression clinique et subclinique des affections multifactorielles repose sur un contrat éleveur-vétérinaire, qui définit et rémunère un acte vétérinaire dont la prescription ne se compose pas seulement d’un soin et d’un traitement, mais également d’un conseil. Outre les compétences scientifiques et méthodologiques, cette mise en œuvre du conseil en élevage nécessite la pratique par le vétérinaire d’un savoir-faire relationnel qui donne à l’éleveur l’espace pour inventer ses solutions et les tester.

Comprendre et développer son savoir-faire relationnel et ses compétences relatives à la pratique du conseil nécessite d’investir des champs nouveaux. Lors de la Journée bovine nantaise, qui s’est tenue à Nantes en octobre dernier, Eric Méens, vétérinaire à l’Association régionale des groupements de défense sanitaire de Haute-Normandie (ARGDSHN), a présenté deux modèles issus des champs du coaching et de la psychologie(1). Les plans “mammites” conduits dans le cadre de sa fonction au sein de l’ARGDSHN, en partenariat avec les confrères adhérents au Groupement technique vétérinaire de Haute-Normandie et les éleveurs de bovins lait, adhérents à l’ARGDSHN, lui ont permis de tester l’intérêt et les limites de ces deux outils. En accordant la relation de conseil avec les stades de développement modélisés et le niveau de complexité de la maladie, l’effet du conseil gagne en efficacité et en pérennité.

La personne progresse par cycle plus que de manière linéaire

Eric Méens définit et positionne trois types de conseil : directif, prescrit misant sur l’autonomie et d’accompagnement. Le choix du conseil nécessite de diagnostiquer dans un premier temps le cycle de vie dans lequel se trouve l’éleveur, ainsi que la nature monofactorielle ou polyfactorielle de l’affection à soigner ou à prévenir. Dans un deuxième temps, le diagnostic du stade de développement personnel de l’éleveur permettra de choisir le type de relation de conseil à mettre en œuvre.

Selon Frédéric Hudson, docteur de l’université de Columbia et fondateur d’un centre réputé de formation en coaching, les individus progressent par cycles, plus que de manière linéaire. Il a modélisé les différentes phases de ce changement et leur dynamique. Ce « cycle de vie », ou « cycle du développement à l’âge adulte », est composé de quatre phases qui se succèdent (voir schéma ci-dessus). Néanmoins, des aller-retour d’une phase à l’autre sont possibles. L’alignement est une période de motivation, de joie et de haute énergie. La remise en question caractérise la phase de désynchronisation et s’accompagne de la manifestation des sentiments d’ennui, de doute, de frustration, etc. La phase 3, appelée phase de désengagement, correspond à l’incertitude, au chaos, à l’angoisse, à la déprime, voire à la dépression. La phase 4, dite de réintégration, est une phase d’apprentissage, d’intérêt, d’espoir, de puissance. « Chez les clients dépressifs, le conseil doit être directif, explique Xavier Quentin, vétérinaire à Bourgtheroulde, dans l’Eure. L’essai d’un conseil d’accompagnement d’un éleveur dépressif s’est soldé par un échec. » Un éleveur qui a des projets, et qui les décrit explicitement, sera demandeur d’un conseil qui s’appuie sur ses objectifs et ses compétences. Un conseil d’accompagnement sera alors préféré et pourra faire l’objet d’une rémunération (voir schéma ci-contre).

L’automédication résulte d’une discordance de la relation de conseil

La modélisation du stade de développement trouve ses sources dans l’analyse transactionnelle. Selon son fondateur, le psychiatre Eric Berne, chaque individu exprime plusieurs facettes, selon les circonstances, lorsqu’il échange avec d’autres. L’état d’esprit de la personne et ses comportements les déterminent. Le psychiatre les a regroupées en trois statuts : l’enfant, l’adulte et le parent. A partir de cette base, trois stades de développement sont modélisés : la dépendance, l’indépendance et l’interdépendance. Eric Méens fait coïncider respectivement le conseil directif, le conseil prescrit misant sur l’autonomie et le conseil d’accompagnement avec les stades de dépendance, d’indépendance et d’interdépendance (voir schéma). Outre l’adéquation entre la relation de conseil et le stade de développement, la pratique, par exemple d’un conseil d’accompagnement d’un éleveur indépendant, peut entraîner celui-ci vers le stade interdépendant.

Si les conseils directif et prescrit sont adaptés aux contextes simples, les situations complexes requièrent la mise en œuvre d’un conseil d’accompagnement. Celui-ci permet à l’éleveur de clarifier sa perception des choses, d’augmenter son niveau de conscience du problème et participe pleinement à la mise en place d’une stratégie d’objectifs.

La dépendance s’exprime avec le paradigme(2) du « vous ». « J’ai besoin de votre aide, vous prenez soin de moi ou de mon animal, vous en assumez la responsabilité, et si vous échouez, je vous le reprocherai. » Lorsque le client se place dans cette situation de dépendance, le conseil directif est adapté à l’intervention du praticien. Dans le cadre de cette relation, le vétérinaire prend, implicitement, dans l’intellect de son client, la responsabilité des accidents involontaires liés à l’acte, particulièrement lorsqu’il oublie, dans l’urgence, de délivrer les informations nécessaires à l’obtention du consentement « libre et éclairé » de son client.

Le processus d’automédication découle d’une relation de conseil de type directif entre le vétérinaire et un éleveur indépendant. L’indépendance s’exprime par le paradigme du « je » : je pense par moi-même, je peux faire des choix, je suis responsable. Cette posture différencie les stades de dépendance et d’interdépendance. « Cet éleveur s’autorisera à prendre du recul par rapport au conseil fourni. Il ira chercher du choix chez d’autres vétérinaires, d’autres conseillers d’élevage. Il comparera les conseils. » Le choix de la voie de l’automédication, toujours déroutant pour le vétérinaire, est la traduction de ce comportement. Le conseil prescrit misant sur l’autonomie s’accorde avec les clients indépendants. Selon notre confrère, ce conseil est à privilégier lors d’intervention pour une maladie monofactorielle, pour une durée limitée ou lors de certaines périodes de vie du client. Les solutions viennent du prescripteur. Un éleveur indépendant assumera la responsabilité de ses choix, pas un éleveur dépendant.

Vers une rémunération explicite du conseil

Dans le conseil d’accompagnement, les solutions privilégiées sont d’abord celles de l’éleveur. Ce type de conseil permet l’expression du stade de l’interdépendance, caractérisé par le paradigme du « nous ». Il permet de gérer la complexité multifactorielle par l’écoute réciproque et l’ouverture des cadres de référence de chacun. Dans l’interdépendance, la personne est centrée sur la relation. Selon notre confrère, le danger pourrait être l’oubli des valeurs techniques et de la confrontation, lorsqu’elle est nécessaire, pour conserver la qualité relationnelle. D’autre part, la pertinence de cette relation devient limitée lorsque, dans le cadre du processus d’amélioration continue, des changements importants sont nécessaires, tels une inadéquation complète des bâtiments, des problèmes financiers importants, une mésentente entre des associés, etc. Elle dépend également du niveau de formation et d’expertise du vétérinaire et de l’éleveur. En 2004, Eric Méens et Xavier Quentin ont pour la première fois expérimenté l’efficacité de la relation d’accompagnement dans un élevage dans lequel les mammites cliniques étaient récurrentes(3). La relation de conseil avec un client n’est pas figée, elle évolue dans le temps, selon l’histoire de l’éleveur, ses compétences et sa demande.

Actuellement, la majorité des vétérinaires délivrent un conseil dit gratuit, car rémunéré implicitement par la vente des médicaments. Apprendre à positionner sa relation de conseil et l’intégrer dans une dynamique d’accompagnement justifie pleinement une rémunération explicite du conseil en élevage. En effet, lorsque les acteurs du sanitaire se placent dans la relation d’accompagnement, protocole d’accompagnement et rémunération s’imposent. L’évolution de la réglementation sur le médicament vétérinaire, en particulier via le projet de décret « Prescription et délivrance des médicaments vétérinaires », pose la question du maintien de leur vente par la profession vétérinaire. La professionnalisation de la relation de conseil est l’un des passages vers la rémunération du conseil. Les confrères ont tous les atouts pour acquérir ces savoirs et savoir-faire, en particulier grâce à « leurs compétences méthodologiques, qui sont transférables à d’autres domaines ». La vente du conseil pourra alors basculer dans l’explicite.

  • (1) Le compte rendu d’Eric Méens est consultable à l’adresse suivante : www.gds38.asso.fr/web/gds.nsf/8cb279f7ace047aac1256c0f004cf0d5/a076d399490c4107c1257230006f194f!OpenDocument

  • (2) En sociologie, le paradigme est une norme de pensée et un modèle d’action qui tend à s’imposer à tout individu d’un groupe.

  • (3) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1262, à paraître le 24/3/2007.

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