Nous ne devons pas servir d’alibi aux pouvoirs publics - La Semaine Vétérinaire n° 1257 du 17/02/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1257 du 17/02/2007

Chiens « dangereux ». Point de vue

Actualité

Auteur(s) : Patrick Pageat

Fonctions : Comportementaliste, diplômé des écoles vétérinaires françaises, diplômé de l’European College of Veterinary Behaviour Medicine-Companion Animals (ECVBM-CA), professeur contractuel en médecine comportementale à la faculté Vétérinaire de Turin, directeur scientifique du centre de recherche Phérosynthèse

Patrick Pageat réagit aux récents débats sur les chiens dangereux.

Le chien dangereux est devenu un sujet de débats sociaux et politiques. Ayant consacré l’essentiel de ma carrière professionnelle au développement et à l’enseignement de l’éthologie clinique, je ne devrais que me féliciter de l’apparition d’une nouvelle opinion : il faut faire évaluer ces chiens par un vétérinaire comportementaliste ou par un vétérinaire sanitaire spécialement formé. Malheureusement, ce qui pourrait être un signe de reconnaissance de notre spécialité me semble constituer un danger. L’éthologie clinique connaît une progression importante.

La rencontre des différentes approches a permis de faire émerger un corpus théorique et clinique qui améliore la qualité des diagnostics comme l’efficacité des méthodes thérapeutiques. Parmi les sujets phares, la compréhension de l’agressivité canine, sa détection, sa prévention et son traitement tiennent une place de premier rang. Or les études réalisées, présentées et publiées nous disent que :

- certains comportements d’agression sont identifiables, mais pas tous. Cela signifie qu’il est généralement possible de réaliser une diagnose du comportement d’agression, mais pas toujours ;

- l’impulsivité, l’imprévisibilité, ainsi que le défaut de contrôle de la morsure sont considérés comme des signes fiables de dangerosité”, même si certains peuvent seulement être évalués en situation d’agression intraspécifique ;

- l’observation d’agressions intraspécifiques ne permet pas de prédire un risque d’agression sur l’homme : un chien qui agresse souvent ses congénères n’est pas systématiquement agressif envers l’homme ;

- la peur, l’anxiété et les défauts de socialisation semblent prévalents chez les sujets agressifs ;

- des différences épidémiologiques majeures existent entre chiens mordeurs, selon qu’ils s’en prennent exclusivement à leur entourage immédiat ou uniquement à des personnes extérieures ;

- l’éducation joue un rôle important ;

- des tests de dépistage des tendances agressives ont été validés scientifiquement ;

- aucune étude ou méthode ne permet aujourd’hui de mesurer le risque de récidive chez un chien qui a déjà mordu.

Ces éléments ne constituent que les points les plus saillants des données publiées. Ils permettent toutefois de mieux préciser les missions qu’un vétérinaire comportementaliste peut assumer. Ainsi, les seules questions auxquelles nous pouvons répondre sont les suivantes :

- l’agression présentée par un chien correspond-elle à un comportement connu dans l’espèce canine ? Encore faut-il insister sur la nécessité de disposer de témoignages utilisables, et surtout multiples, pour pouvoir réaliser ce diagnostic ;

- cette agression est-elle explicable par un contexte environnemental particulier ? ;

- cette agression est-elle explicable par une affection comportementale ou organique dont le chien montre les symptômes au moment de son évaluation ? ;

- la structure des agressions montre-t-elle des caractéristiques actuellement considérées comme dangereuses ? ;

- les agressions réalisées présentent-elles des caractéristiques qui permettent de les considérer comme le résultat d’un programme de dressage ? ;

- ce chien présente-t-il des symptômes physiques ou comportementaux caractéristiques d’un état de maltraitance ?

Le danger, pour les vétérinaires, réside dans la tentation des pouvoirs publics à se cacher derrière un professionnel sommé d’évaluer les risques futurs. Cette possibilité est évidemment très prégnante, puisqu’elle déterminera en grande partie le destin du chien. Dès lors, les risques d’erreur augmentent, car il sera tentant de considérer tous les chiens comme dangereux si l’on souhaite ne prendre aucun risque. En revanche, les protectionnistes militants, qui cherchent à sauver les chiens, seront plus enclins à rendre un pronostic bénin. Dans les deux cas, on peut considérer que la mission d’expertise est fautive. Le droit français considère le chien comme un bien meuble. Il est donc malhonnête de mettre en œuvre une procédure qui mélange les genres et fait apparaître une pseudo-expertise comportementale comme le pivot d’un processus décisionnel.

Il me semble plus efficace, plus réaliste et plus conforme à l’état de la science et du droit de distinguer deux stratégies : l’une répressive, l’autre préventive. La répression est fondée sur la responsabilité du gardien de l’animal. L’expertise vétérinaire n’intervient alors qu’à la demande du juge. Ainsi, il peut rechercher un éventuel allègement ou, au contraire, des éléments qui alourdissent la responsabilité dudit gardien. Une telle expertise pourrait aussi permettre d’impliquer des tiers ayant une part de responsabilité dans la genèse du comportement agressif. La prévention, pour sa part, doit quitter le stade de la pétition de principe pour devenir une réalité.

Rappelons que les troubles comportementaux constituent la première cause de mortalité (par euthanasie) et d’abandon des chiens âgés de moins de deux ans dans les pays développés. Plusieurs articles de la loi du 6 janvier 1999 ont tenté de mettre en place des dispositions raisonnables pour faciliter la prévention des troubles comportementaux, comme l’interdiction de commercialiser les chiots avant huit semaines ou l’instauration de formations professionnelles. Le respect de ces dispositions doit être renforcé, il faut que cet âge de huit semaines soit celui de la séparation mère-chiot et non de la vente. De même, des décrets doivent définir clairement les conditions d’élevage. Il faut sortir de l’hypocrisie entourant l’élevage canin : c’est une production animale dont la particularité est que son produit est destiné à l’usage affectif. Dès lors, elle doit être soumise aux mêmes conditions de bien-être que les autres productions animales et garantir la qualité. La mise en œuvre, par des vétérinaires libéraux ou fonctionnaires, des tests de dépistage des comportements agressifs (Planta et Schoening) serait souhaitable pour tous les chiens (au moins ceux dont le poids moyen adulte est supérieur à 10 kg). Ces tests, pratiqués vers l’âge de la puberté, permettraient de définir des conditions de circulation, ainsi que de couverture des risques.

Pour conclure, j’insisterais donc sur les intéressantes perspectives qu’offre le débat sur les chiens dangereux, mais aussi sur les grands risques que courrait la profession vétérinaire en acceptant d’endosser une responsabilité que les psychiatres n’ont jamais acceptée : prédire le danger.

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