Un infecté permanent immunotolérant peut-il être séropositif pour la diarrhée virale bovine ? - La Semaine Vétérinaire n° 1246 du 25/11/2006
La Semaine Vétérinaire n° 1246 du 25/11/2006

Cas clinique

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Catherine Bertin-Cavarait

La valorisation de ces cas atypiques, producteurs de connaissances, repose sur une épidémiosurveillance organisée qui s’appuie sur la dynamique d’un réseau de compétences.

L’absence de séropositivité vis-à-vis du virus de la diarrhée virale bovine (BVD) et la persistance d’une virémie caractérisent les bovins infectés permanents immunotolérants (IPI). De ces caractéristiques découle la méthodologie de leur dépistage analytique en vue de leur élimination, par exemple la mise en œuvre d’une antigénémie (analyse Elisa) ou d’une analyse PCR après un dépistage sérologique négatif. Néanmoins, des observations de terrain documentées, attestant de la séropositivité BVD d’animaux IPI, sont rapportées.

Des signes de dépérissement et des mortalités néonatales débutent en octobre 2001

Notre confrère Alain Joly, vétérinaire au Groupement de défense sanitaire (GDS) du Morbihan, a eu à gérer, en partenariat avec le praticien traitant et le Laboratoire départemental d’analyse, ce type de découverte dans un élevage bovin produisant un quota de 560 000 l de lait avec quatre-vingts vaches laitières (de races prim’holstein et red holstein). En octobre 2001, en l’espace de huit jours, sept vaches primipares âgées de deux ans, nées dans l’élevage, présentent des signes de dépérissement. Ces symptômes, apparus juste après le vêlage, s’accompagnent de diarrhée, de métrite et de déplacement de la caillette. Les opérations de la caillette réalisées n’ont pas d’effet sur les signes cliniques de dépérissement. Par ailleurs, l’analyse de la conduite d’élevage ne met en évidence aucun facteur de risque zootechnique des métrites et des déplacements de caillette. Les analyses sérologiques montrent la séropositivité de tous les animaux vis-à-vis du virus BVD. Parallèlement, des mortalités néonatales sont observées chez les jeunes veaux. Au même moment, sept génisses séronégatives, de 1re et de 2e année, présentent des troubles de dépérissement similaires à ceux présentés par les vaches laitières. Ces génisses ne sont pas gardées pour la reproduction, mais vendues pour la boucherie.

Au total, entre octobre 2001 et juin 2003, dix-sept primipares meurent en présentant des signes de dépérissement. Elles sont toutes séropositives vis-à-vis du virus de la BVD. Pendant cette même période, vingt veaux décèdent, alors que la mortalité néonatale des années précédentes était limitée à un veau par an.

La circulation d’un virus BVD dans l’élevage est dépistée dès février 2001

Jusqu’en février 2001, l’élevage est classé A(1), soit présumé indemne de BVD. Au cours des six premiers mois de l’année 2001, la surveillance sérologique du lait de tank, organisée dans le cadre du plan de maîtrise collectif de la BVD en Bretagne, met en évidence un passage viral particulièrement actif d’un virus BVD dans cet élevage. La sérologie du lait de tank commence à devenir positive en février 2001 (classé 1(2)), puis très positive en juin 2001 (classé 2). En octobre 2001, l’élevage est classé B, ce qui signifie une infection dite limitée du troupeau. En février 2002, il est classé D, ce qui indique une infection importante du troupeau (voir graphique 1). Un plan de détection des animaux IPI est mis en place dans cet élevage, dès juin 2001. Un lait de petit mélange(3) (LpM), réalisé tardivement par l’éleveur en décembre 2001, se révèle positif. Des sérologies sont réalisées chez toutes les génisses en juillet 2002. Elles sont toutes très positives, sauf celles d’un lot de huit génisses, âgées de six à huit mois, séronégatives. Ces femelles sont nées entre août et octobre 2001. Aucun dépistage viral n’est réalisé chez ces animaux. Le plan de détection des animaux IPI permet de dépister deux veaux IPI, le 26 juillet 2002. La date probable de l’infection des fœtus coïncide avec l’évolution du résultat sérologique du lait de tank (voir graphique 1). Les PCR réalisées sur le lait de tank, individuelles ou effectuées lors de manifestations de signes de dépérissement, ont toujours été négatives, attestant ainsi de l’absence de vaches laitières IPI.

Une primipare viropositive et séropositive BVD, mère d’un veau IPI, est découverte

En octobre 2003, des signes cliniques de la maladie des muqueuses apparaissent dans le lot des huit génisses séronégatives (analyse effectuée le 19 juillet 2002). L’une d’entre elles meurt le 12 novembre 2003. Les résultats des dépistages sérologiques et virologiques vis-à-vis du virus BVD indiquent que :

- cinq génisses sont sérologiquement négatives et virologiquement positives (antigénémie p80) ;

- deux génisses sont sérologiquement négatives et virologiquement positives (PCR qualitative), avec un résultat signant une charge virale particulièrement élevée ;

- une génisse est sérologiquement positive et virologiquement positive (PCR qualitative), également avec un résultat signant une charge virale très élevée.

Ces génisses sont soupçonnées d’être des IPI. Dans un premier temps, une interrogation apparaît quant au statut de la dernière : IPI ou virémique transitoire ? Cette génisse séropositive et viropositive est âgée de vingt-six mois et vient de vêler (16 novembre 2003). Elle présente des signes de dépérissement évoluant en quinze jours, accompagnés de diarrhée et de métrite. Quant à son veau, PCR positif, il exprime les signes cliniques de maladies des muqueuses. La mère meurt le 10 décembre 2003, soit deux jours après le décès du veau. Un nouveau contrôle sanguin réalisé chez la mère le 9 décembre (Elisa) fournit un résultat sérologique négatif. Cet animal est donc un IPI.

Une vaccination, avec un vaccin ayant une AMM pour la protection fœtale, est prescrite chez les vaches séronégatives et les génisses. Elle est mise en place dès octobre 2003.

La sensibilité et la spécificité nuancent les résultats d’analyse

Le dépistage de cet animal IPI séropositif vis-à-vis de la BVD met en évidence le critère relatif à la spécificité de la sérologie.

L’exploitation concernée n’aurait pas introduit d’animaux depuis 1997, fait qui est mis en doute par une enquête de proximité. Le dépérissement ne pouvant s’expliquer par la conduite zootechnique de l’élevage, l’hypothèse d’une souche de virus BVD hypervirulente, non conventionnelle, est posée. Son séquençage est réalisé par le laboratoire LSI (voir graphique 2). Il s’agit d’un pestivirus de type Bovine Viral Diarrhea type 1 et de sous-type BVDV1b (séquence FR56/04/GAECDM/GDS56). Ce génotype est proche de celui de la souche 7/Lo/96-Italie. L’alignement de la souche virale avec les autres souches bretonnes et les souches de référence montre que deux mismatches(4) sont présents au niveau des séquences bretonnes et sur le génotype BVDV2 (voir graphique 2). Sur l’arbre phylogénique des virus BVD, la souche virale GDS56/2004 est classée entre les souches de BVDV-1b et BVDV-1e.

Un veau infecté permanent immunotolérant est dépisté le 3 mars 2006

A partir de cet épisode d’octobre 2003, une veille est organisée via la surveillance de la virémie des veaux nouveau-nés (PCR de mélange). Compte tenu des résultats négatifs, les analyses PCR sont stoppées en septembre 2004. La surveillance de l’élevage se poursuit par le suivi sérologique de tous les veaux âgés de six à douze mois.

Fin 2004, tous les veaux testés sont séronégatifs. A cette date, l’éleveur décide d’arrêter la vaccination. En mars 2005, un individu séropositif apparaît au sein du lot des veaux contrôlés. Ces jeunes sont nés six à douze mois plus tôt, soit entre mars et septembre 2004.

Fin 2005, tous les veaux contrôlés sont sérologiquement positifs. Ces animaux sont nés six à douze mois plus tôt, soit fin 2004, début 2005. Depuis octobre 2003, aucun signe clinique n’est observé.

Un veau PCR positif est dépisté le 3 mars 2006. Le résultat signe une forte charge virale. Il est né le 27 juin 2005. Sa mère, séronégative le 9 octobre 2003, a été inséminée en septembre 2005. Elle était PCR négative d’après une analyse sur sang de mélange réalisée le 20 novembre 2003. L’analyse du 30 mars 2006 montre que cette vache est devenue séropositive. Le séquençage de la souche virale en cause établit qu’elle est identique à la souche séquencée en 2004. « Il y a dans le voisinage une fréquence un peu plus élevée de changements de statut que dans le reste du département, mais pas d’expressions cliniques similaires à celles observées dans cet élevage », précise Alain Joly. Ce cas clinique pose de nombreuses questions, dont les suivantes :

- Quelle est l’origine de la virulence particulière de cette souche ?

- La vaccination a-t-elle réellement été mise en œuvre par l’éleveur ? Si oui, l’a-t-elle été selon les recommandations de l’AMM ?

- Quelles sont les modalités de persistance du virus dans un élevage ?

- L’éleveur utilise-t-il la monte naturelle parallèlement à l’insémination artificielle ?

- Comment peut-on organiser la surveillance de la circulation virale dans un troupeau de vaches laitières adultes classé D ?

Au cours du séminaire de pathologie bovine organisé par notre confrère Jerzy Szymanski, directeur du laboratoire d’analyses Inzo, les 20 et 21 mars derniers à Château-Thierry (Aisne), notre confrère Renaud Maillard, maître de conférences en pathologie du bétail à l’école vétérinaire d’Alfort, a mentionné l’hypothèse d’une circulation lente du virus de la diarrhée virale bovine en l’absence d’animaux infectés permanents immunotolérants. Cette circulation à bas bruit pourrait durer trois années. Par ailleurs, « en matière d’évaluation de la prophylaxie BVD, les contrôles cliniques sont primordiaux. A ce titre, l’observance est fondamentale », souligne notre confrère.

La gestion de ce cas clinique montre l’intérêt d’une épidémiosurveillance organisée, de sa combinaison avec les expressions cliniques des animaux et du réseau de compétences associées. La chaîne composée des maillons éleveur, vétérinaire praticien, vétérinaire référent, laboratoires et chercheurs prend tout sons sens, est garante de l’efficacité de l’épidémiosurveillance et est une source de production de connaissances.

  • (1) Le statut d’un élevage est déterminé par trois analyses consécutives du lait de tank réalisées à quatre mois d’intervalle.

  • (2) Le résultat sérologique BVD du lait de tank (taux d’inhibition) permet d’attribuer une note à l’élevage (0, 1 ou 2), significative de la prévalence des animaux séropositifs dans le troupeau.

  • (3) Le lait de petit mélange est une analyse sérologique BVD du lait des primipares. En Bretagne, 75 % des élevages détenant des animaux IPI sont classés D et présentent un LPM positif.

  • (4) Une base de l’ARN viral est remplacée par une autre, qui n’est pas sa complémentaire. L’adénine (A) est complémentaire de la thymine (T), la guanine (G) de la cytosine (C).

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