Les protozoaires peuvent induire un caractère hyperinvasif chez les salmonelles

La survie des Salmonella spp. au sein des protozoaires du rumen (RPz) pourrait leur conférer un rôle de réservoir de ces agents pathogènes, jusqu’alors sous-estimé. En effet, les salmonelles sont capables de survivre dans les vacuoles digestives des RPz et de s’y répliquer. La séquestration des salmonelles par les RPz leur permet d’échapper aux stress environnementaux, aux mécanismes de défense de l’hôte et, de plus, augmente le pouvoir invasif et pathogène de certains sérotypes de Salmonella enterica, particulièrement Typhimurium DT104⁽¹⁾.

Une équipe américaine du Centre national de pathologie animale du service de recherche de l’agriculture (USDA-ARS) a démontré le lien entre l’augmentation de la pathogénicité des salmonelles et les PRz et a identifié les gènes impliqués⁽²⁾. Ces mêmes scientifiques ont mis en évidence le gène impliqué dans la survie de S. Typhimurium au sein des RPz. Les résultats de ces études ont été présentés par Shawn Bearson, microbiologiste au USDA-ARS, lors de la session « interactions entre hôtes et bactéries » organisée dans le cadre du symposium international “Salmonella, salmonelloses” qui s’est tenu à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) du 10 au 12 mai dernier⁽³⁾.

L’acquisition d’un pouvoir hyperinvasif est lié à la possession de l’îlot génomique SGI1

Vingt souches de Salmonella enterica, dont onze sérotypes Typhimurium et quatre DT104, sont préalablement incubées avec des RPz puis extraites de ces RPz. L’évolution de leur pouvoir invasif est évaluée grâce à des tests d’invasion effectués sur des cultures cellulaires.

A la suite de l’incubation dans les RPz, Salmonella enterica sérotype Typhimurium DT104 (DT104) a acquis un caractère hyperinvasif. Celui-ci est également observé avec une souche de DT104 incapable de se multiplier dans les macrophages, avec S. enterica sérotype Agona et sérotype Infantis.

Ce caractère hyperinvasif induit par les RPz est éphémère. Les passages successifs sur culture cellulaire montrent la perte de ce caractère dès le troisième.

Les expérimentations in vivo, conduites avec des veaux de race prim’holstein âgés d’une à deux semaines, mettent en évidence une contamination supérieure des ganglions mésentériques, de la rate et de l’iléon chez les animaux qui ont reçu par voie orale soit des DT104 extraites des RPz, soit des RPz contenant des DT104. La différence entre ces résultats et ceux issus des animaux témoins est hautement significative (p < 0,0001).

Ces études montrent que DT104 est plus pathogène après une période de survie à l’intérieur des RPz. Cette hausse de la pathogénicité est liée à l’augmentation de l’invasion des cellules eucaryotes et non à une augmentation de la survie cellulaire des salmonelles.

Ce phénotype hyperinvasif n’est observé qu’avec les souches de salmonelles possédant l’îlot génomique SGI1 (Salmonella genomic island 1). Cette région de l’ADN contient de nombreux gènes de résistance aux antibiotiques et a été reliée à l’émergence de Salmonella enterica sérotype Typhimurium DT104, lysotype associé à la pentarésistance aux antibiotiques.

La survie des salmonelles dans les protozoaires est liée à leur antigène de paroi

Afin d’identifier les gènes de Salmonella enterica sérotype Typhimurium (ST) impliqués dans leur survie à l’intérieur des protozoaires, une banque de 1 600 mutants a été construite. Les incubations de ces mutants avec des RPz prélevés chez une vache jersiaise à l’entretien et l’enregistrement de leur taux de survie a permis la mise en évidence de la relation entre la mutation du gène rfbU et la diminution de la capacité de ST à survivre dans les RPz.

Ce gène rfbU est situé dans le groupe de gènes rfb. Il code pour la mannosyl transférase impliquée dans la synthèse de l’antigène O du lipopolysaccharide (LPS), antigène majeur de la paroi des bactéries Gram négatif.

Deux hypothèses sont avancées. La première est que la mutation rfb pourrait entraîner une dégradation de l’intégrité de la membrane extérieure et perturber ainsi la capacité de survie des salmonelles à l’intérieur des protozoaires. La seconde est que la mutation pourrait altérer l’affinité des récepteurs des protozoaires pour l’épitope de l’antigène O, d’où une réduction du nombre de salmonelles ingérées par les protozoaires du rumen.

• (1) Chez Salmonella Typhimurium, la forte prévalence de la pentarésistance ACSSuT (résistance à l’ampicilline, au chloramphénicol, à la streptomycine, au sulfaméthoxazole et à la tétracycline) est habituellement associée au lysotype DT104.

• (2) M. A. Rasmussen et coll. : « Exposure to rumen protozoa leads to enhancement of pathogenicity of and invasion by multiple-antibiotic-resistant Salmonella enterica bearing SGI1, Infect Immun », 2005, vol. 73, n° 8, pp. 4668-4675, disponible en ligne.

• (3) Un compte rendu est disponible sur le site de l’Afssa (www.afssa.fr/ftp/afssa/35804-35805.pdf).