Relancer la diurèse pour lutter contre l’hyperkaliémie constitue une priorité

L’anurie est le point commun à la plupart des urgences urinaires. Son origine peut être postrénale, comme lors d’une obstruction ou d’une rupture urétrale. Ces deux urgences urinaires sont les plus fréquentes, mais aussi les plus graves qui peuvent être rencontrées en pratique canine quotidienne. Lorsque l’anurie est d’origine rénale, il est essentiel de songer à la leptospirose, car les autres causes d’insuffisance rénale aiguë sont rarement à l’origine d’une anurie complète. Leptospira canicola est le plus souvent incriminé, les autres agents de la leptospirose atteignant moins sévèrement le rein. Cela signifie que certaines précautions doivent être prises, en raison du risque de zoonose potentiellement mortelle pour l’homme. Pour leur part, les anuries d’origine prérénale sont fréquemment la conséquence d’un état de choc et sont alors associées à une hypovolémie majeure, par exemple dans le cas de la maladie d’Addison.

La conduite à tenir lors d’anurie, urgence vitale, suit une logique qu’il importe de respecter. La réalisation immédiate des examens hématologiques et biochimiques qui permettraient de proposer rapidement un diagnostic étiologique est tentante. Toutefois, ces analyses ne constituent en aucun cas une mesure de réanimation et ne présentent donc aucun caractère urgent. Par ailleurs, lors d’absence d’émission d’urine associée à une obstruction urétrale, il est logique que l’urémie, la créatininémie, la kaliémie et la lactatémie soient au-delà des normes usuelles, tandis qu’une acidose est présente. Par conséquent, « la réalisation de ces analyses doit être différée lorsqu’elle se substitue aux mesures de réanimation immédiates et qu’elle fait perdre de précieuses minutes au vétérinaire », soulignait notre confrère Jack-Yves Deschamps à l’occasion d’une conférence sur les urgences urinaires présentée dans le cadre d’un congrès de l’Afvac. Des échantillons de sang peuvent néanmoins être récoltés lors de la mise en place de la voie veineuse, avant d’être stockés. De même, la réalisation de radiographies de l’abdomen n’apparaît pas comme une priorité dans la gestion de l’urgence anurique. Dans cette situation, la clinique est en effet univoque, et si l’imagerie permet d’envisager un diagnostic (présence de calculs urétraux par exemple), elle ne peut remplacer la mise en place d’un traitement d’urgence.

L’insuffisance rénale aiguë et l’hyperkaliémie sont délétères à court terme

Les différentes hypothèses étiologiques associées à l’anurie sont envisagées. Dans 90 % des cas, notamment chez le chat, la cause est l’obstruction urétrale. Dans ce cas, le principal but des mesures de réanimation est de faire diminuer la kaliémie, dont l’augmentation menace directement et rapidement la vie de l’animal. La relance de la diurèse, considérée dans un même temps, permet d’atteindre rapidement cet objectif. La vidange de la vessie, la levée de l’obstacle et la diminution de l’urémie constituent les étapes thérapeutiques suivantes. Dans ce but, l’administration de perfusions, associée à un sondage urétral ou à la pose d’une sonde de cystotomie ante-pubienne, doit être envisagée.

La première étape de toute réanimation consiste en la mise en place d’une voie veineuse. En cas de difficulté, notamment lors de déshydratation sévère, une dénudation de la veine est parfois indispensable. Dans un second temps, une anesthésie générale peut être réalisée si elle est nécessaire à la restauration de la perméabilité urétrale, mais seulement si l’état général de l’animal le permet. Elle est alors suivie d’une intubation trachéale et de l’administration d’oxygène. La cathétérisation des voies urinaires à l’aide d’une sonde urétrale stérile de petit diamètre est alors pratiquée. En cas d’échec du sondage, la vidange vésicale peut aussi être effectuée par cystocentèse, mais il est préférable de maintenir la réplétion vésicale si la pose d’un cathéter sus-pubien est nécessaire, car le geste technique est alors facilité par la taille importante de la vessie.

Suivi de la fonction urinaire et fluidothérapie rigoureuse sont déterminants

Après la restauration de la perméabilité urétrale, l’administration d’un diurétique de type furosémide est à proscrire. En effet, si son utilisation est séduisante dans le but “d’éliminer” les excès d’urée, de potassium et d’ions hydrogène, elle induit une diurèse aux dépens de la volémie. Seules les perfusions permettent d’irriguer convenablement le rein et d’éliminer efficacement les déchets du métabolisme. Le soluté choisi doit être pauvre en potassium et rapidement éliminé. Ceci est notamment le cas du NaCl à 0,9 % et du Ringer lactate, solutés cristalloïdes isotoniques dont 25 % du volume se répartissent dans le secteur intravasculaire et 75 %, dans le secteur interstitiel. Les solutés macromoléculaires ne diffusent pas dans le secteur interstitiel et persistent à 100 % dans le lit vasculaire. Cependant, étant peu éliminés, ils ne présentent pas d’intérêt majeur dans le rétablissement d’une diurèse intense. Le NaCl à 7,5 %, quant à lui, possède un pouvoir d’expansion volumique (faculté d’augmenter le volume intravasculaire) de 500 %, mais son caractère hyperosmolaire contribue à aggraver la déshydratation intracellulaire. Face à l’acidose, l’administration de solutés de bicarbonates n’est pas systématiquement nécessaire car, dans la plupart des cas, les ions H + sont éliminés spontanément lors de la relance de la diurèse. Le soluté de choix reste le NaCl à 0,9 %,perfuséselonundébitrelativement rapide qui provoque une majoration de la volémie de 5 %. Par exemple, pour un chat de 5 kg, 0,05 x 5 kg = 0,25 l = 250 ml de soluté cristalloïde sont ainsi administrés.

Après la mise en place des premières mesures de réanimation qui consistent en une restauration de la diurèse à l’aide d’une perfusion rapide de l’animal, la polyurie de levée d’obstacle et l’hypokaliémie qui lui est associée doivent être prises en compte. Les perfusions seront également adaptées en raison du risque de déshydratation secondaire. Pour mémoire, 60 ml/kg/24 h de NaCl à 0,9 % ou de Ringer lactate peuvent convenir à un chat. Quantifier la diurèse et monitorer la densité urinaire permet, dans un deuxième temps, de surveiller la volémie et le rétablissement d’un fonctionnement rénal normal. Enfin, la kaliémie doit également être étroitement surveillée. Afin d’éviter tout risque d’hypokaliémie, 20 mEq de K+ peuvent être ajoutés à chaque litre de soluté perfusé (3,5 ml de chlorure de potassium à 10 % dans 250 ml de soluté), à condition que le débit d’administration ne dépasse pas 0,5 mmol de KCl/kg/h, ce qui nécessite l’utilisation d’une pompe à perfusion. Grâce à ce suivi rigoureux, qui succède immédiatement à la mise en œuvre de mesures de réanimation rapides et efficaces, les urgences urinaires, notamment l’anurie, peuvent être traitées avec un maximum de chances de succès dans une situation où l’improvisation n’a pas sa place.

• Source : Jack-Yves Deschamps : « Les urgences urinaires », conférence présentée le 10/11/2004 au congrès national de l’Afvac, organisé à Paris.