Le rôle particulier des acides aminés soufrés semble sous-estimé en productions animales - La Semaine Vétérinaire n° 1232 du 30/06/2006
La Semaine Vétérinaire n° 1232 du 30/06/2006

Défenses de l’organisme

Formation continue

FILIÈRES

Auteur(s) : Pierre Buttin

Au-delà de la croissance et d’une fonction lipotrope, méthionine et cystéine jouent un rôle important dans les défenses de l’organisme, à travers le glutathion, la taurine, la métallothionine, etc.

Un animal en mauvaise santé extériorise avec une rapidité étonnante des problèmes de peau et de phanère : plumes tordues ou cassées, poils ternes et hirsutes, peau squameuse ou fragilisée (pododermatites), onglons cassants, etc.

Ceci résulte d’une déviation importante et prioritaire des acides aminés soufrés pour la synthèse de protéines de défense de l’organisme atteint par une agression septique, au détriment de la production d’autres protéines, dont la kératine. Cette protéine, riche en cystéine, est un constituant majeur des poils, plumes et onglons et de la couche externe de la peau. C’est la raison pour laquelle, lors de maladie chez le porc ou chez la volaille, il est commun de constater des problèmes cutanés ou de phanères.

Cette augmentation des besoins n’est pas prise en compte dans les apports recommandés pour la croissance. Le rôle particulier des acides aminés soufrés dans les défenses de l’organisme semble largement sous-estimé en productions animales.

La méthionine, un précurseur de molécules bénéfiques

La méthionine est considérée comme indispensable, car sa chaîne carbonée ne peut pas être produite par l’organisme ; elle doit être apportée par l’aliment. Il s’agit d’une molécule stable, contrairement à la cystéine. Elle intervient dans de nombreuses voies métaboliques soit pour la synthèse de protéines, soit à travers une réaction de transméthylation avec la production de S-adénosyl-méthionine (SAM) et d’homocystéine. Ces radicaux méthyles sont utilisés en particulier pour le métabolisme des lipides.

L’homocystéine joue un rôle dans le métabolisme des folates et de la choline, mais est surtout l’intermédiaire pour la production de cystéine.

La méthionine est également nécessaire à la production des amines biogènes spermidine et spermine. Ces dernières jouent un rôle primordial dans la prolifération et la différenciation cellulaire, particulièrement au niveau de la muqueuse intestinale où le taux de renouvellement est élevé, surtout en cas d’entérite. Elles interviennent aussi dans le processus inflammatoire au niveau du foie, du pancréas et de l’intestin. La production de ces amines biogènes résulte dans un premier temps du catabolisme de l’arginine en pustrescine (via le cycle de l’urée avec l’ornithine), puis des radicaux amino-propyles fournis par la méthionine (plus exactement la SAM) sont progressivement ajoutés à la putrescine pour former d’abord la spermidine, puis la spermine. Il a été montré qu’un apport en arginine et en méthionine permet d’augmenter leur production.

L’importance de la méthionine pour la croissance est connue : ce sont les “briques” entrant dans la production de protéines les plus diverses. Le rôle de “donneur de méthyle” de la méthionine, qu’elle partage avec la choline et la bétaïne, est souvent mis en avant, en particulier dans des spécialités vétérinaires de la famille des “hépato-protecteurs”.

La cystéine intervient dans les mécanismes antioxydatifs et détoxifiants

La cystéine, elle, est une molécule particulièrement instable en raison de son radical thiol [-SH]. Celui-ci est de fait rapidement oxydé en un pont di-sulfure [-S-S-] qui joint deux cystéines en une molécule de cystine. Ce lien di-sulfure joue un rôle clef dans la forme et la cohésion des protéines. C’est en particulier le cas pour la kératine, dont la cohésion est particulièrement importante de par son contenu en cystéine (13 %). Un besoin accru en acides aminés soufrés lors d’agressions septiques a donc des répercussions sur la peau et les phanères, souvent observées chez l’animal.

Par ailleurs, en raison de la réactivité de son radical thiol, la cystéine joue aussi un rôle important dans les défenses de l’organisme. Elle est l’un des trois acides aminés du glutathion (GSH). Ce dernier est l’un des premiers acteurs de la réponse à l’agression. Ce tripeptide, dont 90 % de la synthèse a lieu dans le foie, est constitué d’acide glutamique, de cystéine et de glycine. Le glutathion constitue accessoirement une réserve de cystéine, mais son action principale réside dans la réponse à l’agression comme détoxifiant et antioxydant.

Les groupes électrophiles des toxines, nocifs pour la cellule quand ils sont libres, sont fixés par le radical thiol du glutathion sous sa forme non oxydée (GSH). Le mercapturate qui en résulte est éliminé dans les urines et dans les fèces. Par ailleurs, la principale enzyme antioxydante est le glutathion peroxydase, où le glutathion est co-enzyme. Ce dernier est particulièrement présent au niveau de la cellule intestinale confrontée à la présence de radicaux libres d’origine alimentaire, entraînant un important taux de renouvellement de ces cellules.

La cystéine est également le précurseur, après décarboxylation, de la taurine, autre acteur des défenses de l’organisme. Parfois assimilée à un acide aminé (bien qu’elle ne le soit pas chimiquement), cette molécule soufrée est apportée par l’aliment ou produite à partir de la cystéine. Durant l’agression, la taurine a un effet de protection de la cellule comme antioxidant et en réduisant la perméabilité membranaire. Elle se trouve préférentiellement dans les lymphocytes (60 % de la taurine libre) et serait particulièrement active dans les poumons et dans le foie.

La taurine est aussi abondante dans les tissus excitables : elle joue un rôle dans le développement du cerveau, dans la thermorégulation, le contrôle du sommeil, la vision, l’ingestion d’aliments, et le fonctionnement cardiaque. Enfin, la taurine est abondante dans les secrétions biliaires où elle aide à la solubilisation des graisses et à leur absorption.

La cystéine est également un constituant majeur de protéines de défense telle que la métallothionine (MT). Cette protéine comprend 30 % de cystéine et a une affinité pour les métaux. Elle a une action clef dans l’homéostasie du zinc et du cuivre. Produite en grande quantité lors d’agression, elle protège l’organisme des métaux lourds en les liant et en permettant leur élimination. Elle joue également un rôle de détoxification contre les toxines bactériennes.

Enfin, la cystéine est aussi un acide aminé important dans un certain nombre de protéines de défense comme l’albumine (6 % de cystéine) dont le rôle est de lier et de transporter des composants ; l’hepcidine, un peptide de vingt-cinq acides aminés produits dans le foie, à activité antimicrobienne et qui régule l’homéostasie du fer ; la protéine FIZ (found in inflamatory zone : trouvé en zone inflammatoire) qui joue un rôle dans les réactions inflammatoires des poumons.

La méthionine est disponible sous deux formes pour les productions animales

La cystéine n’est pas disponible dans des conditions de coût acceptables pour les productions animales. Mais il a pu être montré qu’un apport élevé en méthionine favorise la production de cystéine et, au-delà, augmente le catabolisme de cette cystéine en taurine. A contrario, un faible apport en méthionine pénalise la production de cystéine.

Un apport supplémentaire en méthionine durant l’agression septique est donc une réponse adaptée à l’importante et soudaine augmentation des besoins qui résulte de la mise en place des mécanismes de défense.

La méthionine est disponible pour les productions animales sous forme de DL méthionine ou d’hydroxy analogue de méthionine (HMTBa). L’hydroxy analogue est une forme liquide qui, associée à des acides organiques, peut être utilisée en intervention rapide dans l’eau de boisson.

L’agression septique

L’agression septique d’un organisme est caractérisée par la dissémination de toxines bactériennes, mais aussi par une augmentation importante des radicaux libres, particulièrement dans le foie et les poumons, occasionnant de nombreuses lésions cellulaires. L’agression entraîne une défense de l’organisme ayant un effet considérable sur le métabolisme des protéines avec un catabolisme musculaire permettant de fournir en acides aminés l’anabolisme des protéines de défense (acute phase protein). Ce déficit est aggravé dans les affections de l’intestin par une érosion intestinale et une mauvaise assimilation des nutriments.

P. B.
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