LA LÉGISLATION DOIT S’ADAPTER AUX SPÉCIFICITÉS INSULAIRES - La Semaine Vétérinaire n° 1231 du 24/06/2006
La Semaine Vétérinaire n° 1231 du 24/06/2006

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Auteur(s) : Martine Neveux

Exercer outre-mer s’accompagne de spécificités, notamment en termes d’encadrement législatif. Si elles diffèrent de façon plus ou moins importante des usages de la métropole, les disparités existent aussi entre les territoires et les départements, puis au sein même des uns et des autres. Il en est de même des liens établis avec l’Hexagone.

L’eau turquoise et les palmiers cachent une dure réalité. En effet, exercer dans les territoires et les départements d’outre-mer (DOM-TOM) n’est pas toujours aisé. « Nous faisons notre possible pour que le Code rural soit appliqué, mais l’enclavement de la Guyane(1), ainsi que les échanges importants entre deux rives d’un fleuve servant de frontière, rend cela difficile. Par exemple, nous sommes confrontés à des chiens en provenance du Brésil ou du Surinam par voie terrestre, non vaccinés ou selon un protocole farfelu, à l’importation de produits pharmaceutiques brésiliens peu onéreux ou interdits pour l’élevage, etc. », témoigne ainsi Isabelle Lechat, praticienne en Guyane. « A Tahiti, nous devons faire face à la non-application du Code rural en Polynésie-Française(2) !, confirme notre confrère Frédéric Leflocq. Un code polynésien est prévu depuis des années, mais nous ne voyons rien venir. Cela se révèle pénalisant pour nous, car qui dit absence de Code rural dit absence d’Ordre. Nous sommes donc les seuls vétérinaires à exercer “librement”… » En outre, cela pose des problèmes pour l’obtention de nombreux documents et procure « un sentiment de laisser-aller administratif certain qui complique les rapports avec la métropole, notamment lors du retour des animaux sur le continent ». Une autre spécificité concerne la non-application des règlements de surveillance des chiens mordeurs. Les classements en catégorie 1 ou 2 n’ont pas cours. Il en est de même pour les interdictions de coupe d’oreilles, de queue, etc.

L’exercice et les relations entre confrères ne sont pas plus faciles. « Aucune sanction n’étant envisageable localement, des ventes de clientèle suivies par des réinstallations juste à côté ont eu lieu ! Des cas graves ont cependant été jugés en France, mais sans réelle base légale. Afin de pallier cette carence ordinale, nous avons créé un syndicat qui défend nos intérêts vis-à-vis de l’extérieur et permet d’aborder les problèmes qui apparaissent entre nous. Mais nous sommes juge et partie », poursuit Frédéric Leflocq. En Polynésie, les institutions sont dirigées par l’Assemblée territoriale qui vote les lois de pays, explique notre confrère. « La France reste le maître d’œuvre pour les grands secteurs de la santé publique, mais avec une “océanisation” des cadres et des règlements. Le “parlement” peut donc rapidement légiférer sur des sujets locaux comme les chiens errants, les fourrières, les déplacements interîles, etc. »

Une situation qui n’est pas toujours évidente. « Nous réclamons l’application du Code rural métropolitain depuis plus de vingt ans ou, du moins, l’instauration d’un texte s’en rapprochant », souligne ainsi Pierre-Yves Peyrrache, praticien en Polynésie.

L’éloignement géographique des confrères qui exercent dans les DOM et les TOM induit-il un éloignement d’avec les préoccupations nationales ? « Dès le début de mon mandat, l’une de mes préoccupations a été de considérer ces territoires comme de plein droit par rapport à notre action syndicale », explique Rémi Gellé, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). Des délégués syndicaux sont d’ailleurs présents en Guadeloupe, en Martinique ou encore à la Réunion, et bénéficient de la prise en charge du déplacement annuel pour l’assemblée des délégués et les Rencontres nationales vétérinaires (RNV). « Nous souhaitons avoir des relais locaux pour être mieux informés des difficultés éventuellement rencontrées. Cet échange est en cours de construction », poursuit notre confrère.

« Tous les vétérinaires qui exercent en Nouvelle-Calédonie(2) sont issus des écoles françaises. Nous avons donc un lien fort avec la métropole, que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie souhaite consolider. Néanmoins, notre insularité, notre situation épidémiologique particulière, notre insertion régionale et notre spécificité législative conduisent, sur des problématiques communes (influenza aviaire, par exemple), à prendre des orientations spécifiques. Certains enjeux métropolitains ou européens peuvent aussi ne pas trouver d’écho ici, parce qu’ils sont hors contexte ou trop prématurés, souligne pour sa part Jérôme Bétrancourt, chef du service d’inspection vétérinaire, alimentaire et phytosanitaire à la Direction des affaires vétérinaires, alimentaires et rurales (Davar) de Nouvelle-Calédonie. Dans le domaine de la pharmacie notamment, la Nouvelle-Calédonie dispose d’une réglementation composite faite d’extensions anciennes du Code de la santé publique (les dispositions applicables sont donc celles de l’époque de l’extension) et de textes locaux pris ultérieurement. » « Nos vies sont ici et nos problématiques sont assez spécifiques. Mais l’actualité nationale en général, et vétérinaire en particulier, nous intéresse, car elles connaissent théoriquement un prolongement local, même s’il faut batailler ferme pour cela », explique notre confrère Xavier Roy, praticien en Guadeloupe, délégué du SNVEL (voir l’article en page 35). « Nous sommes à la fois trop loin pour avoir les mêmes problèmes qu’en métropole et trop petits pour nous débrouiller seuls. Un dispositif calqué sur le système politique actuel serait valable : large autonomie, mais conservation des pouvoirs “régaliens” par l’autorité centrale », estime, pour sa part, Hervé Leroux, praticien à Nouméa (Nouvelle-Calédonie).

Le Code rural ne s’applique pas dans l’ensemble des territoires

Les confrères d’outre-mer sont régulièrement confrontés aux difficultés liées à l’application du Code rural, de l’inscription ordinale et de la législation qui encadre l’exercice. La gestion ordinale des DOM est identique à celle d’un département métropolitain et relève du conseil régional d’Ile-de-France. Celle des TOM dépend de la région de Bordeaux. « Elle est aussi placée sous l’autorité des assemblées territoriales qui, bien souvent, n’ont pas intégré les mesures législatives les plus récentes de la métropole », explique Christian Rondeau, président du Conseil supérieur de l’Ordre. Quant à la convention collective du personnel salarié, elle vaut aussi bien pour le continent qu’outre-mer.

« Je perçois ici une plus grande souplesse dans l’application de la loi, pour des raisons socio-économiques évidentes. Il en va de même pour le Code rural, notamment en matière d’exercice illégal, de pharmacie vétérinaire, de chiens dangereux, errants, etc. », explique Xavier Roy. « Ce code n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie », souligne également Hervé Leroux. « Dans le cadre de la loi organique, le territoire est compétent pour réglementer dans de nombreux secteurs qui font partie du Code rural en métropole. Il n’est donc pas de facto applicable, mais doit faire l’objet d’un texte spécifique d’application à la Nouvelle-Calédonie, si celle-ci le souhaite. Pour bon nombre de ces domaines, elle n’a pas choisi l’extension mutatis mutandis du Code rural, mais a produit ses propres textes », détaille Jérôme Bétrancourt. Selon Pierre Primot (Davar), « les réglementations locales tiennent compte des particularités du pays. Le Code rural y est difficilement applicable dans son intégralité. Certains textes spécifiques qui régissent l’activité de la médecine et de la chirurgie vétérinaires, ainsi que l’exercice de la pharmacie ». C’est effectivement au sein du Congrès de la Nouvelle-Calédonie que la réglementation se discute et se décide. « Nous pouvons, de ce fait, développer une réglementation adaptée à notre contexte », estime Pierre Primot.

L’inscription ordinale est face à un vide juridique dans les collectivités territoriales

« La Nouvelle-Calédonie constitue un cas particulier. Tous les vétérinaires qui y exercent doivent être inscrits à l’Ordre pour bénéficier du mandat sanitaire. Nous rencontrons tous les ans la direction départementale du territoire pour la santé animale. En revanche, l’Assemblée territoriale n’a entériné ni la version du Code de déontologie de 1992 ni celle de 2002, ce qui pose parfois quelques difficultés lors de litiges », explique Christian Rondeau.

La situation se complique encore dans les autres TOM. « Concernant l’inscription ordinale, exception faite de la Nouvelle-Calédonie, aucune collectivité territoriale n’apporte de réponse claire. Ce qui aboutit à un vide juridique. La reprise des règlements applicables en métropole par l’Assemblée territoriale, avec comme tête de pont la Nouvelle-Calédonie, pourrait peut-être servir de modèle pour l’application du Code de déontologie. En outre, nous n’excluons pas d’établir un contrat de partenariat avec l’ensemble des confrères calédoniens, afin de donner une empreinte officielle à cette régularisation », poursuit Christian Rondeau. « Si une minorité de praticiens souhaitent créer une section ordinale territoriale, la plupart reconnaissent qu’il est plus équitable que les conflits soient examinés par des tiers plutôt que localement, d’autant que les effectifs vétérinaires sont assez réduits dans les TOM », relate le président du CSO. « Au niveau ordinal, nous dépendons encore du conseil régional de Bordeaux, cette appartenance n’étant toutefois pas clairement établie. Comme cet état de fait nous arrange, nous faisons comme si, mais il existe des lacunes au niveau légal », ajoute Hervé Leroux.

Outre l’application du Code rural, l’encadrement ordinal, etc., les confrères d’outre-mer sont confrontés à d’autres écueils en raison de l’éloignement géographique. « La formation et l’approvisionnement en médicaments (notamment le problème de respect de la chaîne du froid) et en matériel, ainsi que la difficulté lors de diagnostics nécessitant l’intervention de laboratoires spécifiquement vétérinaires » sont quelques-uns d’entre eux, selon Vincent Perrot, praticien en Polynésie.

  • (1) La Guyane, comme la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion, est désormais une région d’outre-mer (ROM), constituée d’un seul département.

  • (2) La Polynésie-Française et la Nouvelle-Calédonie forment maintenant des pays d’outre-mer (POM).

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