MANIER LE MICRO COMME LE STÉTHO, LE TOP POUR LE VÉTO - La Semaine Vétérinaire n° 1212 du 04/02/2006
La Semaine Vétérinaire n° 1212 du 04/02/2006

À la une

Auteur(s) : Nathalie Devos

Du « bœuf en dope » à la grippe aviaire qui met « la France sur ses ergots », la profession n'est pas épargnée par les crises médiatiques. Désormais, dans un monde où l'information est reine, celui qui pèche en termes de communication devient un bouc émissaire idéal. Les vétérinaires doivent en tenir compte.

Dans les sociétés occidentales, l'événementiel a envahi l'information. Désormais, tout devient médiatique. Qu'il soit divers ou d'actualité, chaque fait peut se transformer en crise. Lorsqu'elle survient, les médias grand public ne se contentent pas de l'observer, mais en sont généralement les acteurs, voire les déclencheurs. Après qu'ils ont “mis le feu”, il revient aux secteurs concernés de l'éteindre pour rassurer le citoyen-consommateur-électeur. Tous les domaines de la vie quotidienne, de la politique aux entreprises quelles qu'elles soient, peuvent en faire les frais. La profession vétérinaire n'est pas épargnée. Les médias n'ont pas laissé passer “la vache folle” en 1996 et en 2000, la fièvre aphteuse en 2001, les cas de rage en Gironde en 2004. Et, bien entendu, ils se sont emparés de la grippe aviaire il y a quelques mois, lui réservant un traitement qui a développé une psychose au sein de la population, avec comme conséquence une crise de la filière avicole.

Cette situation est-elle le résultat d'une communication insuffisante (ou inappropriée) des vétérinaires ? Il est légitime de s'interroger, même si certains de nos confrères et consœurs (notamment Jeanne Brugère-Picoux, Jean-Luc Angot, Bernard Vallat ou Jean-Claude Manuguerra) se sont courageusement et adroitement “frottés” aux médias, pour “recadrer” les choses. Il faut reconnaître que communiquer ne va pas de soi. Cela s'apprend, notamment en situation de crise. Selon le chercheur Joseph Scanlon, il y a alors trois règles fondamentales à connaître :

- toute crise est aussi une crise d'information ;

- le vide d'information doit absolument être comblé ;

- qui ne maîtrise pas l'information ne maîtrisera pas les aspects les plus strictement opérationnels de la crise.

Prendre du recul sur le rôle joué par les médias dans les crises

Si la communication interne, fréquemment négligée, peut conduire à des implosions “mortelles” pour une structure ou une filière, celle réalisée à destination des médias est généralement ressentie comme l'épreuve la plus déstabilisante en situation de crise. « Dans ce domaine, les responsables se sentent souvent démunis », explique Patrick Lagadec, directeur de recherche à l'école Polytechnique, expert en management et communication en période de crise(1).

L'une des difficultés vient du manque d'homogénéité de l'univers médiatique. En effet, il n'est pas possible de comparer un journaliste spécialisé (qu'il appartienne ou non à un média grand public), qui connaît son métier et a recours à son réseau d'experts pour vérifier tel ou tel point technique, avec certains reporters qui ne manquent pas de transformer une nouvelle en “scoop”. Ceux qui font l'amalgame peuvent vite perdre pied lorsqu'ils sont face aux micros et aux caméras.

Bien évidemment, il ne s'agit pas de généraliser et d'expliquer toutes les crises par l'action des médias, mais plutôt de prendre du recul sur leur rôle d'acteurs lorsqu'elles surviennent, et donc apprendre à connaître certains de leurs modes de fonctionnement.

Une fois une information « choc » lancée, la rectifier devient difficile

Les crises sont une bonne affaire pour la presse grand public, qui fait tout pour obtenir des informations, diffusées au fur et à mesure qu'elles sont recueillies. Dans ce contexte, les procédures de vérification sont parfois allégées, explique Patrick Lagadec. Et les titres “chocs” fleurissent pour tenir le consommateur-spectateur en haleine. « Ce que l'on peut encore manger sans risque : le guide anti-vache folle » titrait ainsi Le Nouvel Observateur lors de la crise de l'ESB en 2000. « Le bœuf en dope a fait un malheur dans nos assiettes » accusait pour sa part Le Canard Enchaîné en 2002. Certains journaux s'étaient en effet emparés du rapport des ministères de la Santé et de l'Agriculture sur « la distribution au détail du médicament vétérinaire » et avaient accusé les confrères de « doper les animaux aux antibiotiques », confondant les prélèvements de contrôle ciblés et aléatoires, ainsi que les antibiotiques et les additifs-antibiotiques. Et depuis l'apparition de la grippe aviaire en Turquie, « la France est maintenant sur ses ergots » estimait Libération en octobre dernier.

Par ailleurs, faute d'éclaircissements de la part des principaux intéressés, les informations se succèdent au fil des éditions… et se contredisent parfois. Durant les derniers mois, trois événements “suspects” concernant des personnes de retour d'Asie (des Réunionnais, un ressortissant belge et une habitante de Montpellier), soupçonnées d'être contaminées par le virus H5N1, ont ravivé la peur des Occidentaux. A chaque fois, l'information a été démentie deux ou trois jours après avoir fait “la une”.

En situation de crise, les messages chocs saturent la capacité de réception de l'auditoire : une fois l'information lancée, la démentir ou la corriger devient particulièrement difficile, voire impossible, souligne Patrick Lagadec. L'exemple de la grippe aviaire illustre parfaitement cette particularité. Elle a été présentée comme une maladie mortelle pour l'homme. Les consommateurs ont fait l'amalgame entre la consommation de volaille et la contamination potentielle humaine par le virus H5N1. Désormais, avec retard, les médias grand public insistent sur l'absence de lien entre l'un et l'autre facteur. Mais depuis quelques mois, la filière avicole déplore une baisse de la consommation de 15 à 20 %…

Les médias jouent la carte de l'immédiateté et de la proximité avec le public

Les journalistes privilégient l'immédiateté. A contrario, les scientifiques valorisent la pertinence de l'information. Alors que les données scientifiques ne sont jamais définitives, la presse les présente d'une façon qui suppose la certitude.

La pression médiatique exige de répondre de tout à tous instantanément, de donner un diagnostic précis et définitif et de livrer un pronostic sans incertitude. « Est-il dangereux de manger du ris de veau ? », ne cessaient ainsi de demander les médias aux spécialistes lors de la crise de l'ESB en 2000, alors que quelques incertitudes scientifiques persistaient.

Il existe d'un côté les questions que posent les journalistes, de l'autre les réponses et leur retranscription. Et dans ce domaine, le combat peut parfois se faire à armes inégales. L'erreur du journaliste est considérée comme acceptable, alors que toute inexactitude du “responsable” est sévèrement dénoncée, remarque Patrick Lagadec. Suggérer une relecture de l'article pour corriger d'éventuelles erreurs techniques est vécu par certains rédacteurs comme une provocation, un affront à leur liberté. En outre, ce que le professionnel considère comme fondamental – la rigueur des informations livrées au public – a parfois beaucoup moins de place dans l'échelle des valeurs de son partenaire. Certains journalistes font en effet primer rapidité et liberté absolue.

Par ailleurs, si la relecture est acceptée, elle doit être extrêmement rigoureuse, car l'univers des médias grand public est souvent celui des généralités.

Pour sa part, l'épreuve des caméras nécessite une préparation. Accepter une prestation télévisée pour vanter un succès est déjà difficile. Relever le défi en situation de crise peut tenir de l'impossible. Le temps accordé à chaque réponse n'est que de dix à trente secondes. En outre, la moitié du message est véhiculée par l'image donnée avant même d'avoir ouvert la bouche. Les silences et les hésitations comptent également pour une bonne part. Le moindre “blanc” peut être immédiatement interprété comme un malaise, de l'incompétence et du mensonge.

Garder son rôle malgré les chevauchements de responsabilités

S'exprimer dans les médias grand public signifie aussi affronter les délicats problèmes de rôle et de légitimité. Si personne ne peut répondre à la place de quelqu'un d'autre, la presse n'accepte pas de s'entendre systématiquement rétorquer : « Le point soulevé n'est pas de mon ressort. » Or dans une crise, les chevauchements de responsabilité sont la règle. Une nouvelle fois, le traitement médiatique de la grippe aviaire l'illustre parfaitement. Le ministère de la Santé est intervenu pour évoquer la maladie sous l'angle de la pandémie humaine. Son homologue de l'Agriculture, pourtant concerné en premier lieu, a également pris la parole, mais plus tard et moins largement.

Qui pèche en matière de communication devient donc un bouc émissaire idéal, recherché en cas de crise pour contrebalancer une complexité et une incertitude insoutenable, conclut Patrick Lagadec.

  • (1) La gestion des crises, outils de réflexion à l'usage des décideurs, Patrick Lagadec, Ediscience.

  • Source : Patrick Lagadec.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Communication de crise, Thierry Libaert, éditions Dunod, 2005.

• Communication : la nouvelle donne, Thierry Libaert, éditions Village mondial, 2004.

• Gérer et décider en situation de crise, Christophe Roux-Dufort, éditions Dunod, 2003.

• La société face aux événements extraordinaires, entre fascination et crainte, Birgitta Orfali, édition Zagros.

• Alertes santé, André Cicolla et Dorothée Benoit-Browaeys, éditions Fayard.

Les comportements à éviter

Face à l'investigation journalistique, la non-préparation peut conduire à plusieurs comportements, explique Patrick Lagadec :

- le silence, source de rumeurs ;

- les dérobades : « Les responsables sont « indisponibles » ;

- le no comment, porte ouverte à toutes les interprétations ;

- les démentis, qui ne désamorcent pas l'imaginaire ;

- les prises de parole incertaines où l'embarras et le manque de préparation, immédiatement perçus, font office de langue de bois ;

- les déclarations rassurantes : « Tout est sous contrôle », « On ne sait pas, mais ce n'est pas grave » ;

Tout cela cache en fait une incapacité à fournir de l'information sur un événement et son contexte. Et si les décideurs émettent publiquement des doutes sur ceux qui informent, le sort est définitivement scellé, ils perdront la bataille de la communication.

Le réflexe naturel du blocage, du refus de communiquer peut être dangereux, tant pour une organisation que pour un individu exposé personnellement. Les sources d'information qui s'expriment les premières font inévitablement prévaloir leurs vues auprès du public. Celles qui ont été incapables de parler suffisamment tôt n'ont plus qu'à « reconnaître » les faits et risquent la « disqualification ».

N. D.
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