Les coussinets plantaires du pied des bovins jouent les amortisseurs - La Semaine Vétérinaire n° 1206 du 17/12/2005
La Semaine Vétérinaire n° 1206 du 17/12/2005

Anatomie du pied

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Catherine Bertin-Cavarait

L’hypoderme de la surface portante de l’onglon possède un coussinet digital, composé de coussinets graisseux et de tissu conjonctif qui servent à absorber les chocs sous la phalange distale et le talon.

Alors que l’appareil suspenseur du pied supporte une grande partie du poids chez le cheval et que seule une faible part de la charge est transférée sur la sole et le talon, celui des bovins est nettement moins développé. Les lamelles sont plus courtes et ne se trouvent que dans la moitié distale de la paroi interne de la muraille du sabot. Par ailleurs, les lamelles secondaires sont absentes. Aussi, le poids se porte davantage sur les talons. Les coussinets plantaires, qui amortissent les chocs, jouent alors un rôle essentiel dans le maintien de l’intégrité du pied. Pour mieux connaître leur fonction, notre consœur Marta Räber, de l’université de Zurich (Suisse), conduit des recherches sur leur anatomie, leur histologie et leur composition.

Trois coussinets graisseux constituent le capitonnage du pied

Dans un premier temps, la dissection des onglons de cinquante-quatre femelles de races brune, simmental et holstein permet de préciser l’anatomie et l’histologie des coussinets plantaires. Les animaux retenus dans l’étude sont des génisses et des vaches en première, deuxième, troisième lactations et plus. Le stade moyen de lactation des vaches en production est de 183 jours (+/- 142). La note d’état des animaux est passable et leurs onglons sont sains.

Dans un deuxième temps, Marta Räber dissèque et analyse les coussinets plantaires de postérieurs droits de six génisses âgées en moyenne de deux à trois ans et de six vaches âgées en moyenne de huit ans. Toutes sont de race brune. Elles ne présentent aucune boiterie et leur état général est conforme aux recommandations zootechniques. Les échantillons sont prélevés au niveau de six zones différentes (A, B, C, D, E et F sur la figure 1). La composition du tissu graisseux des coussinets est comparée à celle des tissus adipeux périrénal et sous-cutané.

Les coussinets graisseux plantaires des bovins sont composés de trois cylindres parallèles de tissu graisseux : axial, abaxial et médian. Ils courent longitudinalement sous la troisième phalange, depuis le talon, avec de nombreuses branches transversales, fines, en forme de doigt, qui relient les coussinets axial et abaxial à l’avant de la protubérance de l’os pédieux (voir figures 1, 2 et 3). Le coussinet médian s’arrête fréquemment au niveau du bord apical de la protubérance, ce qui entraîne un moindre effet amortisseur et, en conséquence, une probable augmentation des ulcères.

Les coussinets sont constitués d’un tissu conjonctif lâche et élastique qui contient des quantités variables de tissu adipeux, enveloppé de collagène. Leur composition et leur épaisseur varient selon l’âge des animaux, le pied (antérieur ou postérieur) et l’onglon (interne ou externe).

Les coussinets des antérieurs contiennent plus de tissus graisseux que les postérieurs

Le tissu adipeux est plus éparpillé chez les génisses. Leur tissu conjonctif, lâche et semblable à de la gelée, contient une proportion élevée de tissu amorphe. La quantité de tissu graisseux augmente au cours des deuxième et troisième lactations. Elle diminue ensuite. Le gras est remplacé par du tissu conjonctif riche en collagène. En effet, chez les vaches qui ont enregistré plus de trois lactations, le tissu adipeux est clairsemé. La plus grande proportion de tissu conjonctif dans les sections transversales du coussinet médian, sous la protubérance de l’os pédieux, augure un risque plus élevé d’apparition d’ulcères de la sole.

Un maillage de tissu conjonctif dense, situé entre la couche réticulaire du tissu podophylleux et le périoste de la phalange distale, divise les coussinets en compartiments, comme les bourrelets d’un matelas (voir photo ci-dessus).

Les coussinets des onglons antérieurs contiennent plus de tissu graisseux que ceux des onglons postérieurs. Ceux de l’onglon latéral antérieur en contiennent davantage que ceux de l’onglon médial.

Au niveau des postérieurs, l’inverse est observé. La plus petite quantité est trouvée dans les coussinets abaxiaux d’onglons postérieurs, à la jonction entre la partie antérieure du talon à corne dure et le bourrelet du talon à corne relativement tendre, zone où les ulcères apparaissent de préférence.

Sur les postérieurs de tous les animaux, la distance entre la troisième phalange et la surface interne de la sole varie entre 3 et 5 mm au niveau de la pointe de la phalange (voir figure 3, a), entre 6 et 10 mm au milieu de la troisième (voir figure 3, b) et entre 5 et 8 mm au niveau de la protubérance (voir figure 3, c). Ces valeurs sont supérieures pour les pieds antérieurs. Elles se modifient avec l’âge des animaux. Ainsi, le coussinet situé au milieu de la phalange devient plus fin. Le tissu podophylleux et l’hypoderme situé sous la protubérance de l’os pédieux tendent à s’affiner légèrement dans l’onglon latéral par rapport au médial.

La vache est capable de synthétiser son propre capitonnage graisseux

Chez tous les bovins, la quantité de lipides trouvée dans les coussinets est inférieure aux prévisions des chercheurs. Ils contiennent une forte proportion d’acides gras mono-insaturés (plus de 77 %), ce qui est nettement supérieur au volume rencontré dans les tissus adipeux. En effet, le tissu adipeux périrénal des vaches contient 31,9 % d’acides gras mono-insaturés, alors que le taux est de 53,8 % dans le tissu sous-cutané.

Ces résultats indiquent que les lipides des coussinets assurent une fonction différente de celle des graisses de réserve. Leur rôle est vraisemblablement la protection du tissu podophylleux situé entre l’os et la sole. Par ailleurs, l’animal semble capable de synthétiser son propre capitonnage graisseux au niveau des pieds. La synthèse endogène des acides gras mono-insaturés, comme l’acide oléique, pourrait être réalisée par la désaturation en 9 de l’acide stéarique, et serait ainsi à l’origine des propriétés moelleuses du tissu graisseux.

Les coussinets des vaches présentent plus de lipides que ceux des génisses avec un taux de signification élevé (p < 0,0001). Ils contiennent également une proportion plus importante d’acides gras mono-insaturés, en particulier d’acide oléique (67,4 % au lieu de 65,8 %, avec une différence significative au seuil de 0,001). Des lipides seraient donc déposés au cours de la première lactation.

Les zones B, E et F (sur la figure 1) renferment la plus faible quantité de lipides et la plus forte proportion d’acides gras mono-insaturés, comme si l’animal compensait le peu de tissu graisseux par une composition qui confère davantage de moelleux, donc une protection renforcée du tissu podophylleux.

Chez tous les animaux, les coussinets de l’onglon latéral contiennent moins de lipides que ceux du médial : 30 g pour 100 g de tissu au lieu de 33,2 g. La différence est hautement significative (p < 0,0001). En outre, la quantité varie selon les zones A, B, C et D.

Les lésions se développent dans les zones mal capitonnées

Pour Marta Räber, il existe une relation entre l’intensité de la charge sur l’onglon et la diminution de la densité du tissu graisseux dans les coussinets plantaires. La concordance entre les zones de lésions habituellement observées et la faible densité des coussinets qui y est observée est frappante, par exemple dans la zone de l’ulcère typique. Il se développe exactement là ou l’hypoderme n’est pas capitonné de façon optimale (voir photo en page 38).

Le remplacement du tissu graisseux par du tissu conjonctif dans les onglons postérieurs se produit vraisemblablement en réaction à l’augmentation du poids et de l’âge, même si la plus forte charge est portée par les onglons antérieurs. Mais ils ont en leur faveur une meilleure répartition de la pression. Lorsque le bovin marche, les forces exercées sur l’onglon antérieur sont plus intenses du côté abaxial. Quand le pied entre en contact avec le sol, l’onglon latéral reçoit l’impact. Le poids est ensuite réparti dans la surface portante médiale. Le coussinet abaxial de l’onglon médial, qui porte la charge la plus importante, est aussi celui qui contient le moins de tissu graisseux. Au niveau du postérieur, presque toute la force s’exerce sur l’onglon latéral. Lorsque les animaux sont à l’arrêt, l’intensité des pressions sous les différentes zones des onglons change constamment.

La composition des coussinets graisseux des génisses est riche en tissu conjonctif

L’apparition de lésions des onglons, plus fréquentes chez les génisses, est classiquement attribuée à la conduite d’élevage et au management de la période post-partum. Cette étude anatomique et histologique met en évidence un facteur de risque intrinsèque à l’animal ;: la richesse en tissu conjonctif des coussinets graisseux des génisses comparés aux coussinets abaxiaux des vaches en deuxième et troisième lactations, qui contiennent un tissu adipeux jaune et “onctueux”. Néanmoins, selon Marta Räber, il reste à confirmer l’hypothèse selon laquelle un coussinet incompressible, moelleux et riche en graisse présente une capacité à absorber les chocs supérieure à un coussinet au tissu conjonctif riche en substance amorphe, semblable à de la gelée.

Les zones pauvres en lipides (B, E, F) contiennent une proportion plus importante d’acide arachidonique. Ce constituant des membranes cellulaires est le précurseur des eicosanoïdes (leucotriènes, prostaglandines) parmi lesquels se trouvent de puissants médiateurs de l’inflammation. Selon notre consœur, il est possible d’attribuer des concentrations plus faibles en acide arachidonique, chez les vaches en quatrième lactation ou plus, à une production accrue de prostaglandines à la suite d’une inflammation chronique. Celle-ci serait induite par des hausses de pression, consécutives aux surcharges.

Influencer la composition du tissu graisseux des coussinets par l’alimentation

Le maïs renferme une importante quantité d’acide linoléique, acide gras polyinsaturé ω 6, précurseur de l’acide arachidonique.

L’herbe contient davantage d’acide linolénique, acide gras polyinsaturé ω 3, précurseur de l’acide eicosapentanoïque. Ce dernier réduit la production d’acide arachidonique. Il est le précurseur d’eicosanoïdes, qui présentent des actions anti-inflammatoires et immunosuppressives, comme la diminution de la prolifération des lymphocytes ou l’affaiblissement de l’activité des cellules natural killer.

Comme pour la composition en acides gras des muscles et des tissus adipeux des ruminants, il doit être possible d’influencer la composition du tissu graisseux des coussinets plantaires via l’alimentation. Ainsi, selon Marta Räber, il serait intéressant de développer une stratégie alimentaire qui vise à prévenir les boiteries, en optimisant le ratio ω 3/ω 6.

BIBLIOGRAPHIE

  • • M. Räber et coll. : « The bovine digital cushion, a descriptive anatomical study », The Veterinary Journal, 2004, n° 167, pp. 258-264.
  • • M. Räber et coll. : « The content and composition of lipids in the digital cushion of the bovine claw with respect to age and location, a preliminary report », The Veterinary Journal, 2005, sous presse, communication personnelle.
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