La proportion d’éléphants dépourvus d’ivoire s’accroît en Asie comme en Afrique - La Semaine Vétérinaire n° 1205 du 10/12/2005
La Semaine Vétérinaire n° 1205 du 10/12/2005

Effets du braconnage

Formation continue

FAUNE SAUVAGE

Auteur(s) : Alain Zecchini

Ce phénomène génétique serait dû à la sélection artificielle des animaux épargnés par les braconniers.

En Chine, de plus en plus d’éléphants d’Asie mâles (Elephas maximus) naissent sans défenses. Ce phénomène pourrait être dû aux braconniers qui abattent les pachydermes porteurs d’ivoire et épargnent ceux qui n’en ont pas (cela concerne aussi les femelles qui sont habituellement dépourvues de défenses). Ces derniers favoriseraient la transmission du gène “sans défenses” parmi leur progéniture.

Zhang Li, professeur de zoologie à l’université de Pékin, a étudié la population d’éléphants de la réserve de la préfecture autonome de Xishuangbama, dans la province chinoise du Yunnan. Le gène “sans défenses” n’est habituellement présent que chez 2 à 5 % des mâles. Or cette proportion s’est accrue dans la réserve et concerne 5 à 10 % des animaux, dont deux mâles sur les vingt que compte le parc.

En Afrique, les mâles comme les femelles “se séparent” de leur ivoire

A l’origine, le constat a été établi en Ouganda, dans les années 1990 chez l’éléphant d’Afrique (Loxodonta africana). Habituellement, les deux sexes possèdent des défenses. Si les femelles peuvent en être privées à la naissance, le phénomène est rare chez les mâles. Parmi les animaux du parc national Queen Elizabeth, l’observation d’individus dépourvus d’ivoire remonte aux années 1920. Mais à cette époque, il ne s’agissait que d’un éléphant sur deux mille. Les études de la biologiste Eve Abe ont ensuite montré un net accroissement de cette proportion. En 1996, 9,5 % des mâles sont sans défenses, dont 40 % parmi les individus âgés de plus de quarante ans. Ce taux atteint 10 % chez les femelles, auxquels s’ajoutent 9,5 % d’éléphantes qui n’ont qu’une seule défense. De plus, et la piste génétique est ainsi suggérée, les mères pourvues de défenses n’ont pas de fils sans défenses, mais peuvent aussi bien avoir des filles avec que sans. En revanche, les mères démunies d’ivoire font des filles à leur image, alors que les fils peuvent avoir des défenses. Dans les vingt et une familles d’éléphants examinées, 42,8 % des animaux étaient dotés de défenses, 28,6 % en étaient dépourvus, et 23 % étaient mixtes (1).

Ce constat, selon Eve Abe, s’explique par l’intense braconnage des décennies précédentes, qui a réduit les effectifs des éléphants du parc national de 3 500 individus en 1963 à 150 en 1980. Dans plusieurs autres pays africains, les mêmes effets ont été relevés. Au parc national Ruaha, en Tanzanie, la population de 22 000 éléphants en 1967 est tombée à 4 000 en 1987. Il est rare aujourd’hui de voir des pachydermes de ce parc munis de défenses développées. La plupart des animaux ont des moignons, ou sont totalement privés de leurs attributs. Des cas semblables sont connus, notamment au Kenya et en Zambie.

La disparition des défenses diminue l’importance du rôle écologique des éléphants

La disparition de leurs défenses n’est pas sans conséquences pour les animaux. Indispensables pour casser les branches, abattre les arbres et avoir accès au feuillage, elles octroient aux éléphants un rôle écologique important. En éclaircissant la végétation, les pachydermes créent des clairières où les jeunes arbres peuvent se développer et fournir à leur tour une ressource à quantité d’herbivores. Egalement nécessaires pour creuser le lit des rivières et des salines, les défenses permettent aux éléphants de trouver l’eau et le sel.

Ils dégagent ainsi des points d’abreuvement – souvent les seuls disponibles en période de sécheresse – utiles à l’ensemble de la faune. Les défenses représentent par ailleurs une arme contre les prédateurs et servent aux affrontements lors du rut (au parc national Queen Elizabeth, les vieux mâles sans défenses ont été exclus de la reproduction par les jeunes mieux pourvus).

Ces travaux, en Chine et en Ouganda, et les observations faites dans d’autres pays africains, demandent à être confirmés par des études plus systématiques et plus globales, orientées vers la piste génétique, ainsi que par l’analyse des impacts sociaux à long terme de l’absence de défenses parmi les communautés d’éléphants. Un “bénéfice” toutefois de ces effets du braconnage peut d’ores et déjà être relevé : mettre à l’abri, désormais, des animaux devenus “inintéressants”. Il reste qu’en Afrique au moins, les éléphants sont souvent abattus aussi pour leur chair, et pas seulement pour leur ivoire.

Le braconnage, en tant que tel, a créé, et crée un si grand déséquilibre du sex-ratio des populations d’éléphants d’Asie que les perspectives de perpétuation de l’espèce semblent bien compromises. En Chine, il est désormais de quatre femelles pour un mâle, et en Inde de cent pour un… La population totale d’éléphants chinois ne dépasse guère 200 à 250 individus actuellement. Toute disparition prend donc des proportions considérables. En 2004 encore, quatre d’entre eux ont été abattus.

  • (1) Eve Abe : « Tusklessness amongst the Queen Elizabeth national park elephants, Uganda », Pachyderm, n° 22, 1996.

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