LA GRIPPE AVIAIRE RESTE UN RISQUE THÉORIQUE NON PROGRAMMÉ - La Semaine Vétérinaire n° 1196 du 01/10/2005
La Semaine Vétérinaire n° 1196 du 01/10/2005

À la une

Auteur(s) : Nathalie Devos

Dans les médias, la grippe aviaire a désormais quitté la rubrique des virus animaux pour passer dans celle de la santé publique. Les craintes portent en effet sur le risque d’une pandémie chez l’homme. Où, quand, comment et pourquoi aurait-elle lieu ? Aujourd’hui, seules les deux dernières questions ont une réponse. Quant aux conséquences éventuelles, elles seraient dévastatrices selon les prévisions.

La grippe aviaire (ou influenza aviaire(1)) sévit actuellement en Asie du Sud-Est et a récemment gagné la Sibérie. L’épizootie s’affiche, depuis plusieurs semaines, en première page des journaux et se partage l’heure de grande écoute à la télévision, avec les typhons dévastateurs ou autres catastrophes naturelles.

Le virus de l’influenza aviaire hautement pathogène de sous-type H5N1, responsable de la maladie, est pris au sérieux par l’Elysée, mais aussi par l’Organisation des Nations unies (ONU) qui lui a récemment lancé une « déclaration de guerre ». La raison de la large médiatisation autour de ce virus animal est la crainte qu’il puisse être à l’origine d’une pandémie chez l’homme. Les scénarios les plus pessimistes prévoient, dans ce cas, quelque 100 millions de morts dans le monde, et jusqu’à 200 000 en France selon une étude de l’Institut national de veille sanitaire (InVS)…

En Asie du Sud-Est (principalement en Thaïlande et au Viêtnam), le virus a décimé plus de 150 millions de volailles et est responsable de la mort d’une soixantaine de personnes depuis son apparition dans cette région du monde, fin 2003. Par rapport au nombre de victimes (officiellement) déclarées infectées par le virus, le taux de mortalité chez l’homme en Asie est mathématiquement de 51 % (voir tableau). Les malades sud-asiatiques ont été contaminés par les volailles. Pour le moment, aucun cas de contamination interhumaine n’est rapporté et scientifiquement prouvé, même si deux ou trois cas “douteux” sont évoqués.

La recombinaison entre virus grippaux animaux et humains est la plus inquiétante

Pourquoi cette inquiétude grandissante aujourd’hui d’un risque de pandémie chez l’homme ? La raison principale est que le virus H5N1 reste plus que jamais endémique chez les volailles en Asie du Sud-Est. En outre, son apparition en Russie le “rapproche” dangereusement de l’Europe, attisant les craintes. Une telle circulation endémique en Asie est problématique, car elle augmente les risques de recombinaison et de mutation du virus.

Le virus grippal aviaire H5N1, que l’homme peut contracter, est en effet susceptible de se recombiner avec un virus humain classique de grippe saisonnière, aboutissant à un virus “nouveau”, non reconnu par le système immunitaire et contre lequel l’organisme serait incapable de se défendre.

L’espèce porcine constitue un autre facteur de risque non négligeable. Les porcs peuvent en effet être contaminés à la fois par des virus grippaux A aviaires et humains, sans forcément exprimer de symptômes. Certains de ces virus humains et aviaires s’adaptent à cet animal, puis circulent ensuite dans les populations porcines. Le risque lié à une telle circulation simultanée des virus aviaires, humains et porcins est la production d’échanges de matériel génétique entre les différents virus. Ce réassortiment génétique peut à son tour aboutir à un nouveau virus grippal, transmissible du porc à l’homme.

Le scénario le plus inquiétant prend en compte le potentiel pandémique de ces virus recombinés, contre lesquels l’homme ne serait pas protégé et qui auraient une capacité de diffusion dans l’espèce humaine. La fabrication d’un vaccin adapté demande six mois de travail au minimum et sa production industrielle à grande échelle exige plusieurs mois supplémentaires.

En Asie, cette possibilité de recombinaison est non négligeable au vu des particularités locales de l’élevage. Les exploitations sont en majorité de type familial, multiples, et les espèces animales et humaines se côtoient de façon rapprochée.

Les conséquences de la mutation du virus sont tout aussi imprévisibles

L’autre crainte des spécialistes est que le virus aviaire H5N1 mute en une forme transmissible d’homme à homme. Pour le moment, depuis le temps qu’il circule en Asie, ce phénomène n’a pas été observé.

Selon Gilles Salvat, directeur de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) de Ploufragan, « si la mutation du virus est théoriquement plus probable qu’une recombinaison, nul ne peut affirmer qu’elle le rendrait davantage transmissible d’homme à homme ». « Toutefois, dans le cas d’une telle mutation, le monde serait peut-être mieux préparé à cette éventualité, explique notre confrère. En effet, depuis quelques mois, une société pharmaceutique développe un vaccin humain à partir d’une souche virale animale H5N1 isolée au Viêtnam l’année dernière, et plusieurs pays ont déjà passé leurs commandes. En cas de mutation du virus, il y a donc une petite chance d’espérer pouvoir bénéficier d’une protection croisée avec ce vaccin. »

Depuis le début de l’épizootie en Asie, l’OMS a toujours fait part de son inquiétude

Pour l’heure, si le risque théorique d’une pandémie chez l’homme existe, nul ne peut affirmer avec certitude qu’elle se produira effectivement ni, le cas échéant, à quel moment. Ce qui est certain, c’est qu’elle profitera des transports internationaux et qu’elle pourra se disséminer dans le monde via les voyageurs.

De son côté, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est toujours montrée alarmiste, répétant « qu’il ne s’agit plus de savoir si la pandémie humaine se produira, mais quand ». Plus récemment, l’un de ses experts déclarait « qu’un virus humanisé de la grippe aviaire devra pouvoir être circonscrit dans un délai de deux à quatre semaines après l’apparition du premier cas, faute de quoi il sera ensuite impossible à contenir ».

L’espoir d’un taux de mortalité surestimé chez l’homme est nourri

S’il est en quelque sorte “légitime” pour l’OMS d’être alarmiste, au regard de ses attributions, certains confrères de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) tiennent à relativiser ces craintes. « Depuis un peu plus de deux ans que le virus circule parmi les volailles en Asie, et compte tenu du degré élevé de promiscuité entre les personnes et les bêtes infectées, la transmission du virus à l’homme semble peu efficace, au regard du nombre de personnes contaminées. En outre, il n’a toujours pas été observé de phénomènes pouvant évoquer une recombinaison ou un glissement antigénique du virus. Il n’existe d’ailleurs pas d’études de probabilité d’apparition imminente de tels événements », explique notre confrère Jean-Luc Angot. D’après lui, le taux de mortalité humaine en Asie (51 %), calculé selon le nombre de décès par rapport au nombre de personnes officiellement déclarées infectées, est probablement surestimé. Dans cette région du monde, par exemple au Viêtnam, une multitude de petits villages sont parfois isolés et/ou difficilement accessibles. Il est donc probable que des cas de contamination humaine non suivis de décès (qui ne seraient pas passés inaperçus) aient pu ne pas être détectés et/ou déclarés.

Lors d’une conférence internationale sur la grippe aviaire, organisée à Paris par l’OIE en avril dernier, des experts ont évoqué quelque 1 000 cas de contamination humaine à cette date, alors que 112 seulement ont été recensés, ce qui diminue considérablement le taux de mortalité induit par le virus chez les humains.

Davantage de mobilisation pour enrayer la maladie à la base, dans les élevages

Encore une fois, si le risque théorique d’une pandémie humaine demeure, que faut-il faire en pratique pour le réduire, voire l’écarter ? Principe de précaution oblige, les dirigeants politiques rassurent la population. Masques de protection et médicaments antiviraux sont en cours de commande, mais en quantité encore insuffisante. Quant au vaccin prototype contre le virus H5N1, il ne sera peut-être que partiellement efficace si la souche mute. Si elle se recombine, il faudra attendre au moins six mois pour en mettre au point un nouveau et plusieurs mois de plus pour le produire.

Pour leur part, l’OIE et la Food and agriculture Organization (FAO) répètent, depuis le début, que la communauté internationale doit se mobiliser davantage pour aider à éradiquer la maladie au sein des élevages en Asie, ce qui réduirait le risque théorique pour l’homme. Notre confrère Bernard Vallat, directeur général de l’OIE, a insisté sur ce point sur les ondes de Radio France internationale, le 16 septembre dernier. Selon des études, environ 100 millions de dollars seraient nécessaires pour endiguer la maladie chez les volailles asiatiques. Cet argent permettrait d’indemniser leur abattage ou d’encadrer leur vaccination, de restructurer l’élevage, mais aussi les services vétérinaires, et de développer des laboratoires de diagnostic efficaces. Ce sont les points clés du contrôle de la maladie. L’OMS a estimé, le 20 septembre dernier, que la bataille mondiale lancée pour prévenir une possible pandémie humaine coûtera plus de 250 millions de dollars sur douze mois.

  • (1) Certains confrères ou consœurs préfèrent employer le terme de peste aviaire, en raison des symptômes plus septicémiques que respiratoires provoqués par le virus de l’influenza aviaire.

La grippe aviaire, un défi économique

Si nos politiques agissent effectivement dans le cadre de la protection de la santé publique, les mesures de prévention contre la grippe aviaire annoncées par le gouvernement (achat de masques, d’antiviraux, etc.) sont censées aussi protéger… l’économie française.

En effet, si une pandémie de grippe aviaire mortelle arrive en France, des scénarios catastrophes sont à envisager : interruption des liaisons aériennes avec les autres pays ; interdiction des transports en commun, des réunions sportives ou festives ; fermeture des établissements scolaires, des cinémas, etc. Il faudra aussi gérer la ruée vers les hôpitaux.

Une étude, effectuée par l’Institut national de veille sanitaire en 2004, prévoit qu’en cas de pandémie dans l’Hexagone, et en l’absence d’intervention précoce, 91 000 à 212 000 décès seraient à déplorer. L’effectif de personnes contaminées en fin d’épidémie varierait de 9 à 21 millions, avec 455 000 et 1,1 million de patients à hospitaliser. Or la structure hospitalière actuelle n’y suffirait pas.

Un système de maintien des malades à domicile serait alors indispensable.

Selon d’autres simulations, beaucoup de gens refuseront d’aller travailler de peur d’être contaminés. Le recours au télétravail sera alors d’actualité. Seul le commerce électronique pourrait ainsi connaître un essor, au détriment des industries aériennes, touristiques, agro-alimentaires ou encore des compagnies d’assurances, de l’immobilier, etc.

Nathalie Devos

Pour en savoir plus

Des informations et des recommandations sont en ligne sur plusieurs sites Internet, notamment pour les personnes exposées, c’est-à-dire les voyageurs se rendant dans des pays infectés par la grippe aviaire et ceux qui, dans un cadre professionnel, doivent aller dans un élevage de l’un de ces pays.

• http://www.afssa.fr (Agence française de sécurité sanitaire des aliments).

• http://www.sante.gouv.fr (ministère de la Santé).

• http://www.agriculture.gouv.fr (ministère de l’Agriculture).

• www.invs.sante.fr (Institut national de veille sanitaire).

• http://www.cimed.org (Comité d’informations médicales).

• www.oie.int (Organisation mondiale de la santé animale).

• www.who.int (Organisation mondiale de la santé).

• www.diplomatie.eu.int (ministères des Affaires étrangères).

Nathalie Devos
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