La reproduction des espèces marines est affectée par l'évolution de l'environnement océanique

En Antarctique, depuis les dernières décennies, la reproduction des éléphants de mer, des fulmars antarctiques, des pétrels des neiges et des manchots empereurs subit des variations périodiques liées à celles qui sont apparues dans le climat de cette région du monde, comme le montrent des études publiées récemment⁽¹⁾. Ce constat est important, parce que les mammifères marins et les oiseaux de mer sont des superprédateurs, situés au sommet de leurs chaînes alimentaires. Ils servent d'indicateurs majeurs pour apprécier les changements dans l'environnement océanique.

La taille des populations a fluctué de 1962 à 2002, avec une périodicité de trois à cinq ans

Les modifications climatiques sont notamment illustrées par les anomalies de l'oscillation australe et de son corollaire El Niño⁽²⁾. Elles induisent habituellement, en Antarctique, une élévation des températures à la surface de la mer et une contraction du champ des glaces flottantes. Ces phénomènes ont des effets négatifs sur la productivité primaire, laquelle détermine la chaîne alimentaire, et en particulier sur l'abondance du krill qui est une ressource pour de nombreux prédateurs. Il a donc été montré, en Terre Adélie, que la taille des populations et le succès reproductif de ces trois espèces d'oiseaux ont fluctué, de 1962 à 2002, avec une périodicité de trois à cinq ans, la même que celle de l'indice de l'oscillation australe, la même également que celle du champ des glaces flottantes. Mais cette périodicité représente une moyenne. En fait, d'une année sur l'autre, des variations significatives ont été enregistrées pour chacune des trois espèces. En outre, à partir de 1980, ces cycles ont été largement perturbés. Cela traduit l'impact des nouvelles inflexions climatiques qui sont alors appararues : des valeurs négatives prolongées pour l'oscillation australe, une décrue du champ de glaces flottantes etune élévation du niveau des températures pour l'Antarctique dans son ensemble.

Les auteurs suggèrent que la dynamique de population des trois espèces a bien été influencée par les changements de leur environnement. Le faible succès reproductif de certaines années s'expliquerait par une diminution des ressources alimentaires. La population de manchots empereurs a notamment largement chuté de 1975 à 1980.

L'abondance alimentaire est déterminante pour la survie des jeunes éléphants de mer

Pour les éléphants de mer, la survie des jeunes lors de la première année est largement conditionnée par leur état physique, lequel est tributaire des ressources que la mère aura pu consacrer à la gestation et à la lactation. L'abondance des proies est ainsi un critère déterminant (comme chez les oiseaux). Des éléphants de mer de Ross ont fait l'objet d'une étude de 1993 à 1999. Elle constate que la survie des jeunes est plus importante durant les cycles El Niño de 1993-1994 et 1996-1997, ce qui semble contradictoire puisque ce phénomène s'exerce au détriment de la chaîne alimentaire et des ressources. Cela tient au fait que El Niño n'intervient pas de façon uniforme. Dans la mer de Ross (Antarctique), où cette étude a eu lieu, c'est au contraire une extension du champ des glaces flottantes (favorisant la prolifération du phytoplancton, donc bénéfique pour l'ensemble de la chaîne alimentaire) qui a été constatée, sans qu'il soit possible de l'expliquer précisément.

Cette anomalie n'est pas la seule. L'évolution actuelle de la calotte glaciaire antarctique, en particulier, est contrastée. Cette masse de glace s'épaissit à l'est du continent et s'amincit à l'ouest. Une autre tendance est constatée. Elle concerne les augmentations de température subies par les eaux antarctiques depuis plusieurs années, qui sont supérieures à celles observées dans le reste du monde.

Le réchauffement de la zone australe est à l'œuvre, mais les chaînes de causalité restent difficiles à évaluer. En attendant, la chaîne alimentaire subit les effets de ces perturbations.

• (1) S. Jenouvrier et coll. : « Evidence of a shift in the cyclicity of Antarctic seabird dynamics linked to climate » ; C. McMahon et H. Burton :« Climate change and seal survival : evidence for environmentally mediated changes in elephant seal, Mirounga leonina, pup survival », Proceedings of the Royal Society B, n° 272, 2005.

• (2) Quand l'oscillation australe est positive, les interactions atmosphère-océan sont normales. Quand elle est négative, un dérèglement se produit : El Niño. Ce phénomène se produit tous les trois à sept anset engendre de graves perturbations climatiques, avec d'importantes conséquences économiques et écologiques.