L'âne est un équidé, mais son comportement n'est pas celui d'un petit cheval - La Semaine Vétérinaire n° 1193 du 10/09/2005
La Semaine Vétérinaire n° 1193 du 10/09/2005

Particularités physiologiques, pathologiques et thérapeutiques des ânes

Formation continue

ÉQUIDdÉS

Auteur(s) : Sophie Paul-Jeanjean

Les ânes sont à la mode. Leur nombre est en constante augmentation et, par conséquent, les praticiens sont de plus en plus sollicités pour soigner ces équidés d'un autre genre. Leur approche est en effet spécifique.

Les ânes et les mulets ne sont pas de petits chevaux », déclare notre consœur Gigi Kay qui travaille en Afrique du Nord et connaît bien ces animaux et leurs maladies, liées souvent à leurs conditions de vie difficiles. Les problèmes sont en revanche différents dans nos pays où l'abondance est la règle.

L'examen clinique réussi des ânes et des mulets dépend en grande partie de la compréhension de leur comportement (réponse face à la peur, au stress et à la douleur).

L'âne reste prostré face à la douleur, même lors d'affection grave

La plupart des ânes et des mules, en Europe, appartiennent à des particuliers souvent inexpérimentés. De ce fait, l'examen clinique de l'animal peut être frustrant, voire dangereux : si l'âne stressé s'immobilise souvent dans une attitude figée, en revanche la mule peut rapidement devenir agressive et violente.

La douleur, toujours difficile à évaluer chez l'animal malade, l'est particulièrement chez l'âne qui ne l'exprime pas du tout comme le cheval. Il demeure en effet stoïque face à la souffrance : un âne en colique ne se roule pas, ne gratte pas du pied, mais reste le plus souvent immobile dans un coin, sans manger, la tête basse, avec une fréquence respiratoire augmentée. Il est ainsi difficile pour le praticien non expérimenté de juger de la gravité d'une affection chez l'âne.

La contention de la mule est identique à celle du cheval. Pour l'âne, mieux vaut lui tenir la tête, voire employer le tord-nez et les entraves. La tranquillisation s'effectue aux mêmes posologies que chez le cheval (détomidine, romifidine). En revanche, chez la mule, il convient souvent d'utiliser des doses plus élevées (par exemple Domosédan® jusqu'à 1,5 ml par voie intraveineuse pour un animal de 250 kg).

Du fait de signes cliniques plutôt discrets chez ces équidés, le praticien devra rechercher des changements assez subtils. Il faudra notamment vérifier l'appétit en leur présentant du sucre ou des carottes. Il est intéressant de noter que la température de l'âne peut baisser d'un ou deux degrés le matin (36 ou 36,5 °C) et remonter dans la journée. La fréquence cardiaque de base est plus élevée chez ces deux espèces (38 à 48 bpm). Ces animaux sont aussi bien adaptés à la privation d'eau : ils peuvent rester plusieurs jours sans boire et sans présenter de troubles particuliers. Les affections gastro-intestinales sont fréquentes, moins expressives que chez le cheval, mais plus difficiles à gérer. L'examen transrectal est souvent impossible, le sondage naso-œsophagien provoque une hémorragie dans 25 % des cas. Néanmoins, les principes de traitement sont les mêmes.

L'examen orthopédique est plus difficile que chez le cheval, voire utopique

Les ânes et les mules vivent plus longtemps que les chevaux. En Europe, les ânes atteignent régulièrement cinquante ans et la gériatrie prend toute son importance. Dans ce cadre, l'examen et les soins de la cavité buccale sont essentiels.

L'examen orthopédique est en revanche une gageure ! Les ânes renâclent souvent à trotter en ligne droite et la longe peut se révéler un exercice utopique… Ces animaux sont également résistants à la douleur d'origine myosquelettique. Si les anesthésies loco-régionales sont envisageables, elles sont difficiles à réaliser concrètement (volumes d'anesthésiques nécessaires variables, fibrose périarticulaire fréquente). En outre, la réponse à la pince exploratrice est souvent décevante.

Les affections respiratoires chez les ânes enfermés ou qui travaillent dans les pays en voie de développement sont fréquentes. Cela pourrait être lié à l'infestation importante de cette espèce par Dictyocaulus arnfieldi, un parasite considéré comme non pathogénique chez les ânes sédentaires. Les troubles dermatologiques sont également légion (ectoparasites et sarcoïdes).

L'âne présente également des particularités cardio-respiratoires

Bien que domestiqué depuis des siècles et cohabitant depuis de nombreuses années avec l'homme, l'âne a rarement fait l'objet de recherches scientifiques. Notre consœur Véronique Delvaux, de la faculté de Liège, a comblé en partie cette lacune en étudiant les spécificités de la fonction cardio-respiratoire des ânes. Ainsi, les paramètres en hématologie sont similaires à ceux du cheval. La mesure des gaz sanguins artériels, l'échocardiographie et la radiographie thoracique mises en œuvre chez le cheval sont applicables à l'âne. Toutefois, la mécanique ventilatoire semble peu performante chez cet équidé. Il s'agit d'un animal moins sportif, capable d'effectuer des efforts d'intensité faible à moyenne qu'il peut néanmoins soutenir sur une durée assez longue.

Les prises de sang sont en outre plus difficiles à réaliser chez les ânes : la gouttière jugulaire est peu marquée, la peau est épaisse et dure et il est donc souvent utile de raser les poils au niveau du site de ponction. Il convient également de tenir compte des particularités anatomiques lors de la réalisation d'un examen endoscopique (plus délicat) des voies respiratoires : le récessus du pharynx est profond, l'axe du pharynx est incliné vers l'arrière et l'œsophage est pigmenté de noir chez certains individus.

Par ailleurs, le cheval peut cohabiter avec l'âne à condition d'établir un programme de vermifugation adapté, car l'âne peut éliminer des larves de dictyocaules sans modification de la formule leucocytaire du liquide de lavage trachéal.

Les affections des pieds sont souvent liées à l'environnement et à l'alimentation

Les affections et les soins du pied sont aussi particuliers. Selon Michael Crane, qui exerce dans une clinique exclusivement dédiée aux ânes, les affections observées sont dues en partie à un environnement humide et à une alimentation trop riche par rapport aux besoins limités de ces animaux. Le pied de l'âne présente plusieurs particularités comme un sabot plus haut, des talons développés, une sole plus étroite, une fourchette plus saillante. Sa corne est plus résistante, mais se déforme davantage que chez le cheval. Un parage régulier est donc à effectuer toutes les six à douze semaines, car les abcès de pied sont fréquents, ainsi que les problèmes de fourbure dus à une alimentation trop énergétique, à l'obésité, aux maladies systémiques, etc. Les symptômes sont alors classiques : répugnance à marcher, décubitus prolongé, douleur podale et pouls digité, report du poids sur l'arrière main, augmentation des fréquences cardiaque et respiratoire. Le traitement est alors le même que chez le cheval.

Un syndrome particulier à l'âne, appelé la maladie chronique du pied, regroupe en outre différentes entités pathologiques (maladie de la ligne blanche, onychomycose, fourbure chronique). Le traitement de cet état particulier nécessite de prendre en considération les facteurs prédisposants et de parer toutes les parties nécrosées du pied.

Les médicaments destinés spécifiquement à l'âne font défaut

Peu de médicaments possèdent une autorisation de mise sur le marché (AMM) validée pour l'espèce asine et, par conséquent, l'information sur les posologies et le rythme d'administration manque. La pharmacodynamique est pourtant différente : chez l'âne, en général, la demi-vie est diminuée, la clairance augmentée, le volume de distribution moindre. Ces animaux possèdent une capacité plus élevée à métaboliser certains médicaments, ce qui les rend parfois inefficaces ou nécessite des dosages adaptés.

  • Article réalisé d'après les conférences présentées lors des journées annuelles de l'Association vétérinaire équine française (Avef) à Pau, en octobre 2004.

CONFÉRENCIERS

Gigi Kay, vétérinaire diplômée au Royaume-Uni, responsable de la Society for the Protection of Animals Abroad (Spana).

Véronique Delvaux, faculté vétérinaire de Liège (Belgique).

Michael Crane, praticien au Donkey Sanctuary, Devon (Angleterre).

VOIR AUSSI

• N. Matthews, T. Taylor : « Les particularités de l'anesthésie de l'âne », Pratique Vétérinaire Equine, 2003, vol. 35 (anesthésie et analgésie du cheval), p. 55.

• V. Delvaux, N. Kirschvink, H. Amory, V. Busoni, T.Art, P. Lekeux : « Spécificités de la fonction cardio-respiratoire de l'âne », Pratique Vétérinaire Equine, 2001, vol. 33, n° 129, pp.21-28.

• M. Henry : « Quelques caractéristiques de la reproduction des ânes », Pratique Vétérinaire Equine, 2001, vol. 33, n° 129, pp. 11-20.

• Thème sur l'âne du numéro de Pratique Vétérinaire Equine, décembre 2005, à paraître.

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