Les bonnes pratiques de l'antibiothérapie passent aussi par des conférences de consensus - La Semaine Vétérinaire n° 1192 du 03/09/2005
La Semaine Vétérinaire n° 1192 du 03/09/2005

Qualité des soins et recommandations

Formation continue

Filières

Auteur(s) : Catherine Bertin-Cavarait

L'élaboration de protocoles thérapeutiques partagés permet d'acquérir une crédibilité collective vis-à-vis des filières et des consommateurs, en particulier dans les contextes de crise.

Les évolutions des contextes réglementaire, sociétal, scientifique, professionnel ou encore économique sont au cœur des préoccupations des vétérinaires quant aux bonnes pratiques de la prescription d'antibiotiques.

La problématique se pose également en médecine humaine. Aussi le docteur Patrick Germaud a-t-il présenté l'expérience acquise en matière d'élaboration de recommandations destinées à prévenir l'apparition d'antibiorésistances, le 9 juin dernier à Plérin (Côtes-d'Armor). Ce praticien hospitalier en pneumologie, responsable de l'unité fonctionnelle d'endoscopie thoracique du CHU de Nantes, est intervenu devant les adhérents de l'Association des vétérinaires salariés de l'Ouest (Avso), de l'Association française de médecine vétérinaire porcine (AFMVP) et de la section “porcs” de la Société nationale desgroupementstechniquesvétérinaires (SNGTV). A travers sa connaissance de l'élaboration et de l'utilisation de recommandations relatives aux traitements antibiotiques des pneumonies, il a mis en exergue les points clés de l'emploi de la méthode des conférences de consensus (voir encadré).

Un enjeu de santé publique et un enjeu économique coexistent

« Un consensus est rendu nécessaire par l'existence de difficultés rencontrées sur trois points : des sujets importants et sensibles, des sujets liés à l'existence de controverses dans la pratique courante, et la présence d'un enjeu économique », a expliqué Patrick Germaud en préambule.

Il s'est appuyé sur l'exemple des infections respiratoires que sont les pneumonies. Elles constituent la première cause de décès par infection en France, ce qui en fait un réel problème de santé publique. En outre, les infections respiratoires sont la raison majeure de l'utilisation des antibiothiques en médecine humaine. Il s'agit donc d'un enjeu économique important.

En 1981, face à l'arrivée des nouvelles molécules et aux prescriptions irrationnelles et excessives de certains médecins, les premières recommandations relatives au choix des méthodes de diagnostic et de l'antibiotique de première intention lors d'infections respiratoires non sévères en ville, issues des sociétés savantes*, ont été émises. En 1991, il a fallu aller plus loin. En effet, l'épidémiologie bactérienne et les résistances aux antibiotiques avaient évolué (voir graphique en page 51), de nouveaux antibiotiques étaient apparus. Il devenait nécessaire de définir les critères d'un diagnostic positif et d'évaluer la gravité des cas cliniques pour comprendre quel malade il convenait d'hospitaliser et éviter ainsi les décès.

Les experts répondent à des questions pertinentes et fermées

Une conférence de consensus a donc été mise en place à l'initiative de la Société de pneumologie infectieuse de langue française (SPILF), avec la participation d'autres sociétés savantes.

Le principe de la conférence de consensus repose sur la réunion d'un jury sélectionné qui, de façon publique, écoute des experts présenter les données disponibles, en réponse à des questions précises. Le jury réalise ensuite un bilan des acquis et rédige un rapport afin d'émettre des recomman­dations qui seront largement diffusées. La réponse apportée est collective. La diffusion des recommandations est suivie d'une évaluation de leur impact sur les pratiques (voir schéma ci-dessus). Le comité d'organisation, nommé par les sociétés savantes, a en charge le libellé des questions (six au maximum). Il est impératif qu'elles « soient limitées aux préoccupations les plus urgentes et bien fermées », a insisté Patrick Germaud. Pour y répondre, les experts et les membres du groupe bibliographique exposent au jury l'état des connaissances scientifiques et des pratiques.

Le groupe bibliographique extrait de l'ensemble des banques de données existantes (Medline, Pascal, Cohrane, sommaires de revues, autorisations de mise sur le marché, commissions de transparence) les informations en rapport avec les questions ciblées. Il est donc nécessaire de disposer d'informations scientifiques publiées d'un niveau suffisamment élevé sur le thème traité pour que le résultat puisse être considéré comme indépendant du seul jugement subjectif du jury de la conférence.

L'evidence based medicine conditionne le niveau de preuve

Se pose le problème des “vieux” antibiotiques, pour lesquels il n'existe pas ou peu de données bibliographiques, voire aucun essai de puissance suffisante. Ainsi, en 1991, les cyclines ont été éliminées des recommandations de traitement des pneumonies communautaires faute d'essais randomisés.

En effet, la littérature conditionne le niveau de preuve, par l'attribution de scores selon la méthodologie utilisée. Ils déterminent la force des recommandations rédigées par le jury. Le niveau 1 est attribué aux essais comparatifs randomisés de forte puissance, aux méta-analyses d'essais randomisés. Le niveau 2 correspond aux essais comparatifs randomisés de faible puissance, aux études comparatives non randomisées de qualité et aux études de cohorte. Le niveau 3 s'applique aux études cas-témoin et le niveau 4 aux études comparatives avec biais, rétrospectives, séries de cas, et aux études épidémiologiques descriptives.

La force d'une recommandation est définie par un grade. Le grade A correspond à une preuve scientifique établie, le B à une présomption scientifique et le C à un faible niveau de preuve scientifique, avec un accord professionnel fort.

Cette méthodologie correspond au concept de médecine factuelle, ou evidence based medicine (EBM, médecine fondée sur des données probantes ou sur des preuves), c'est-à-dire à l'utilisation consciencieuse et judicieuse des meilleures données actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de chaque patient.

L'impact des recommandations fait l'objet d'une évaluation

La méthode des conférences de consensus comporte une mesure de l'impact et une évaluation des modifications des pratiques.

La capacité de ces conférences à atteindre leur cible est parfois mise en doute par l'évaluation. En effet, la modification des pratiques n'est pas induite par le seul fait de la diffusion de recommandations. Patrick Germaud a souligné l'écart qui existe entre la pratique des experts et celle des médecins généralistes : « Les praticiens hospitaliers examinent 5 à 10 % des pneu­monies vues par les médecins généralistes. Ils ne voient donc pas les mêmes cas cliniques. » L'adhésion des professionnels exige une réelle pertinence des thèmes, un consensus solide et clair, afin que les consensus soient de véritables aides à la décision.

« Il est également nécessaire de réaliser un travail de simplification des recommandations. Elles sont parfois trop complexes pour être utilisables dans la pratique quotidienne des médecins, a expliqué Patrick Germaud. La participation de généralistes à des conférences de consensus et/ou à des groupes de relecture serait un plus quant à la lisibilité et à la praticité des recommandations. Il faut également permettre qu'elles puissent être ajustées à des pratiques spécifiques. Par exemple, j'ai actualisé les recom­man­dations pour les internes du service, en appliquant l'EBM, bien entendu. Il est indispensable d'apporter la preuve scientifique et le niveau de preuve requis. »

En médecine vétérinaire, il semble évident que les éleveurs doivent être associés à l'élaboration des recommandations.

Les recommandations des conférences de consensus font office de garde-fous

Pour notre confrère Jean-Michel Fabre, de la société Phylum, l'intérêt de la conférence de consensus est indéniable. L'élaboration de protocoles thérapeutiques partagés permet d'acquérir une crédibilité collective vis-à-vis des filières et des consommateurs, en particulier dans les contextes de crise, de bénéficier d'un cadre collectif reconnu par tous, image de professionnalisme. Les limites sont liées à celles de la méthode elle-même, aux craintes de l'amalgame entre recommandations et recettes, aux appréhensions de ne pas pouvoir se différencier entre vétérinaires, de voir ses capacités d'adaptation bridées.

Autre continent, autres pratiques ? Brigitte Boucher, vétérinaire en production porcine au Québec et présidente de l'Association des vétérinaires en industrie animale, a présenté la bonne pratique de l'utilisation des antibiotiques en élevage porcin au Canada, via l'utilisation, non derecommandations, maisdel'approche HACCP (hazard analysis and critical control point).

  • * Une société savante procède, pour une part plus ou moins large de son activité, à des recherches originales qui aboutissent à des publications de valeur scientifique. La Société de pneumologie infectieuse de langue française (SPILF) en fait partie.

  • ** Le document « Les conférences de consensus, bases méthodologiques pour leur réalisation en France » est téléchargeable sur le site de l'ANAES (). Des exemples de questions et de recommandations peuvent être consultés sur les sites et

Conférence de consensus, histoire et objectifs

La conférence de consensus est une méthode qui fait partie des actions menées afin d'établir un bilan de l'état de la science susceptible d'aider les décideurs, qu'ils soient cliniciens ou politiques.

La première conférence a vu le jour en 1977 aux Etats-Unis. La méthode a été diffusée en Europe à partir de 1980. Jusqu'en 1996, les sociétés savantes ont été les promoteurs des conférences de consensus.

A partir de 1996, une ordonnance a confié à l'Association française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) la mission d'établir et d'actualiser des recommandations de bonnes pratiques selon la méthodologie validée par l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES)**. Le thème à traiter est obligatoirement limité. Lorsque celui-ci est vaste, la méthode à utiliser est celle des recommandations pour la pratique clinique (RCP). Dans ce cas, il ne s'agit pas de résoudre une controverse.

C. B.-C.
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