DOSSIER
Auteur(s) : ÉLODIE GOFFART
Établis selon les besoins de l’espèce, le fonctionnement et la disposition des yeux privilégient le champ de vision, sa précision ou encore son efficacité dans le noir.
Que voit mon animal ? » Qui n’a jamais entendu cette question de la part d’un client. Car la vision intrigue et passionne les propriétaires d’animaux, qui se rendent bien compte que leur petit compagnon n’appréhende pas le monde comme eux et qui aimeraient pouvoir se mettre à leur place ! La vision est très variée dans le règne animal. Elle suit la règle d’être adaptée au milieu et au mode de vie des espèces. Distinguer des détails, des formes, des couleurs, des reliefs, des mouvements… dépend des besoins de l’animal et d’une caractéristique majeure : est-il prédateur ou proie ?
Chez les vertébrés, l’œil est dit camérulaire (comme caméra). Il est composé d’un segment antérieur, qui produit l’image (c’est l’optique de l’œil), et d’un segment postérieur, qui l’interprète (c’est la vision).
La lumière traverse la cornée (surface externe transparente de l’œil), puis elle est concentrée par le cristallin (la lentille transparente au milieu de l’œil). Cette image inversée vient s’imprimer sur la rétine avant d’être transférée par le nerf optique au cerveau, qui analyse l’image. Les récepteurs de la rétine qui sont stimulés par la lumière sont les photorécepteurs. Il en existe deux sortes : les cônes et les bâtonnets. Les premiers sont utiles lors de lumière diurne (de jour) et permettent la vision des couleurs. Les seconds, 500 fois plus sensibles, interviennent en cas de faible luminosité (la nuit). Plus les bâtonnets sont allongés, plus ils sont sensibles.
La sensibilité de l’œil est définie par sa capacité à déceler de faible quantité de lumière. Plus un animal vit dans un milieu peu lumineux (espèces nocturnes, par exemple), plus il a besoin d’avoir un œil sensible. Chez ces individus, la rétine est donc majoritairement, voire exclusivement composée de bâtonnets. Parfois même, ceux-ci sont empilés en couches successives. C’est le cas notamment des poissons des grandes profondeurs océaniques. Les animaux qui vivent dans des milieux très sombres (grottes ou sous terre) peuvent même voir leur œil complètement disparaître !
Au fond de l’œil, le tapis est une structure particulière d’adaptation à la vision en basse luminance. En effet, les cellules pigmentaires de la rétine, riches en mélanine (pigment sombre), stoppent et capturent les photons (particules de lumière) qui n’ont pas stimulé les photorécepteurs. En cas de forte lumière, cela empêche la pollution du signal lumineux et favorise la production d’un signal clair et interprétable par le cerveau. Mais lorsqu’il y a peu de lumière, les photons sont rares et il est nécessaire de les exploiter au maximum. Au niveau du tapis, qui ne contient pas de mélanine, le photon n’est donc pas absorbé. Il rebondit, au contraire, pour un deuxième passage dans la rétine, doublant les chances de stimuler un photorécepteur. Ce mécanisme améliore la vision nocturne. Le tapis est différent selon les espèces. Chez les carnivores, il est le plus efficace : les cellules du tapis contiennent des pigments réfléchissants d’excellente qualité, composant un véritable miroir.
L’acuité visuelle représente la capacité à distinguer les petits détails dans le champ visuel. Les cônes sont pour cela les photorécepteurs les plus efficaces. Un animal qui a besoin de voir des détails sera donc doté d’une rétine très riche en cônes. Chez l’homme et quelques animaux, la rétine contient une zone caractérisée par une concentration maximale de cônes : la macula. D’un diamètre d’environ 5,5 cm, celle-ci se situe au fond de l’œil dans l’axe de la pupille. Et en son centre, la fovéa, entièrement composée de cônes serrés les uns contre les autres, est la zone d’acuité maximale de l’œil, c’est-à-dire celle qui procure la vision la plus précise en éclairage diurne.
Les cônes permettent aussi la vision des couleurs. La lumière blanche se décompose en effet en couleurs, dont trois de base, dites fondamentales : le bleu, le vert et le rouge. C’est différent en peinture ou en imprimerie, où les pigments de base sont le bleu (cyan), le jaune et le rouge (magenta). Les cônes sont sensibles aux longueurs d’ondes colorées. Chacun n’est sensible qu’à une seule longueur d’onde fondamentale : bleue, verte ou rouge. L’intensité de la couleur baisse avec la luminosité, pour disparaître dans les basses luminances : on peut donc effectivement dire que “la nuit, tous les chats sont gris” ! Si un animal possède des cônes sensibles aux longueurs d’onde bleues, il est dit monochromate bleu, et il voit le bleu et toutes les teintes avoisinantes. Si la rétine comporte également une série de cônes sensibles au vert, l’espèce devient dichromate, et sa vision ajoute tous les camaïeux de verts aux bleus. Enfin, quelques espèces possèdent également une série de cônes sensibles au rouge. Elles sont trichromates, capables de discerner toutes les couleurs.
La vision des couleurs est une caractéristique plutôt peu fréquente dans le règne animal. L’homme est un très rare mammifère trichromate, alors que cette performance est plus souvent rencontrée chez les oiseaux, les reptiles et les poissons. Les espèces nocturnes, dont la rétine ne contient que des bâtonnets, perçoivent le monde en noir et blanc : c’est le cas du lapin, du rat et de la souris, par exemple.
La plupart des animaux possèdent deux yeux, chacun ayant son propre champ de vision (environ 150 degrés pour l’homme). Leur position sur la tête détermine un champ de vision global (la somme des champs de vision des deux yeux) et un champ de vision binoculaire, dans lequel les deux yeux sont utilisés en même temps. La vision binoculaire présente de nombreux avantages : de meilleure qualité, elle rend possible l’appréciation des distances et des reliefs.
Les animaux qui sont des proies doivent pouvoir surveiller leur environnement, afin d’anticiper la venue d’un prédateur. Leurs yeux, placés sur les côtés de la tête, leur offrent un champ de vision le plus grand possible : il est panoramique. C’est le cas des herbivores (grands et petits) et des lapins. Ce dernier est le champion du monde du champ visuel. En effet, grâce à ses yeux ressortis et très latéraux, son champ visuel est vraiment spectaculaire, quasiment de 360 degrés. Ainsi, il est illusoire de vouloir attraper un lapin par-derrière, sous prétexte de le surprendre, il vous verra forcément arriver ! Le cheval également, grâce à son champ visuel extrêmement large, peut voir la tête, les bras et les jambes de son cavalier. Cette caractéristique explique son comportement parfois très craintif, et l’utilisation ancestrale des œillères pour mieux contrôler les écarts du cheval d’attelage. Les prédateurs, eux, ont plutôt leurs yeux placés sur le devant de la tête, leur apportant ainsi une vision binoculaire, plus précise et en relief, mais réduisant leur champ de vision. Pour chasser, il est indispensable de voir précisément ce que l’on fait ! C’est le cas des rapaces, des carnivores et des serpents. Les primates ont également les yeux orientés vers l’avant, car ce sont des animaux qui ont besoin d’apprécier les distances, pour se nourrir (attraper un fruit) ou fuir un danger. Certains animaux cumulent les avantages. Le caméléon, par exemple, possède des yeux indépendants pouvant se déplacer dans toutes les directions, ce qui lui procure un champ visuel extraordinaire. Mais il peut également faire converger ses yeux sur un seul objet, ce qui lui permet de chasser efficacement grâce à une excellente vue de près.
Les poissons vivent dans l’eau, ce qui implique des modifications de la morphologie globale de l’œil : la cornée est plate et le cristallin est énorme et sphérique. Certaines espèces qui plongent rapidement à une grande profondeur ont un œil extrêmement rigide, afin de résister aux variations de pression. Le poisson voit net de près, mais doit accommoder pour voir de loin, à l’inverse des animaux aériens. En effet, l’eau est un mauvais conducteur de la lumière. Les pupilles des poissons ont des formes très originales en comparaison de l’éternelle forme circulaire de beaucoup d’animaux. Il est à noter que la majorité des espèces de poissons sont trichromates : leur vision des couleurs est complète et précise.
Les serpents en général ont une vision médiocre, surtout axée sur les mouvements, ce qui est utile pour chasser des animaux actifs. Leur acuité est mauvaise et ils ne voient pas les couleurs. En revanche, les lézards possèdent très curieusement une fovéa dans leur rétine, comme l’homme, et sont trichromates pour beaucoup, percevant ainsi parfaitement toutes les couleurs, comme leurs cousines les tortues.
La plupart des oiseaux volent. Leur vue est donc capitale puisqu’ils se déplacent dans un milieu en trois dimensions. L’œil prend alors une place très importante sur la tête : plus l’espèce doit chasser dans des conditions de luminosité mauvaises (rapaces nocturnes), plus l’œil devient énorme. Chez les rapaces, le globe oculaire occupe toute l’orbite. Il est immobile et réussit la performance exceptionnelle d’allier une bonne acuité et une bonne sensibilité. L’acuité visuelle peut atteindre des valeurs records : celle de l’aigle est cinq à sept fois supérieure à celle de l’homme, qui est pourtant déjà excellente. Certains oiseaux possèdent même non pas une, mais deux fovéas : une pour la visée monoculaire, et l’autre pour la visée binoculaire.
La pupille des oiseaux est toujours ronde, avec des mouvements qui peuvent être volontaires, ce qui permet à l’oiseau de modifier sa vision. Lorsque l’animal ferme sa pupille en myosis, il peut voir un détail précis à distance. Ouverte en mydriase, la vision sera plus large mais moins précise. Les couleurs de l’iris des oiseaux sont très vives et souvent magnifiques.
Toutes les espèces d’oiseaux qui ont été étudiées se sont révélées trichromates. Leur vision des couleurs est excellente et conditionne une grande partie de leur comportement, en particulier sexuel. Le dimorphisme sexuel est d’ailleurs très important chez les oiseaux. Les mâles ont souvent des plumes flamboyantes, car ils doivent séduire. Les femelles, au contraire, sont généralement fades (gris, marron), sauf chez les psittacidés (perroquets et apparentés). Les magnifiques couleurs des oiseaux qui nous enchantent tant sont donc autant de messages à l’attention des congénères de la même espèce, mâles ou femelles.
Les mammifères se caractérisent par leur diversité : animaux diurnes et nocturnes, proies ou prédateurs. Cependant, la plupart des yeux des mammifères sont surtout axés vers les performances de vision des mouvements, plutôt que l’acuité si spécifique à l’homme et aux grands singes. Cette capacité permet en effet au prédateur de détecter tout mouvement imperceptible du gibier, même à grande distance. Pour la proie, c’est l’assurance de repérer le prédateur qui approche, même sans bouger la tête, grâce à un champ de vision très large.
La contrepartie est que la vision globale est de médiocre qualité. Ainsi, par exemple, le chien a une vision floue. Il est capable de remarquer un homme qui approche, mais pas forcément précisément de qui il s’agit. C’est pour cela que le chien aboie parfois quand son maître vient vers lui, parce qu’il ne l’a pas reconnu. Si l’odeur de la personne lui parvient, ou s’il parle, le chien l’identifie plus vite. Ce sont ses autres sens qui compensent ainsi une vision imparfaite.
Il en est de même chez le chat, qui possède un champ de vision supérieur à 250 degrés, mais voit flou dès la distance de 1 mètre. En revanche, il voit plus net un objet en mouvement que le même objet immobile. Sa vision est excellente la nuit. Sa pupille se dilate au maximum, afin de tirer profit du moindre rayon lumineux. Le chat ne peut pas voir dans le noir absolu, mais la simple luminosité des étoiles lui suffit.
Beaucoup de mammifères comme les rongeurs ne possèdent que des bâtonnets et vivent donc dans un monde de noirs et blancs, avec toutes les nuances de gris. Et seul l’homme et les grands singes sont trichromates, capables de percevoir toutes les couleurs. Entre les deux, le chien et le chat sont comme les daltoniens : ils ne disposent pas des cônes sensibles au rouge. Ils voient un noir et blanc amélioré. Le cheval perçoit le vert, mais il n’y a pas de consensus pour le reste des couleurs. Quant aux bovins, ils sont eux aussi dépourvus de cônes sensibles au rouge. Le rouge ne stimule donc en rien la charge ou l’excitation d’un taureau ! D’ailleurs, le pelage des mammifères est peu coloré. La plupart des animaux sont noirs, blancs, gris ou marrons, au contraire des oiseaux ou des poissons.
Le site Alleyesonparis.com peut être conseillé aux personnes qui souhaitent se rendre compte de ce à quoi ressemble le monde vu par un chien, un chat, un faucon, un rat ou une abeille. Développé en partenariat avec les industries Dassault et des vétérinaires ophtalmologistes, il propose de se mettre à la place d’un animal place Vendôme à Paris. Il est amusant de changer de perspective.
Testant la vision d’animaux qui sont très familiers, comme le chat, le chien ou le rat, l’utilisateur est rapidement frustré en voyant le monde par leurs yeux. Leur vision est tellement inférieure à la nôtre ! Cela montre à quel point la vue est un sens bien moins indispensable à nos petits compagnons qu’à nous-mêmes. Sa perte est donc mieux vécue au quotidien. Un chien peut être devenu totalement aveugle sans que ses propriétaires ne s’en soient aperçus, si la perte a été lente. L’animal a mis en place des stratégies d’habitude et développé ses autres sens pour compenser. En cas de pathologie, l’énucléation fait souvent peur au propriétaire et peut être refusée bien que la seule alternative soit l’euthanasie. C’est pourtant une opération bien moins traumatisante pour un chien ou un chat que pour un humain. De même, la cataracte, systématiquement opérée chez l’homme, ne le sera pas chez les carnivores puisque le handicap qu’elle provoque n’est pas subi de la même manière. Connaître la vision du monde des animaux de compagnie permet ainsi à leurs propriétaires de comprendre les options thérapeutiques ou chirurgicales proposées par le vétérinaire en cas de maladie oculaire grave, et de prendre les meilleures décisions quant à la qualité et à l’espérance de vie de l’animal.
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Le cours de Didier Schmidt-Morand pour le diplôme d’État d’ophtalmologie vétérinaire a inspiré la réalisation de ce dossier.