Les résistances aux antibiotiques - Ma revue n° 104 du 01/12/2016 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 104 du 01/12/2016

DOSSIER

Auteur(s) : ÉLODIE GOFFART 

Traitements de choix des infections bactériennes, les antibiotiques sont victimes de leur succès. L’émergence de bactéries résistantes est une problématique majeure du xxi e siècle, qui justifie l’évolution des pratiques d’antibiothérapie chez l’homme et l’animal.

Sujet d’actualité s’il en est, la problématique des résistances aux antibiotiques fait la une des journaux et impacte le travail quotidien de tous les vétérinaires, quel que soit leur domaine d’activité, au moins depuis la mise en place du plan ÉcoAntibio 2017. L’ensemble du personnel vétérinaire doit prendre en compte ce problème de santé publique et devenir un relais de la prise de conscience du grand public, en particulier dans la communication qui est faite aux propriétaires d’animaux quant à l’utilisation raisonnée de cette classe de médicaments indispensable que sont les antibiotiques, et qu’il convient de ne pas dévoyer.

Les infections ne sont pas toujours bactériennes

Les antibiotiques sont prescrits en traitement de certaines maladies infectieuses, en fonction de l’agent pathogène en cause (bactérien uniquement).

Les agents infectieux sont des micro-organismes (virus, bactérie, prion, moisissure, parasite) qui provoquent une maladie chez l’animal avec lequel ils entrent en contact.

Un virus peut déclencher une maladie plus ou moins grave. La plupart des maladies virales sont contagieuses et se transmettent plus ou moins rapidement. La meilleure stratégie contre les virus est la prévention, qui passe par la vaccination quand un vaccin est disponible. En effet, il n’existe aucun traitement spécifique pour les virus. Les antibiotiques ne sont pas efficaces. Le traitement d’une maladie virale consiste alors à aider l’organisme à lutter lui-même contre le virus, afin qu’il s’en débarrasse seul, ce qui n’est pas toujours possible. Certaines classes de médicaments (l’interféron, par exemple) permettent à l’animal de sortir de la phase aiguë de l’infection, mais pas de le guérir.

Les bactéries pathogènes attaquent l’organisme, au contraire de celles dites saprophytes (ou commensales) qui le colonisent et vivent en harmonie avec lui. Le meilleur exemple de bactéries saprophytes est l’ensemble de la flore digestive, naturellement présente chez les mammifères, carnivores comme ruminants et même lagomorphes (lapins). Les bactéries pathogènes, en revanche, pénètrent dans l’organisme et causent des troubles plus ou moins sévères en se développant au détriment de celui-ci. Les symptômes de maladie bactérienne apparaissent alors. Les bactéries infectieuses peuvent être naturellement éliminées par les globules blancs. Mais, en cas d’insuffisance du système immunitaire, un antibiotique peut être prescrit.

Le prion est un agent pathogène de nature protéique, mais sans ADN. Le plus connu en médecine vétérinaire est l’agent de la maladie dite “de la vache folle” : l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Les antibiotiques ne sont pas efficaces sur les prions. Il n’y a d’ailleurs aucun traitement spécifique pour cette maladie.

Les bactéries : 10 000 espèces répertoriées

Le terme bactérie est un nom commun qui désigne certains organismes vivants microscopiques et procaryotes (sans noyau) présents dans tous les milieux. Leur taille est de quelques microns. Il existe environ 10 000 espèces connues et répertoriées à ce jour, mais on estime leur nombre total entre 5 et 10 millions. Chez l’homme comme chez l’animal, des millions de bactéries sont présentes sur la peau, dans les orifices naturels, l’intestin, etc. La plupart d’entre elles sont inoffensives ou bénéfiques pour l’organisme (les bactéries saprophytes précédemment évoquées). Il existe cependant aussi de nombreuses espèces pathogènes.

Les bactéries sont classées en fonction de trois caractéristiques principales :

- Leur forme : les bactéries sphériques sont appelées coques, alors que celles qui ont un aspect allongé ou en bâtonnets sont nommées bacilles.

- Leur coloration de Gram (du nom d’un bactériologiste danois qui mit au point le procédé en 1884). Elle s’obtient en plongeant la lame sur laquelle sont fixées les bactéries dans trois colorants successifs : violet de gentiane, lugol, éthanol. Les bactéries Gram - possèdent une paroi pauvre en peptidoglycanes et apparaissent roses. Les bactéries Gram + sont colorées en violet.

- Leur besoin en oxygène : les bactéries aérobies ont besoin d’oxygène pour se développer ; les anaérobies non.

Ces caractéristiques déterminent, entre autres, le choix de l’antibiotique prescrit.

La découverte des antibiotiques date de moins de 100 ans

Un antibiotique (du grec “anti”, signifiant “contre”, et “bios”, “la vie”) est une substance naturelle ou synthétique qui bloque la croissance des bactéries ou qui les détruit. Le premier antibiotique identifié fut la pénicilline. En 1928, Alexander Fleming, un médecin britannique, s’aperçut que certaines de ses cultures bactériennes, oubliées dans des boîtes, avaient été contaminées par les expériences de son voisin de paillasse étudiant le champignon Penicillium et que celui-ci inhibait leur développement.

La généralisation de l’utilisation des antibiotiques après la Seconde Guerre mondiale représente l’un des progrès thérapeutiques les plus importants du xxe siècle. Ces traitements ont fait augmenter l’espérance de vie de l’homme de plus de dix ans. Ils ont aussi contribué au développement des actes chirurgicaux en médecine humaine et vétérinaire, en réduisant le risque d’infections péri-opératoires.

Depuis 1945, de nombreuses familles d’antibiotiques, des plus anciennes aux plus récentes, et dont les mécanismes d’action diffèrent, ont été découvertes et répertoriées. Certains sont efficaces sur les bactéries Gram +, d’autres sur les Gram -. En outre, un antibiotique peut être bactériostatique (il inhibe la croissance des bactéries) ou bactéricide (il les tue). Ainsi sont déterminées, pour chacun d’entre eux, les familles de bactéries contre lesquelles ils agissent. Il s’agit du spectre d’activité de l’antibiotique. Une bactérie qui est inhibée ou détruite par un antibiotique est dite sensible à celui-ci.

Résistance et multirésistance aux antibiotiques

À leur découverte, les antibiotiques s’apparentaient à des médicaments miracles. En conséquence, ils ont été largement utilisés, en médecine humaine comme vétérinaire, depuis le milieu du siècle dernier, avec beaucoup d’efficacité. Plus récemment, les scientifiques se sont rendu compte que la sensibilité des bactéries évoluait au cours du temps. Ainsi, plus un antibiotique est utilisé en abondance, plus son efficacité diminue, car le nombre de bactéries qui y sont sensibles chute drastiquement. Les bactéries deviennent résistantes (c’est-à-dire insensibles) aux antibiotiques. Certaines souches sont même résistantes à tous les antibiotiques : on parle de multirésistance. Des bactéries qui ne posaient pas de difficulté de prise en charge il y a quelques années redeviennent alors mortelles, puisqu’aucun traitement ne peut en venir à bout. On estime, en 2016, que près de 158 000 infections par an chez les personnes sont dues à des bactéries multirésistantes et que ces dernières sont responsables de près de 12 500 décès par an.

Plusieurs modes de résistance

Le mécanisme de l’antibiorésistance peut être de deux principales sortes : chromosomique ou plasmidique. Dans le premier cas, le gène de résistance est localisé sur le chromosome de la bactérie. Ce n’est pas l’utilisation de l’antibiotique qui fabrique ce gène : il existe à l’état naturel dans la bactérie. Cependant, le fait d’utiliser l’antibiotique va éliminer les bactéries sensibles (non porteuses du gène). Et seules celles qui sont résistantes persistent et se multiplient. L’utilisation de l’antibiotique va donc favoriser la sélection de souches résistantes. Inversement, à l’arrêt du traitement, les populations bactériennes sensibles se multiplient à nouveau pour devenir progressivement dominantes (notamment au sein des flores commensales).

Dans le second cas, la résistance est portée par un plasmide : une molécule d’ADN libre dans le corps de la bactérie. Les plasmides sont de petite taille et s’échangent facilement entre bactéries. Une bactérie initialement sensible devient donc résistante à l’acquisition du plasmide de résistance. Du fait des flux de plasmides, la proportion de bactéries résistantes augmente progressivement au sein d’une même communauté bactérienne.

Réduire l’usage des antibiotiques

Cette problématique de résistance aux antibiotiques a été prise en compte par la société dans son ensemble dès le début des années 2000. Des réseaux spécifiques de surveillance de l’antibiorésistance en médecine humaine et vétérinaire ont été mis en place. La consommation des antibiotiques (quelles familles, dans quelles filières) est scrutée à la loupe. Car le premier moyen de lutter contre l’antibiorésistance est de réduire l’utilisation des antibiotiques.

En médecine humaine, l’usage des antibiotiques fait l’objet d’améliorations. En effet, la France est l’un des plus gros consommateurs d’antibiotiques en Europe. Les médecins de ville en prescrivent beaucoup, soumis à la pression des malades qui veulent guérir vite et qui pensent qu’un traitement idéal doit obligatoirement contenir un antibiotique !

Mais les habitudes de traitement des vétérinaires ont également progressé. En médecine canine, les antibiotiques étaient parfois prescrits “en couverture”, afin d’éviter une surinfection, sans démonstration évidente de leur intérêt dans tous les cas. En productions animales, l’usage des antibiotiques comme facteurs de croissance (dans l’aliment pour engraisser le bétail) est interdit en Europe depuis 10 ans. Et les pratiques évoluent au profit de la prévention des maladies plutôt que de leur traitement.

En 2012, un plan national sur cinq ans – le plan ÉcoAntibio 2012-2017 – a vu le jour, mettant en œuvre 40 mesures afin de diminuer encore l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire.

Des efforts à poursuivre

Ce plan ambitieux a pour objectif de réduire en cinq ans la consommation d’antibiotiques vétérinaires de 25 %. Il s’articule autour de cinq axes (encadré). Avant lui, entre 2007 et 2012, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) note déjà une diminution de 12 % du niveau d’exposition des animaux aux antibiotiques en France. Preuve que la profession vétérinaire est sensible au problème et soucieuse d’y remédier. Elle s’est attachée à évoluer depuis près de 10 ans dans toutes les filières animales pour améliorer ses pratiques. Il est important de communiquer sur ce point afin que les propriétaires, ainsi que le grand public sachent que l’ensemble du personnel des cliniques vétérinaires s’est formé, a modifié ses habitudes et sa manière d’exercer son métier pour répondre à cet enjeu majeur de santé publique. Mais la lutte n’est pas finie, de nombreux efforts restent à faire en Europe et dans le monde, tant en médecine vétérinaire qu’en médecine humaine.

LES CINQ AXES DU PLAN ÉCOANTIBIO 2012-2017 

1 - La promotion des bonnes pratiques
Outre la formation des professionnels (vétérinaires, éleveurs), le plan ÉcoAntibio 2012-2017 prévoit des campagnes de communication, à l’exemple de celles conduites depuis 2014 : “Les antibiotiques, pour nous non plus, c’est pas automatique” (pour les propriétaires de chiens et chats) et “Vaccin’acteur” (pour encourager la vaccination des bovins). D’autres mesures visent à développer des guides de bonnes pratiques, à construire des outils d’autoévaluation, etc.
2 - Le développement d’alternatives aux antibiotiques
Éviter le recours aux antibiotiques passe notamment par la vaccination. Les éleveurs y sont de plus en plus sensibles, accompagnés par les vétérinaires dont le rôle tend à changer : du vétérinaire “pompier” appelé pour traiter l’affection aiguë, il se dirige vers le vétérinaire “conseil” pour prévenir les pathologies. C’est une nouvelle manière de travailler, une démarche intellectuelle intéressante et valorisante à laquelle les praticiens se sont formés. D’autres pistes sont explorées, comme le développement de tests de diagnostic rapide (parfois disponibles en humaine afin de différencier une infection bactérienne ou virale, et déterminer ainsi si un antibiotique doit être prescrit), la recherche de nouvelles solutions thérapeutiques, etc.

3 - L’évolution de la réglementation
Les règles de prescription ont évolué. La réglementation désigne notamment des antibiotiques critiques pour la médecine humaine (céphalosporines de 3e et 4e générations, fluoroquinolones). Leur usage vétérinaire est désormais restreint et doit être justifié, particulièrement par les résultats d’un antibiogramme (montrant que la bactérie en cause est résistante aux autres antibiotiques). Cet axe du plan prévoit également d’encadrer les pratiques commerciales (promouvoir l’utilisation des antibiotiques, en accordant des remises par exemple, est interdit) et de multiplier les contrôles, y compris dans les officines ou les cliniques vétérinaires, afin de vérifier que les règles de prescription et délivrance sont bien respectées. Tout contrevenant s’expose à des sanctions financières lourdes (jusqu’à 15 000 € d’amende).

4 - Le suivi des consommations et des résistances
Les consommations d’antibiotiques vétérinaires en France et l’exposition des animaux aux antibiotiques sont suivis et présentés chaque année par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Le Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales (Résapath) publie aussi annuellement un bilan permettant de suivre l’évolution des résistances.

5 - La promotion de l’approche à l’échelon européen et international
La France espère être un exemple d’application des bonnes pratiques de l’utilisation des antibiotiques et de lutte efficace contre l’antibiorésistance, et faire valoir ses choix auprès des autres pays.
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