Prise en charge de l’animal traumatisé - La Semaine Vétérinaire n° 1536 du 19/04/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1536 du 19/04/2013

Formation

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : JACK-YVES DESCHAMPS*, SANDRINE FERRANDI**

Fonctions :
*maître de conférences au service d’urgences et de soins intensifs d’Oniris (Nantes). Article tiré d’une conférence organisée par l’Afvac Sud-Est à Grasse, en octobre 2012.

POINTS FORTS

– Seuls les pneumothorax symptomatiques sont traités.

– Tout animal traumatisé est perfusé, même en l’absence d’hémorragie visible.

– Oxygénation et traitement antidouleur sont incontournables.

– Toute atteinte de la face, considérée comme un traumatisme crânien, est gérée d’emblée avec une perfusion de mannitol.

– La diurèse d’un animal traumatisé est à surveiller.

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La prise en charge d’un animal traumatisé requiert une démarche rigoureuse. Les méthodes ABCD et Crash Plan permettent d’aborder tous les systèmes vitaux.

Avant d’envisager un bilan, un cathéter est posé dès l’admission. La seule exception concerne les animaux dyspnéiques, qui ont besoin d’être placés dans une cage de repos pendant quelques minutes avant toute manipulation. L’accès veineux permet de prélever du sang (qui servira à doser les lactates, par exemple) et de réaliser des injections d’urgence en toute sécurité. La pose est effectuée dans des conditions d’asepsie maximales et le cathéter protégé par un pansement. En cas de ponction, mieux vaut prélever à la veine jugulaire, car les veines céphaliques sont réservées aux cathéters (du plus gros calibre possible).

MÉTHODE ABCD

A comme airways

Les voies aériennes doivent être libérées. Lorsqu’elles sont encombrées de sang provenant d’hémorragies pulmonaires, et si la dyspnée est faible, l’animal est laissé vigile pour qu’il puisse expectorer le sang par la toux. S’il est fortement dyspnéique, il est sédaté (jamais avec un α2-agoniste, préférer le propofol par exemple), intubé et, éventuellement, ventilé, en changeant régulièrement la sonde qui se bouche (il en faut parfois une dizaine). Lorsqu’un aspirateur chirurgical est disponible, le sang présent dans la trachée est aspiré entre ces changements de sonde. L’hémorragie pulmonaire rétrocède d’elle-même au bout de quelque temps (si elle est massive, l’animal meurt rapidement).

B comme breathing

La respiration peut être altérée dans trois cas.

→ Les pneumothorax : accompagnés de dyspnée, ils doivent être traités en urgence (les cas asymptomatiques découverts fortuitement à la radiographie ne nécessitent pas de soins). Si l’état de l’animal le permet, une radiographie de face et de profil du thorax est réalisée. Sinon, elle est remise à plus tard et une ponction est effectuée au plus vite. Dans les cas les plus graves, une anesthésie est requise afin d’intuber et de ventiler l’animal.

Pour retirer l’air, un épijet monté sur un robinet à trois voies et connecté à une grosse seringue est utilisé. L’aiguille est introduite durant l’expiration, entre le 8e et le 10e espace intercostal, à la jonction entre le tiers moyen et le tiers supérieur du thorax, perpendiculairement, en avant de la côte (nerfs et vaisseaux sont à l’arrière), sans anesthésie locale préalable. Si possible, l’opération est réitérée de l’autre côté. Selon l’importance de la brèche pulmonaire, impossible à estimer immédiatement, il faudra recommencer les ponctions ou poser un drain. Certains cas graves nécessitent une lobectomie ultérieure, mais cela ne constitue jamais une urgence.

Un moyen de colmatage des brèches pulmonaires original et efficace consiste à prélever 6 ml/kg de sang à l’animal (à la veine jugulaire) et à le réinjecter immédiatement dans le thorax afin de faire une sorte de patch sur la plaie pulmonaire, qui se comble alors (pleurodèse).

Les hémothorax sont gérés comme des pneumothorax (le sang prélevé ne coagule pas, à la différence de celui issu d’une ponction accidentelle).

→ Le volet costal : fréquemment provoqué par des morsures de gros chiens sur des petits, il s’agit d’une urgence, car le vide pleural est perdu. Il est géré comme un pneumothorax, avec un temps chirurgical visant à fixer les côtes, et la pose d’un drain thoracique. Les brèches pulmonaires éventuelles sont repérées en mettant de l’eau dans la cavité thoracique : s’il y a des bulles, une brèche existe !

→ Les hernies diaphragmatiques : celles non décompensées, peu graves, sont opérées de façon différée. Mais lorsque la compression des lobes pulmonaires est importante, il convient d’agir rapidement. L’anesthésie doit être la plus courte possible (ne la mettre en œuvre que lorsque le bloc chirurgical est prêt), chez un animal intubé et ventilé. En effet, l’anesthésie et le réveil sont délicats dans ce cas.

C comme circulation

Un animal traumatisé est fréquemment hypotendu et ses tissus sont, par conséquent, mal oxygénés. Il convient de le “remplir” au plus vite, même en l’absence d’hémorragie visible. Le Ringer lactate ou le NaCl isotonique sont les solutés de choix (les hypertoniques sont formellement contre-indiqués en cas de suspicion d’hémorragie). Les colloïdes (Voluven(r)), plus coûteux, permettent un remplissage plus bref (avec un volume cinq fois moindre), mais si les isotoniques sont administrés rapidement, la survie des animaux n’est pas significativement abrégée.

Les doses à administrer sont empiriques. Si l’animal est en état de choc hypovolémique (pression artérielle diminuée, fréquence cardiaque augmentée, pouls filant, temps de remplissage capillaire augmenté, etc.), la dose de départ est de 80 ml de Ringer lactate par kilo la première heure (50 ml pour un chat), puis elle est réduite à 30 ml/kg jusqu’à la disparition de l’état de choc hypovolémique. La mesure de la pression artérielle se révèle utile, ainsi que l’observation de la quantité d’urine émise. La poche à urines permet de quantifier cette émission, d’ajuster ainsi les besoins en potassium, et d’éviter les escarres et les souillures.

En dehors des cas d’hémorragie non contrôlée, l’utilisation de NaCl à 7,5 % est pertinente, à la dose de 4 ml/kg. Son pouvoir d’expansion volumique est de 500 % : 1 ml apporte ainsi 5 ml dans les vaisseaux.

La pompe à perfusion est un moyen efficace et sûr de perfuser un animal avec les quantités souhaitées. Pour les petits gabarits, mieux vaut installer des perfusions de 100 ml (et non 250) pour limiter le risque d’hyperhydratation. Le dosage des lactates, produits en anaérobie, permet de juger l’hypoperfusion. La cinétique de ces derniers est un indicateur de pronostic. Une transfusion, à raison de 10 ml/kg, est systématiquement indiquée lors d’hypovolémie, d’hémorragie sévère, de coagulation intravasculaire disséminée, etc. Elle est contraignante, mais toujours bénéfique.

D comme drugs

→ L’oxygène est le médicament prioritaire, à condition d’éviter les cages à O2 souvent dépourvues de système de ventilation et où le CO2 s’accumule, tandis que la température n’y est pas régulée. L’hyperventilation qui résulte de ces deux facteurs est délétère. Les sondes nasales, à relier par le biais d’une tubulure de perfusion à l’Oxybox(r), sont à privilégier.

La pression partielle en O2 est de 30 à 60 % pour un débit de 100 à 150 ml par minute. Le tuyau d’oxygène face aux narines, peu utile et source de stress pour l’animal, est à éviter, de même que les collerettes, les masques, etc.

→ La gestion de la douleur est primordiale, par le biais des morphiniques injectés par voie intraveineuse lente à la dose de 0,1 à 0,3 mg/kg selon l’intensité estimée de la douleur (sauf dans le cas du traumatisme crânien pour lequel le risque de vomissement constitue une contre-indication). Le butorphanol n’est pas suffisamment efficace et la buprénorphine, qui a un effet plafond, est écartée lors de douleurs intenses. La morphine simple convient le mieux. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les corticoïdes sont évités en raison des risques d’hémorragie digestive sévère et d’immunodépression.

→ Face au risque de translocation bactérienne au niveau des intestins (bactéries qui peuvent passer dans la circulation générale), une antibiothérapie est instaurée.

→ Les amines vaso-actives (éphédrine, dopamine, etc.) ne sont utilisées qu’en cas de défaillance cardio-respiratoire.

E comme electrocardiogram

Un ECG n’est à envisager que dans le cas d’un traumatisme thoracique ou d’une fracture de l’humérus.

MÉTHODE DU CRASH PLAN

L’approche ABCDE est complétée par des éléments du Crash Plan.

H comme head

Le traumatisme crânien doit être géré avant l’abdomen ou le rachis. Il est suspecté lors de perte de conscience, de convulsions, d’une baisse de la vigilance sans diminution majeure de la volémie. Toute atteinte de la face est considérée comme un traumatisme crânien.

La perfusion doit limiter l’œdème cérébral : le soluté de première intention est le mannitol à 20 %, injecté assez rapidement (5 ml/kg, en 10 à 20 minutes, à répéter éventuellement une demi-heure à une heure plus tard). Le relais est assuré avec du chlorure de sodium isotonique ou, préférentiellement, un colloïde de type Voluven(r), à la dose de 5 à 10 ml/kg.

Le glucose à 5 % et les corticoïdes sont formellement contre-indiqués, car ils augmentent la glycémie et sont ainsi associés à un mauvais pronostic.

Les convulsions sont traitées en priorité avec du diazépam, ou des barbituriques. La tête est maintenue surélevée de 45° et les manipulations de la jugulaire (prises de sang), qui augmentent la pression intracrânienne, sont évitées.

Par ailleurs, lors de fracture de la mâchoire, il n’est pas pertinent de poser une sonde naso-œsophagienne : en plus d’être inutile (les animaux remangent spontanément rapidement), elle les fait éternuer, ce qui est, bien entendu, contre-indiqué.

A comme abdomen

→ La diurèse d’un animal traumatisé est à surveiller absolument, en se rappelant qu’il peut y avoir miction ET rupture vésicale. L’uropéritoine peut ainsi être diagnostiqué tardivement. Il est détecté en dosant l’urée, la créatinine et le potassium dans le liquide d’épanchement : si ces doses sont plus élevées que dans la circulation sanguine, il existe probablement une rupture des voies urinaires. Il convient de le traiter avant que l’hyperkaliémie soit trop importante.

→ Beaucoup de traumatismes abdominaux sont détectés via la méthode échographique Fast. Elle vise à repérer des épanchements en effectuant une coupe longitudinale et transversale à quatre points cruciaux : sous l’appendice xyphoïde, au niveau du pubis (autour de la vessie) et face à chaque rein.

→ La rupture de la rate se traduit cliniquement par des muqueuses pâles et un hémopéritoine (le sang prélevé ne coagule pas). Des saignements hépatiques sont parfois présents également, mais ils rétrocèdent en général d’eux-mêmes spontanément.

→ Les ruptures digestives sont souvent diagnostiquées tardivement via un épanchement septique. Outre la présence de bactéries, le taux de glucose de l’épanchement est inférieur de 0,4 g/l à celui du sang (les bactéries consomment du glucose).

S comme spine

Les lésions du rachis ne doivent plus être traitées par les doses de corticoïdes préconisées autrefois.

S’ajoutent à ces éléments la recherche des lésions de la filière pelvienne (p comme pelvis) et des membres (l comme limbs). Par ailleurs, chez le chat, la radiographie complète de tout l’animal permet de repérer des lésions pas forcément décelables cliniquement.

JACK-YVES DESCHAMPS, maître de conférences au service d’urgences et de soins intensifs d’Oniris (Nantes). Article tiré d’une conférence organisée par l’Afvac Sud-Est à Grasse, en octobre 2012.

Les pneumothorax accompagnés de dyspnée exigent un traitement en urgence. Un drain a été mis en place chez ce golden retriever de neuf ans.

Toute atteinte de la face est considérée comme un traumatisme crânien (ici, multiples fractures, du palais dur et de l’os frontal notamment). Du mannitol à 20 % est injecté en premier lieu. Les corticoïdes sont contre-indiqués. Les convulsions sont gérées avec du diazépam en priorité. La tête est maintenue surélevée de 45° et les prises de sang à la veine jugulaire, qui augmentent la pression intracrânienne, sont évitées.

Toute atteinte de la face est considérée comme un traumatisme crânien (ici, multiples fractures, du palais dur et de l’os frontal notamment). Du mannitol à 20 % est injecté en premier lieu. Les corticoïdes sont contre-indiqués. Les convulsions sont gérées avec du diazépam en priorité. La tête est maintenue surélevée de 45° et les prises de sang à la veine jugulaire, qui augmentent la pression intracrânienne, sont évitées.

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