Réflexion sur la notion de hiérarchie chez le chien - La Semaine Vétérinaire n° 1529 du 01/03/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1529 du 01/03/2013

Formation

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Isabelle Vieira

Fonctions : vétérinaire comportementaliste, praticienne à Fontainebleau (Seine-et-Marne), Arcueil et Maisons-Alfort (Val-de-Marne)

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Les analogies d’organisation sociale entre Canis lupus et Canis familiaris sont aujourd’hui remises en question par les recherches en éthologie cognitive et sociale des canidés. Par extension, les études sur la relation homme-chien montrent que celle-ci relève plus d’une construction sur la base d’apprentissages que d’un système caractérisé par la subordination et la notion de prérogatives.

Le chien s’est éloigné du loup

Le chien domestique est devenu différent du loup, tant par son organisation sociale que par ses comportements individuels et sa cognition. Les loups se montrent organisés en meute familiale, alors que les chiens se rassemblent par affinité, sans structure de groupe particulière, et montrent peu d’interactions agressives, par dyade, pour éloigner l’autre et protéger une ressource. Les comportements d’approche et d’évitement et la régulation des distances inter­individuelles semblent s’effectuer sans aucune stratégie d’acquisition d’un statut de leader, de façon relativement aléatoire. Cela aboutit souvent à des rapprochements amicaux ou à une dispersion des individus. La notion de “valeur de la ressource” et la référence aux apprentissages associatifs semblent le plus à même de décrire les relations intraspécifiques du chien actuel.

Le chien s’est rapproché de l’homme

Bien que descendants du loup au cours du processus de domestication, les chiens de compagnie se sont montrés plus performants que ce dernier pour utiliser les gestes de désignation de l’homme. Ils se seraient rapprochés d’Homo sapiens en utilisant cette compétence à interagir avec lui. Cela aurait favorisé, au cours de l’évolution, la mise en place entre ces deux espèces d’une relation de coopération et d’interdépendance, mettant en évidence un lien original empreint d’interattractivité.

La relation homme-chien repose sur les apprentissages

Le concept de hiérarchie, longtemps utilisé, est-il adapté pour décrire cette relation particulière ? Ce terme définit une répartition des fonctions et des pouvoirs dans un groupe, par l’installation de relations de dominance-subordination.

Celles-ci ne s’établissent qu’à partir de la répétition d’interactions de nature agonistique et s’attachent à décrire uniquement l’issue d’une interaction dyadique agressive. Vouloir décrire la relation homme-chien selon un modèle hiérarchique implique donc de réduire les interactions entre l’homme et le chien à des contacts agressifs. En effet, le statut de dominant s’acquiert en gagnant un conflit ou en exposant des attributs de nature à gagner un conflit ainsi évité. Dans un système hiérarchisé, toute relation amicale est exclue, ce qui va à l’encontre de l’abondance des interactions ludiques observées entre l’homme et le chien.

Les éthologistes émettent l’hypothèse que la relation homme-chien est caractérisée par la résultante complexe de la somme des interactions entre ces deux espèces. Elle en serait le reflet global et fluctuant en fonction du déséquilibre ou de l’instabilité entre les interactions dites symétriques (amicales, positives) et asymétriques (aversives, conflictuelles). Lorsque l’homme cherche à asseoir son statut de dominant, il devient un signal négatif. À l’inverse, lorsque l’homme invite le chien à produire une tâche appréciée et renforcée positivement, il devient un signal positif. Le chien construirait donc une relation avec l’homme par apprentissage.

Des études récentes soulignent que les méthodes d’éducation fortement empreintes de hiérarchie fabriqueraient des chiens peureux montrant un haut niveau de stress. Le stress chronique, source de décharge émotionnelle, serait la principale cause des comportements d’agressions envers l’homme.

Ainsi, la plasticité du comportement du chien actuel, l’évolution de sa cognition sociale qui l’a éloigné du loup, et sa coévolution relationnelle avec l’homme permettent de penser que la prévention des agressions passe essentiellement par la prise en compte des caractéristiques émotionnelles du chien. La hiérarchie homme-chien, en favorisant l’émergence des conflits, se révèle un concept inutilisable et dangereux autant qu’un contresens éthologique.

Retrouvez une version détaillée de cet article (développant la notion de hiérarchie comme un concept inadapté chez le chien) et sa bibliographie sur le site WK-Vet.fr http://www.wk-vet.fr/mybdd/? visu=164&article=164_4140

  • 1 « Comportement du chien. Éthologie et applications pratiques », 2012, éditions du Point Vétérinaire.

COMPRENDRE LE CHIEN

Isabelle Vieira est l’auteur d’un ouvrage1 qui vise à mieux comprendre les comportements du chien domestique à la lumière des connaissances scientifiques les plus récentes, étape essentielle pour l’intégrer à la vie des hommes. L’auteur met à la portée du vétérinaire un ensemble de connaissances éthologiques, organisées sous forme de manuel pratique.

Isabelle Vieira, vétérinaire comportementaliste, praticienne à Fontainebleau (Seine-et-Marne), Arcueil et Maisons-Alfort (Val-de-Marne).

Des études récentes montrent que les méthodes d’éducation fortement empreintes de “hiérarchie” fabriqueraient des chiens peureux montrant un haut niveau de stress. Le stress chronique, source de décharge émotionnelle, serait la principale cause des comportements d’agressions envers l’homme.

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