Vétérinaire clinicien : comment intégrer la santé environnementale ? - Le Point Vétérinaire.fr

Vétérinaire clinicien : comment intégrer la santé environnementale ?

Lucie  Lavergne,  titulaire du diplôme d’Etablissement One Health de VetAgro Sup

| 16.09.2022 à 10:51:00 |
© WLDavies-Istock

Au quotidien, comment les vétérinaires praticiens peuvent-ils intégrer la santé environnementale afin de renforcer l’approche One Health dans les cliniques ? C'est la question à laquelle s'est attachée notre consoeur Lucie Lavergne lors de son diplôme d'Etablissement One Health à VetAgro Sup. Elle nous livre le fruit de son travail.

Au cours de ces deux dernières années, dans le contexte d’une pandémie d’origine animale, l’expression « One Health » a été très utilisée. Le concept « One Health », une seule santé, met en relation la santé humaine, animale et environnementale.

Au cours des études vétérinaires, One Health est abordé à travers la santé publique et les zoonoses. Préserver la santé humaine, reste le principal moteur délaissant certaines parties de la santé animale et environnementale qui n’auraient pas, à première vue, un impact direct sur la santé humaine.

Aux vues des conséquences d’un changement climatique accéléré et du nombre de zoonoses émergentes (pour ne citer que ces deux exemples), l’environnement est aujourd’hui mis en avant et devient un élément clé dans la démarche One Health. Végétaux, animaux, et donc par définition êtres humains, coexistent au sein d’écosystèmes variés. La notion de santé des écosystèmes est indispensable pour tendre vers une santé globale.

Le vétérinaire, un ambassadeur

La France a la plus grande population de chiens et de chats en Europe, 77.18 millions d’animaux de compagnie (FACCO, rapport 2018) pour 67 millions d’habitants (rapport démographique 2018, INSEE), 50,1% des foyers possèdent au moins un animal de compagnie (FACCO, rapport 2018). Ces mêmes personnes développent une sensibilité pour la cause animale et environnementale à travers le lien affectif qu’ils tissent avec leurs animaux. Communiquer sur les pratiques respectueuses de l’environnement et du bien-être animal permet aux vétérinaires de sensibiliser ses clients sur des gestes que tout le monde peut faire au quotidien.

Le vétérinaire a également un rôle d’information du grand public en ce qui concerne les bonnes pratiques d’utilisation et de gestion des déchets des produits pharmaceutiques. L’étude Pesti’Home (étude nationale sur les utilisations domestiques de pesticide par l’Anses en 2019) met en avant l’importance de la communication des professionnels envers le grand public. D’où l’importance des vétérinaires de solliciter les laboratoires pour connaitre les conséquences et les recommandations pour la santé humaine et l’environnement. A tout niveau, la communication intersectorielle est indispensable.

De plus, l’implication des vétérinaires face à l’impact écologique et sanitaire des médicaments ainsi que la volonté de préserver la biodiversité est un argument pour justifier un choix thérapeutique face à des clients réticents à la médecine conventionnelle. En effet, une utilisation raisonnée de ces produits est un gage de maintien de l’arsenal thérapeutique sur le long terme afin de traiter les animaux (et les humains) qui en ont besoin.

En plus de son activité principale, le praticien vétérinaire est au contact régulier avec la faune sauvage. Chaque année, des oiseaux, hérissons, lapins ou autres… sont apportés pour des soins ou des prises en charge même si les cliniques ne sont pas répertoriées centre de soins à la faune sauvage. Le vétérinaire est alors en première ligne pour prodiguer des conseils et a un rôle à jouer dans la sensibilisation à la préservation de la biodiversité et la conservation de la faune sauvage locale.

Communiquer sur les modes de vie et les besoins de la faune sauvage face à une pression de plus en plus importante de l’activité humaine est primordial.

En termes de santé publique, il est important d’informer sur les précautions à prendre pour limiter les risques infectieux ou traumatiques face à un animal qui peut sembler en détresse.

De manière générale, les vétérinaires exercent leur métier à l’échelle de l’individu ou du troupeau mais, à travers le contact humain, ils transmettent des bonnes pratiques et sensibilisent à la préservation de la biodiversité locale pour ainsi avancer vers une démarche One Health avec ses clients.

Une clinique éco-responsable

Les devoirs du vétérinaire sont de soigner et respecter les animaux du quotidien mais cela n’a pas de sens si son activité entraîne des conséquences néfastes sur l’environnement dont les animaux font partie. Il semble évident qu’une gestion éco-responsable des cliniques permettrait d’avoir une démarche cohérente et en adéquation avec ces missions.

Comme pour toute entreprise, la réduction des consommables est un des points fort. Ce n’est pas toujours évident lorsque la stérilité est une priorité c’est pourquoi une formation bien spécifique devrait être donnée pour toutes les structures soignantes, y compris en humaine. Néanmoins, des associations comme EcoVéto en France ou des entreprises comme Maillon vert au Canada, peuvent donner des pistes pour améliorer son impact. Par exemple, la règle des 3R est facile à mettre en place au quotidien.

La première règle est de Réduire. On l’a beaucoup entendu ces derniers temps, 60% des maladies infectieuses émergentes sont d’origine zoonotique. Une des principales raisons est la déforestation entrainant une perte de biodiversité et une proximité grandissante entre les humains et la faune sauvage ou entre les animaux domestiques et sauvages. Or, réduire la consommation de papier est l’une des mesures les plus faciles à mettre en place.

Pour cela, on peut remplacer le papier à usage unique par un essuie-main en consultation ainsi qu’une éponge pour la table de consultation. De même réduire la consommation de papier d’imprimante en favorisant l’envoie des factures et dossier médicaux par emails. Ce ne sont que des petits exemples mais bien d’autres initiatives sont possibles.

Lorsque l’on ne peut plus réduire, on Réutilise. Le principe de la consigne serait peut-être la meilleure solution. En effet combien de flacons en verre et seringues en plastique sont jetés par jour alors qu’ils pourraient être renvoyés au laboratoire et réutilisés après un nettoyage adequat. En attendant, il est toujours possible de proposer de rendre les cartons de livraison au fournisseur, demander aux clients de réutiliser les pochettes de médicaments lors de la vente à la plaquette ou encore de venir avec un sac en tissu réutilisable. Il serait certainement moins couteux en énergie que les entreprises pharmaceutiques organisent collecte, nettoyage et stérilisation afin de réutiliser les flacons de médicament en verre, fioles de vaccin et seringues mais en attendant, le Recyclage arrive en troisième position dans cette démarche écoresponsable.

En effet, favoriser le recyclage est important et facile à mettre en place. Le choix des matières premières recyclées et/ou issu de forêt responsable ainsi que recycler ses propres déchets a un impact non négligeable. Non seulement pour le papier et le carton d’emballage qui est trop souvent placé dans la poubelle des ordures ménagères mais également pour de nombreux consommables comme les emballages des poches stériles (il suffit de séparer la partie papier de l’opercule plastique), les seringues (séparer le caoutchouc du piston et toute la partie plastique se recycle), le verre des fioles de vaccin (à condition qu’elles soient vides et que le caoutchouc soit également retiré).

Souvent par manque de temps le recyclage peut passer à la trappe alors qu’en installant deux petites poubelles dans chaque salle le réflexe de séparer les déchets se fait très vite. A noter tout de même, les règles de tri et de recyclage associées à la réglementation sanitaire varient tellement d’un pays, d’une région, voire d’une commune à l’autre cela peut être décourageant et on peut commettre des erreurs en voulant trop bien faire. Là encore, dans le cadre d’une démarche One Health, la communication intersectorielle et la formation sont des éléments clés.

La communication et la formation au sein de l’équipe sont également primordiales. Inclure les vétérinaires de la structure mais aussi les assistantes, le personnel d’entretien, les stagiaires afin que tous se sentent concerné et prennent à cœur leurs missions.

Communiquer avec la clientèle est également indispensable, au-delà de l’image de la clinique, il y a un intérêt pour la transmission de valeur à un public plus large.

L’activité vétérinaire et les (dés)équilibres écosystémiques

Des exemples emblématiques, comme le déclin des populations de vautours en Inde lié à l’utilisation de diclofenac sur les ruminants ou encore les résidus d’antibiotiques environnementaux pouvant être à la source d’antibioresistances, illustrent parfaitement l’inter connexion entre la délivrance d’un médicament, les déséquilibres écosystémiques et les conséquences sur la santé humaine.

L’approche trans-disciplinaire et systémique fait partie intégrante de la pratique vétérinaire. En effet, un vétérinaire ne prescrira pas des anti-inflammatoires sans tenir compte de l’état des autres systèmes de son patient et adaptera en conséquence son traitement. De la même façon, l’impact sur l’environnement doit faire partie intégrante de la démarche thérapeutique. Les projets comme EcoAntibo et Parasit’SimEq montrent la prise de conscience dans le domaine rurale et équin mais peu voire pas de guidelines existent pour les animaux de compagnie notamment sur l’utilisation des antiparasitaires. Des initiatives comme EcoPrescription-se soigner sans polluer, proposent des alternatives pour une médecine plus éco-responsable.

Malheureusement, les données sur l’impact environnementale des molécules largement et récemment utilisées sont rarement disponibles. Certains acaricides et insecticides très large spectre sont connus pour leur efficacité et leur durée d’action en revanche peu de recommandations sont données par le laboratoire en ce qui concerne les mesures de précaution à prendre pour prévenir de l’excrétion dans l’environnement. Pourtant, il est bien mentionné dans le RCP que 90% de la substance active inchangée est éliminée dans les selles pendant 3 mois ce qui n’est pas sans conséquence pour les écosystèmes.

Les vétérinaires, en première ligne avec les représentants des laboratoires, peuvent communiquer sur la nécessité de rapports écologiques. Ceux-ci devraient inclure les durées et les formes d’excrétion des molécules actives ainsi que des conseils de bonnes pratiques mais aussi de gestion des déchets. Plus la demande sera grande plus les efforts seront mis en œuvre pour la satisfaire.

En attendant ce complément de données, une utilisation raisonnée de toutes les molécules est recommandée.

Baser les traitements antiparasitaires sur des examens complémentaires comme des coprologies se fait de plus en plus en pratique que ce soit pour les animaux de compagnies ou pour l’élevage. Jouer sur les conditions environnementales des animaux pour diminuer le risque infectieux et donc la prise de traitement est également une méthode clé.

L’équilibre risques/bénéfices est au centre de la stratégie thérapeutique et doit prendre en considération le bien-être animal, la santé publique et la santé des écosystèmes.

Adapter la formation aux besoins actuels

Comme nous venons de le voir, le clinicien peut mettre la démarche One Health au cœur de sa pratique quotidienne et agir à l’échelle locale, non moins importante que l’échelle nationale ou internationale gérée par les grandes institutions comme l’OMS ou l’OIE.

Dès la sortie d’école, les vétérinaires sont plongés dans la logique de santé globale. Des initiatives privées ou des options voient le jour pour compléter la formation initiale et aider dans cette démarche mais des éléments clés manquent au cursus général. Les sujets comme l’infectiologie, les zoonoses, la santé publique, l’industrie alimentaire sont abordés mais l’écologie, la santé des écosystèmes ou encore la gestion des déchets dans une structure de soin sont exclues. Comme le montre l’actualité de ces derniers mois, une santé globale ne sera pas envisageable sans la prise en compte de l’environnement.

Sensibiliser les étudiants à travers des exemples concrets et des exercices de terrain incluant tous les enjeux du concept One Health, dès le début du cursus, permet une ouverture d’esprit indispensable pour la suite des études (Mor et al. 2018). Cette démarche sensibilise à une vision holistique et critique nécessaire tout au long de la carrière des praticiens. La collaboration avec les acteurs de la santé humaine, agricole et environnementale donnerait un sens et une plus-value à notre diplôme.

Des connaissances actualisées et communes aux généralistes de santé humaine et animale sur les zoonoses sont indispensables pour travailler main dans la main. Des mises à jour sur les modes de transmissions, le cycle, la prévalence selon les régions, les populations à risque et les protocoles de diagnostiques spécifiques permettraient une meilleure collaboration interprofessionnelle (Steele et al. 2019).

Des cours rassemblant étudiants médecins, vétérinaires, agronomes et écologues seraient intéressants pour développer des connaissances et des recommandations communes. Une mise en commun des connaissances de bases serait suffisante pour éveiller les consciences et inciter à la coopération et la communication intersectorielle, pour une démarche One Health des acteurs de terrain.

Pour beaucoup, la démarche One Health se résume à préserver la santé humaine en maitrisant la santé animale et environnementale. Essayons de le voir comme la recherche d’une symbiose entre ces trois piliers.

Avec cet extrait du code de déontologie vétérinaire français, rappelons qu’à différents niveaux, le vétérinaire praticien devrait être au quotidien garant de la démarche One Health. « VII. - Le vétérinaire prend en compte les conséquences de son activité professionnelle sur la santé publique, notamment en matière d'antibiorésistance. VIII. - Le vétérinaire respecte les animaux. IX - Le vétérinaire prend en compte les conséquences de son activité professionnelle sur l'environnement. » Extrait du Code de déontologie vétérinaire Art R242.33

Lucie  Lavergne,  titulaire du diplôme d’Etablissement One Health de VetAgro Sup

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