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Sexage in-ovo : une technologie encore juvénile

Tanit Halfon | 08.08.2019 à 14:02:00 |
oeufs
© iStock-123ducu

Une start-up allemande Seleggt a récemment annoncé la mise sur le marché de sa technologie de sexage in-ovo. Si l’avancée semble prometteuse, sa généralisation n’est pas encore d’actualité.

L’Allemagne sera-t-elle le premier pays à arrêter le broyage de ses quelques 45 millions de poussins mâles1 chaque année ? La question se pose au vue d’une récente annonce sur le sexage in-ovo. Ainsi, en novembre 2018, la ministre allemande de l’agriculture, Julia Klöckner, au côté de la start-up Seleggt2, annonçait l’aboutissement de plusieurs années de recherche, permettant de commercialiser dans 223 lieux de vente berlinois des oeufs issus de poules sélectionnés via une technologie de sexage. Et de prévoir également de vendre 1 million de poussins en 2019 essentiellement en Allemagne. Une bonne avancée ? Oui, mais qui est encore loin d’être au stade d’industrialisation. « C’est une bonne avancée mais à l’état actuel, la technologie ne peut pas être utilisée à grande échelle, souligne Marina Govoroun, chercheuse à l’Institut national de recherche agronomique qui a travaillé sur la question. Le principal problème est que le sexage n’est pas assez rapide. Leur procédé permet de faire passer 3000 à 5000 œufs par heure, quand en théorie, il faudrait viser plusieurs dizaines de milliers d’œufs. » De plus, pour sexer, la méthode Seleggt prélève du liquide allantoïdien. « C’est une procédure que l’on peut décrire comme invasive sans contact car le trou dans l’œuf est fait par un laser et le prélèvement est effectué sans contact, sans que la technique de prélèvement du liquide soit clairement indiqué. Rien ne rentre dans l’œuf », précise la chercheuse. Et d’ajouter : « Mais à partir du moment où il y a un trou dans la coquille, il existe un risque de sécurité sanitaire. Malgré tout, pourquoi pas s’il y a un taux correct d’éclosabilité et de viabilité comme le soutient la start-up. »

Un modèle économique à construire

Autre question : le coût du sexage. Côté technique, si il coûte en réalité plusieurs euros par embryon sexé, cela n’est pas facturé aux couvoirs. Ce sont les distributeurs qui vont reverser 2 centimes d’euros par œuf vendu en supermarché. De plus, Seleggt ajoute3 que pour l’instant, les coûts d’acquisition de la technologie (machine et réactif) pour les exploitations n’ont pas encore été évalués. Mais que les coûts supplémentaires pourraient être compensés par les économies faites en énergie et en place, permettant d’augmenter le rendement. « Il faudra voir si c’est rentable, s’interroge Marina Govoroun. Cela dépend de la cible qu’il vise. S’il s’agit par exemple de la population végétarienne prête à payer les œufs plus chers car issus d’une production moins violente, je pense que cela peut être rentable. » En attendant, la méthode allemande est à priori la seule à être aller jusqu’à la production. « Les Canadiens travaillent sur une méthode physique très précoce et non invasive, il y a d’ailleurs un brevet mais on ne sait pas s’ils en sont au stade du prototype, précise la chercheuse. En France, il y a un projet européen qui va démarrer, impliquant notamment l’Inra, et qui étudiera la faisabilité d’une méthode physique. Il y a des recherches en cours en ce sens sur le canard. »

Une technologie française toujours en attente

En France, une entreprise a d’ores et déjà noué un partenariat avec la start-up Seleggt : il s’agit de Poulehouse, la première marque d’œufs françaises produits sans abattage des poules pondeuses. A la clé : l’arrivée de 1000 poussins femelles sexés dans l’œuf. Dans ce cas, par contre, les distributeurs ne reversent rien à Seleggt, mais c’est PouleHouse qui le fait…tout en annonçant ne pas répercuter sur le prix au consommateur. Si ce partenariat a eu lieu, c’est aussi parce la start-up est la seule à proposer un usage d’une technologie de sexage sur le terrain. Pourtant, en France, la société Tronico, avec son projet Soo4, avait déjà décroché en 2016 des financements pour arriver à une méthode de sexage in-ovo compatible avec les besoins de la filière. Le projet devait durer 2 ans ½ jusqu’au prototype. Après avoir tenté d’emprunter la voie de la méthode physique, avec la spectroscopie (exposition de l’œuf à la lumière et analyse des longueurs d’onde réfléchies) sans succès, l’entreprise s’est finalement focalisée sur une méthode chimique, basée selon son dirigeant sur des « capteurs biologiques » qui se rapproche de la méthode allemande. Si pour l’instant, les résultats se font attendre, le dirigeant de Tronico affirme qu’un prototype pourrait être possible dans les couvoirs d’ici fin 2020…suivant les résultats obtenus cet automne. A ce jour, la sensibilité de la méthode ne serait que de 80%, quand il s’agirait de dépasser les 95%.

Sexer in-ovo, un passage obligé

Que la méthode choisie soit chimique comme pour Seleggt, ou physique5, pour éviter toute ouverture de la coquille, le sexage in-ovo reste un passage obligé, comme le souligne Marina Govoroun : « A la différence des mammifères, il est impossible de passer par un sexage de la semence chez les oiseaux, car ce sont les femelles qui portent deux chromosomes sexuels différents, ZW. Après, pourquoi pas imaginer l’introduction d’un gène-suicide pour les embryons mâles…mais en pratique, il serait difficile de le faire pour les mêmes raisons que le sexage de la semence, et en plus, envisager de telle modification du génome ne serait tout simplement pas possible en Europe. » Elle ajoute : «  Outre le sexage, il faut aussi penser à la voie de la valorisation des poulets mâles. On pourrait imaginer qu’ils puissent être utilisés dans la nourriture. Comme c’est d’ailleurs le cas des poules pondeuses en Allemagne qui sont abattues à 2 ans, car moins productrices en œufs, et dont la carcasse est utilisée pour la soupe de poulet dont les allemands sont friands. »

1 En France, ce sont environ 50 millions de poussins mâles tués par an. En Europe, ce sont près de 600 millions d’œufs produits dont 300 millions de poussins mâles.

2 Le groupe de distribution allemand REWE, l’entreprise néerlandaise Hatch-Tech B.V. et l’Université de Leipzig (Allemagne) sont les trois partenaires de la start-up Seleggt, qui est basée en Cologne (Allemagne).

3 La société Seleggt nous a répondu par l’intermédiaire d’une agence de communication.

4 https://agriculture.gouv.fr/soo-un-systeme-fiable-de-prediction-du-sexe-du-poussin.

5 https://www.aviforum.ch/fr/Portaldata/1/Resources/gefluegelzeitung/aktuelle_ausgabe/Sexage_oeufs_m_thodes.pdf.

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La méthode Seleggt, ça marche comment ?

Le procédé consiste à percer la coquille de l’œuf au laser au 9ième jour d’incubation, puis de prélever par aspiration (la membrane de l’œuf est poreuse) une petite quantité de liquide allantoïdien. La goutte sera ensuite mise au contact d’un produit réactif qui changera de couleur si le liquide contient du sulfate d’oestrone, une hormone femelle. Si les œufs femelles restent en couveuse pour donner des poules pondeuses, les mâles eux sont transformés en poudre utilisée dans l’alimentation animale. En outre, le tri des œufs mâles et femelles est automatisé. La fiabilité annoncée de la méthode est de 98%, et le traitement au laser n’a révélé aucun effet négatif ni sur l’œuf, ni sur le poussin. De plus, selon Seleggt, la méthode de prélèvement est non-invasive, excluant tout risque de contaminer l’œuf embryonné. D’autant plus que le trou de 0,3mm se résorbe tout seul. La prochaine étape est d’améliorer le marqueur afin de pouvoir sexer dès le 4ième jour d’incubation. 

Tanit Halfon
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