Mortalité d’oiseaux charognards : la flunixine méglumine mise en cause - Le Point Vétérinaire.fr

Mortalité d’oiseaux charognards : la flunixine méglumine mise en cause

Corinne Piquemal1, Elisabeth Begon1, Flore Demay1, Sylviane Laurentie1

1 : Anses-ANMV- Département Inspection, Surveillance du Marché et Pharmacovigilance- CS 70611 - 35306 FOUGERES Cedex

| 28.06.2022 à 18:28:00 |
© Corinne Piquemal

Avant de traiter un animal avec de la flunixine méglumine, l’évaluation bénéfice/risque doit inclure l’impact potentiel sur la faune sauvage.

Plusieurs publications récentes [1, 2, 3] évoquent des cas d’intoxication de vautours par de la flunixine méglumine, un anti-inflammatoire non stéroïdien présent dans plusieurs médicaments vétérinaires vendus sur le marché européen. Il est probable que ces intoxications ont fait suite à la consommation de carcasses d’animaux traités avec un médicament contenant cette substance.

La toxicité de la flunixine méglumine démontrée chez certaines espèces de vautours

Ces cas font écho à un épisode de mortalité massive des populations de vautours observé entre 1990 et 2006 dans plusieurs régions du sous-continent indien (Inde, Pakistan, Népal), et ayant abouti à la quasi disparition de ces oiseaux. Il a été démontré que cette mortalité était due à la consommation de carcasses d’animaux traités avec des médicaments vétérinaires contenant du diclofénac, un AINS présentant une très forte toxicité chez les rapaces (DL50 estimée à 0.098-0.225 mg/kg chez le vautour chaugun [Gyps bengalensis]) [4]. Pour cette raison, à partir de 2006, l’usage de cette molécule a été interdit en médecine vétérinaire dans les pays impliqués. En Europe, les conditions d’utilisation et de suivi des animaux étant très différentes, l’utilisation du diclofénac s’est néanmoins poursuivie (en particulier en Italie, en Espagne, et en Estonie), en ajoutant aux RCP des médicaments concernés de nouvelles précautions d’emploi visant à alerter les utilisateurs des risques potentiels pour la faune sauvage. Aucun médicament vétérinaire contenant du diclofénac n’a jamais été autorisé sur le marché français. Il ne s’agit cependant pas du seul AINS dont la consommation est potentiellement risquée pour ces animaux. La toxicité de la flunixine méglumine a également été démontrée chez certaines espèces de vautours. Suite à son ingestion, cette molécule a une toxicité rénale induisant une mortalité par insuffisance rénale aigüe. Aucune DL50 n’a pu être précisément déterminée jusqu’ici [1].

Des RCP mis à jour

A l’issue d’une nouvelle évaluation du risque pour la faune sauvage en lien avec l’usage de médicaments vétérinaires contenant de la flunixine méglumine, il a été décidé que dans toute l’Europe, les RCP des médicaments concernés devaient être modifiés en mentionnant les mêmes précautions d’emploi que celles qui avaient été ajoutées auparavant en UE pour les médicaments contenant du diclofénac. Les précisions suivantes seront donc prochainement apportées en section 4.5 « Précautions d’emploi » des RCP [voir liste des produits concernés en France] : « La flunixine est toxique pour les oiseaux nécrophages. Ne pas administrer aux animaux susceptibles d'entrer dans la chaîne alimentaire de la faune sauvage. En cas de mort naturelle ou d’euthanasie d'animaux traités, s'assurer que la faune sauvage n’aura pas accès aux carcasses et ne pourra pas les consommer ». Par conséquent, avant de traiter un animal avec de la flunixine méglumine, l’évaluation bénéfice/risque doit inclure l’impact potentiel sur la faune sauvage. Dans le cas où l’animal traité présenterait un fort risque de mortalité, et que le potentiel retrait de sa dépouille ne serait pas envisageable (par exemple en régions montagneuses), la rendant accessible aux oiseaux charognards, l’usage de flunixine devrait être évitée, ainsi que celui du carprofène et du kétoprofène, quelques publications évoquant également une toxicité possible pour les vautours [5]. L’usage d’un AINS alternatif, comme le méloxicam [6], qui parait présenter un risque moindre pour la faune sauvage, devrait être préféré.

Liste des médicaments concernés en France

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Bibliographie

[1] Eleni C, Neri B, Giannetti L, Grifoni G, Meoli R, Stravino F, Friedrich KG, Scholl F, Di Cerbo P, Battisti A. Death of captive-bred vultures caused by flunixin poisoning in Italy. Environ Toxicol Pharmacol. 2019 May;68:91-93. doi: 10.1016/j.etap.2019.03.011.

[2] Herrero-Villar M, Velarde R, Camarero PR, Taggart MA, Bandeira V, Fonseca C, Marco I, Mateo R. NSAIDs detected in Iberian avian scavengers and carrion after diclofenac registration for veterinary use in Spain. Environ Pollut. 2020 Nov;266(Pt 2):115157. doi: 10.1016/j.envpol.2020.115157. Epub 2020 Jul 3. PMID: 32673993.

[3] Zorrilla I, Martinez R, Taggart MA, Richards N. Suspected flunixin poisoning of a wild Eurasian Griffon Vulture from Spain. Conserv Biol. 2015 Apr;29(2):587-92. doi: 10.1111/cobi.12417. Epub 2014 Oct 9. PMID: 25303011.

[4] Swan Gerry E, Cuthbert Richard, Quevedo Miguel, Green Rhys E, Pain Deborah J, Bartels Paul, Cunningham Andrew A, Duncan Neil, Meharg Andrew A, Lindsay Oaks J, Parry-Jones Jemima, Shultz Susanne, Taggart Mark A, Verdoorn Gerhard and Wolter Kerri 2006. Toxicity of diclofenac to Gyps vultures. Biol. Lett.2279–282.

[5] Fourie T, Cromarty D, Duncan N, Wolter K, Naidoo V. The Safety and Pharmacokinetics of Carprofen, Flunixin and Phenylbutazone in the Cape Vulture (Gyps coprotheres) following Oral Exposure. PLoS One. 2015 Oct 29;10(10):e0141419. doi: 10.1371/journal.pone.0141419. PMID: 26512724; PMCID: PMC4626400.

[6] Naidoo V, Wolter K, Cromarty AD, Bartels P, Bekker L, McGaw L, Taggart MA, Cuthbert R, Swan GE. The pharmacokinetics of meloxicam in vultures. J Vet Pharmacol Ther. 2008 Apr;31(2):128-34. doi: 10.1111/j.1365-2885.2007.00923.x. PMID: 18307504.

Corinne Piquemal1, Elisabeth Begon1, Flore Demay1, Sylviane Laurentie1

1 : Anses-ANMV- Département Inspection, Surveillance du Marché et Pharmacovigilance- CS 70611 - 35306 FOUGERES Cedex

1 commentaire
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Michel Dupres, Vétérinaire le 29-06-2022 à 07:01:24
Il existe plusieurs [projets de] "placettes d'équarrissage naturel" dans le sud de la France dans des parcs naturels régionaux ou nationaux. Ces éléments devraient être communiqués aux [futurs] apporteurs de cadavres de ces installations.
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